Translate

mardi 18 août 2020

Rome : Le Palais et la Galerie Corsini (1)




Je n'ai encore jamais visité ce palais du Janicule (Gianicolo), qui héberge aujourd'hui une Galerie Nationale. C'est l'occasion de découvrir un beau bâtiment du XVIIIe siècle, avec sa collection de peinture.




Le premier palais fut construit pour les Riario, grande famille romaine, mais lorsque les Corsini, proches du pape Clément XII, le rachetèrent, ils le firent rebâtir par Ferdinando Fuga, un architecte-peintre qui menait de nombreux chantiers dans la ville (le baldaquin de Santa Maria Maggiore, la chapelle Torrigiani de San Giovanni Battista dei Fiorentini). Une vaste demeure ouverte sur les jardins ; aujourd'hui, il s'agit même du Jardin Botanique de Rome.








La mode est conservée de décorer les escaliers et halls d'accès avec des antiquités romaines ; un beau sarcophage à thème marin précède un second plus étonnant, où on voit des anges (enfin, je présume) se livrer à de tendres accolades.





La maquette est bien utile pour vérifier l'étendue du Palais. On s'y perd un peu. La Galerie de peinture n'en occupant qu'une petite partie, il reste de la place pour des bureaux administratifs.


Voici donc une galerie à l'ancienne, où tout l'espace possible est rempli, comme chez Catherine de Russie à Tsarskoie Selo, près de Saint Petersbourg. Ce n'est pas inintéressant de voir ce témoignage des anciennes muséographies, mais c'est très peu pratique. Les listes placardées à l'entrée des salles obligent à de fréquents allers-retours, pour qui s'intéresse aux sujets et aux auteurs. Ce qui est mon cas.

Je me suis fié un peu aveuglément à ma mémoire et j'ai oublié plusieurs auteurs ! J'ai cependant laissé les tableaux dans mon article lorsqu'ils m'avaient vraiment plu.


Par ailleurs, la galerie n'est pas climatisée,  et on a ouvert les fenêtres pour créer un peu de courant d'air. Je ne suis pas certain que ce soit très efficace, mais surtout cela provoque des reflets innombrables, particulièrement pour les tableaux exposés en haut. J'ai dû me résoudre à abandonner les photos les moins visibles, et le regrette parce que les grands formats sont presque systématiquement en hauteur et il y a des chefs-d’œuvre !

Luca Giordano, Jésus parmi les Docteurs

 Je retrouve Luca Giordano, le napolitain surdoué, dans un excellent et surprenant tableau. Le canon veut que Jésus soit au centre, comme le fait Dürer par exemple. Ici on le cherche presque ! Le pinceau rapide, la gamme grise du tableau (qui annonce vraiment le XIXe siècle) fonctionnent admirablement.

Monsu Bernardo, L'Hiver
 
 Monsu Bernardo est le pseudonyme d'Eberhard Keilhau, un peintre danois  qui fit carrière en Italie. Curieuse allégorie, vraiment peu évidente. Le panier comme attribut de l'hiver, il fallait y penser !

Giovanni Francesco Grimaldi, Deux paysages

Un peintre de Bologne qui travaille le paysage, au moment où le genre est en train de s'affirmer, surtout en Europe du Nord.

Giovanni Battista Piazzetta, Judith et Holopherne

Judith est une des deux femmes traditionnellement représentées avec une tête coupée, la différence avec Salomé est qu'elle-même passe à l'acte : une jeune Juive qui s'introduit dans le camp ennemi pour aller tuer son chef, Holopherne. Cette pasionaria, héroïne patriote ou terroriste selon le point de vue, est un sujet de choix. La version du Caravage est insurpassable, mais Piazzetta, bon peintre vénitien du XVIIIe, sait y faire.  A la différence de beaucoup de ses collègues, il représente la meurtrière juste avant l'acte, et laisse Holopherne dans l'ombre. Elle semble demander conseil  à l'Eternel avant d'agir. L'expressivité plus modérée montre que le baroque est délaissé...


Exposée comme un tableau, cette savoureuse mosaïque romaine raconte les difficultés du laboureur avec ses bœufs.



Pietro da Cortona, La Rencontre de Jacob et de Laban

Scène biblique : Jacob a trompé Esaü et se réfugie chez son oncle Laban, dont il épousera les deux filles, Léa et Rachel ; et ce, alors que le Lévitique, le grand livre de lois, prohibe le mariage avec deux sœurs. Jacob donnera également des enfants aux deux servantes de la maison ! Le peintre semble bien montrer cette progéniture nombreuse ici.



Hans Hoffmann, semble avoir fait un collage avec deux œuvres célébrissimes de Dürer, Le Lièvre et La Touffe d'herbe.

Il vivait à Nuremberg et ne pouvait sans doute pas ignorer l'héritage de son aîné.




Donato Creti, L'échelle de Jacob

Dans la Genèse, Jacob a fui son frère Esaü qui a promis vengeance et s'est réfugié à Haran où il cherche une épouse. A Louz, il fait un rêve avec une échelle où des anges qui montent et descendent ; l'Eternel lui apparaît, et renouvelle avec lui l'alliance.
 
Selon les premières interprétations, on y voyait les hauts et les bas de l'histoire du peuple juif.  On analysa aussi l'échelle comme un lien direct entre le ciel, le divin, et la terre. Pour les Chrétiens, l'échelle désignerait le Christ, également lien entre sacré et terrestre.
 
Cette scène connut un succès incroyable dans l'art paléochrétien, dès le IIIe siècle, et fut peinte dans plusieurs catacombes. Au Moyen-Age, son succès se poursuit. Comme l'écrivait Christian Heck dans son livre passionnant, la peinture de l'échelle est une conquête du ciel.
 
Cette résurrection  du thème est assez surprenante, mais fort bien traitée. Jacob semble en train de rêvasser et tourne la tête, attiré par un ange joueur de théorbe. Je ne vois pas vraiment d'échelle mais une succession d'anges qui se dissolvent dans la lumière dorée, c'est très séduisant.

Nicolas Poussin, Le Triomphe d'Ovide
 
 J'ai maintenu cette photo, assez épouvantable je reconnais, car il s'agit d'un Poussin vraiment peu connu et pas si caractéristique.

Le Bernin, David
 
Version réduite, en bronze, de l'exceptionnel David en marbre de la Galerie Borghese.

Luigi Garzi, La Découverte de Moïse
 
Le bébé Moïse a été abandonné dans les eaux du Nil, mais est découvert un peu plus tard et la fille de Pharaon va s'en occuper.  Moïse a toujours été représenté, toutefois ces scènes de la prime enfance connaissent un réel succès à l'époque baroque. Garzi n'a pas recherché le naturel mais l'élégance et la lumière.

Giovanni Lanfranco, Tamar et Juda

Ce sont des personnages de la Genèse ; Tamar a tenté d'obtenir des enfants des deux fils de Juda, sans succès. Il refuse de lui donner son troisième fils, Chela, car il est trop jeune. Lorsque Juda est devenu veuf, il part pour la tonte des brebis mais Tamar s'est déguisée, elle a quitté sa tenue de veuve et s'est voilé le visage. Juda la prend pour une prostituée et s'unit à elle.
 
Lanfranco traite prudemment ce sujet finalement assez rare en choisissant le moment de la rencontre. Tamar se protège le visage pour ne pas être reconnue. C'est l'occasion de voir les talents de paysagiste du peintre, surtout connu pour ses travaux dans les églises romaines, et qui offre ici une vue charmante et paisible de la campagne du Latium.

Guido Ubaldo Abbatini, Urbain VIII Barberini

Francesco Cozza, La Pietà

J'ai discuté avec une dame, qui observait ce tableau en même temps que moi. Je trouvais le Christ réussi mais la Vierge écartant les bras me semblait trop théâtrale. Elle a avancé que c'était une Mamma que le peintre représentait, et qu'elle ne pouvait faire autrement que d'écarter les mains en signe de chagrin. Je ne prends pas parti.



Abraham prêt à sacrifier son fils Isaac pour prouver son obéissance à l’Éternel, l'ange venant arrêter le geste et proposer un bélier en remplacement (à gauche, en bas) ; tous les éléments sont là.

Anonyme flamand, Paysage d'hiver

Thème traditionnel des flamands et hollandais, ce paysage d'hiver se démarque par sa construction surprenante : la partie animée est entièrement placée à gauche, et c'est un grand arbre dénudé qui sépare la toile en deux, avec toute la moitié droite dans l'ombre.





Le Guerchin, Le Christ couronné d'épines
 
 Expressif Christ, avec une véritable émotion baroque, et malgré tout très sobre, sans mièvrerie. La canne en avant est la partie la plus nette, le personnage se dissout presque dans le fond. Le Guerchin sait toujours y faire !

Giovanni Lanfranco, Saint Pierre soigne Sainte Agathe dans la prison
 
 Sainte Agathe, la patronne de Sicile, doit comme les vertueuses Saintes Barbe ou Agnès épouser un païen, mais ne renonce pas. Comme Agnès également, on l'envoie au lupanar, sans qu'elle faiblisse. Elle subit un affreux martyre : on lui arrache les seins. Heureusement Saint Pierre apparaît pour soigner les blessures. Il semble que Sainte Agathe ait réellement existé mais sa biographie doit beaucoup aux arrangements hagiographiques...

Lanfranco me semble globalement un bon peintre et c'est indubitablement un excellent tableau. Superbe contraste qui laisse Pierre dans l'ombre, geste délicat et prudent, empli de pudeur, gravité de l'ange... Juste une silhouette derrière la grille de la prison, pour rappeler le contexte.


Cesare Gennari, La Vision de Saint Jérôme

Décidément, Saint Jérôme, c'est un sujet en or pour les peintres baroques. Même avec cet inconnu, le tableau est réussi.

Carlo Maratta, L'Archange Gabriel

Presque toujours présenté avec la Vierge dans l'Annonciation, ici il figure seul. Cependant le lys indique sans ambiguïté que c'est bien de cette scène qu'il s'agit. Cette toile avait peut-être un pendant pour reconstituer une Annonciation. Bonne peinture de Maratta, un des infatigables artistes des églises romaines. 

Orazio Gentileschi, Vierge à l'Enfant

Toujours de la qualité chez ce peintre (et chez sa fille Artemisia également). Il semble peindre ici des personnages de son quotidien, en recherchant le naturel que ne contredit pas une lumière très étudiée. Un des tout premiers caravagesques.

Atelier de Jan van Scorel, Portrait de femme "La Mère de Luther"

Mère de Luther ou pas (ce qui est plus vraisemblable), le regard un peu ironique de cette dame a franchi les siècles.

Fra Bartolomeo, Sainte Famille avec le petit Saint Jean-Baptiste

Efficacité de la construction pyramidale, douceur du paysage (Fra Bartolomeo en est même considéré comme l'inventeur), et naturel d'une scène tendre. C'est réussi.

Andrea del Sarto, Vierge à l'Enfant

Tout petit tableau où del Sarto me semble bien proche de Raphaël...

Gian Gioseffo del Sole, La Reine Artemise boit les cendres de son mari

Scène haute en couleurs dont le potentiel dramatique fut pleinement exploité dans l'art baroque. Del Sole fut un des derniers représentants du baroque de Bologne.

Giovanni Lanfranco, La Nativité

Encore un petit tableau en clair-obscur, proprement exécuté.


Angelo Caroselli, Vanitas

Une dame tient son collier de perles, la servante lui présente un miroir... La coquetterie a parfois été plus cruellement montrée (je pense au tableau de Strozzi au musée Pouchkine de Moscou).


Garofalo, Le Portement de Croix
 
 Reprise du cadrage serré pour ce Portement inégal ; le Christ souriant qui regarde tranquillement le spectateur ne me semble pas une excellente idée ! Et la palette maniériste ne me paraît pas superbement utilisée.

Mattia Preti, Le Martyre de Saint Barthélémy

Cette fois, question expression, on est servi. Je trouve que l'effroi est rendu ici comme rarement. Mattia Preti est toujours un artiste remarquable, et on voit que le naturalisme et le clair-obscur du Caravage ont bien été assimilés. C'est un de ses premiers suiveurs.

Giovan Francesco Romanelli, L'Adoration des Mages

 La tradition ayant fini par fixer les Rois Mages, Balthazar, le descendant de Cham, est associé à l'Afrique. Ici c'est un vrai Noir qui est peint, et c'est loin d'être toujours le cas !

Emilio Savonanzi, Le Martyre de Saint Barthélémy

Tableau assez réussi d'un quasi-inconnu qui traite le sujet très différemment de Preti. L'horrible supplice auquel on condamne le malheureux apôtre apparaît sur la droite, mais on ne le remarque pas immédiatement grâce à l'effet de lumière. Il manque ici peut-être un peu de plasticité et de travail sur les matières.

Ecole du Titien, Philippe II

Pour les amateurs d'opéra, un personnage qui évoque tout de suite le Don Carlos de Verdi.

en haut : Carlo Maratta, La Peinture
en bas : Guido Reni, Saint Joseph
 
 Deux excellents portraits. Guido Reni est un infatigable peintre de Saint Joseph, sans doute celui qui l'a le plus souvent représenté.

Annibale Carracci, Saint François au désert

Je ne suis pas vraiment un fan des Carrache mais ce Saint François démonstratif attire l’œil !

Donato Creti, L'Adoration des Mages
 
 Une version très colorée, avec des drapés fort étudiés.

Guido Reni, Salomé avec la tête de Saint Jean-Baptiste

Contraste évident entre l'horreur de la scène et l'air innocent et paisible de la jeune fille.
 
Francesco Cozza, Madeleine pénitente

Francesco Cozza réussit un beau portrait de jeune fille, un peu mélancolique. Le tableau mériterait une petite restauration.

Rosalba Carriera, La Terre

Pastel d'une artiste passée maître dans cette technique ; ici il s'agit d'une série des quatre éléments.

Scipione Pulzone, Le Cardinal Domenico Morone

Petrus Paulus Rubens, Tête de vieil homme
 
 Le musée en expose deux mais l'autre avait vraiment trop de reflets. Déjà, pour celle-ci, ce n'est pas fameux.

Trône du IIe siècle

Baptisé "trône Corsini", un magnifique témoignage antique. Ces trônes furent parfois conservés dans des églises, ce qui permit leur préservation.


Carlo Maratta, Vierge à l'Enfant avec Saint Jean-Baptiste

La réunion des deux bambins apparaît souvent dans la période baroque, car elle permet de montrer de vrais enfants, jouant naturellement.

Garofalo, Sainte Famille avec Sainte Elisabeth et Saint Jean-Baptiste

Celle-ci est particulièrement tendre. Les couleurs intenses de Garofalo semblent moins caractéristiques que sur d'autres toiles.

Benedetto Luti, Portraits
 
Comme Carriera, Luti fut célèbre pour ses talents de pastelliste.

Rocco Marconi, Le Christ et la femme adultère

Riche composition qui semble l'occasion d'une galerie de portraits.

Barthel Bruyn, Le Cardinal Bernardino Clesio

Sujet romain mais peintre de Cologne. Et tout de suite on mesure la différence de style avec les portraits précédents.

Hans Maler, Wolfgang Tanvelder
 
Même chose avec le peintre d'Ulm ; à comparer avec le beau portrait exposé au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

2 commentaires:

  1. Still a pleasure to visit an art gallery with you! A clever guided tour with many
    texts!!
    Thanks for this lovely cultural post..
    Annie

    RépondreSupprimer
  2. Passionnante visite avec tous vos riches commentaires qui permettent d'apprécier les tableaux. Félicitations.
    Marian

    RépondreSupprimer

Un grand merci de prendre le temps de laisser un commentaire. Je promets de le lire aussi vite que possible.
N'hésitez pas à signer votre message, ce sera encore mieux : je n'ai AUCUN moyen de connaître votre nom, votre e-mail, ou votre blog.
Si vous préférez que vos coordonnées n'apparaissent pas, mais que je vous réponde en privé, utilisez le formulaire de contact, accessible sur la version web du blog.