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lundi 7 septembre 2020

Rome : Caravage et caravagesques à la Galerie Nationale


La Galerie Nationale de Rome (Galleria Nazionale di Roma), dans le Palais Barberini, possède trois extraordinaires tableaux du Caravage, dont la Judith qui est un de mes préférés. Je vous propose une petite visite.


Le Caravage


Le Caravage, Saint François en méditation

Le Saint François en méditation est si proche de celui du musée des Capucins que c'en est troublant ; a-t-on bien regardé ? Une des deux ne serait-elle pas une copie ?

Les spécialistes se sont posé les mêmes questions et ont authentifié les deux versions, en donnant à celle-ci l'ancienneté. Il ne s'agit d'ailleurs même pas d'une copie, mais d'une première proposition extrêmement proche, juste séparée par de menues différences. Si on regarde bien, on voit que la position de la tête est très légèrement modifiée dans la seconde et que les plis de la bure ont été transformés. Mais cela rappelle vraiment les jeux des 7 erreurs de mon enfance, et je me demande si les deux tableaux ont été présentés côte à côte dans une exposition pour permettre de constater cela de visu.

Le Caravage, Saint François en méditation
(Rome, Musée des Capucins)

Le Caravage, Saint François en méditation (détail)

La lumière de la version Barberini me paraît plus chaude, mais c'est toujours difficile d'être affirmatif sur ce point ; l'éclairage du musée joue tellement ! 

Ce qui est très troublant, c'est la ressemblance de ce Saint François avec les autoportraits que Caravage a disséminés dans ses tableaux. Il y a plus qu'une similitude, on a le sentiment qu'il se représente dans le saint. Cela ouvre des perspectives passionnantes. On a mis ouvertement en avant le côté bad boy du peintre, prompt à saisir sa lame, criminel ; l'homme tué était cependant un affreux milicien, et il s'agit d'un combat à l'épée, ce n'est pas tout à fait la même chose qu'un meurtre. Et l'enjeu était la belle prostituée qui posa pour Judith, Caravage sort de l'affaire en preux chevalier. Cette réputation a été abondamment amplifiée par des peintres jaloux, et lui colle encore à la biographie.

Cependant il y a chez Caravage un désir, un besoin même de repentance, lui qui ira jusqu'à montrer sa tête coupée en Goliath, dans le tableau de la Galerie Borghese. L'humilité, la bonté de Saint François lui convenaient plus qu'on voulait bien le reconnaître. Et dans cette scène où le saint médite, je vois bien le peintre s'interroger sur le sens de la vie, sur le mystère de la condition humaine, lui qui l'a fouillée et nous la montrée comme jamais.


Le Caravage, Narcisse

Le mythe de Narcisse est raconté par Ovide dans Les Métamorphoses ; le jeune homme n'aurait pas dû repousser Echo, la nymphe tombée amoureuse de lui. La soif le conduisit à une source et il y aperçut pour la première fois son reflet. La suite est bien connue : il ne put en détacher ses yeux et succomba de langueur.

Cette toile, venue à l'exposition de Vienne (et d'ailleurs souvent prêtée), est admirable dans ce qu'elle montre autant que dans ce qu'elle ne montre pas. Si le Caravage sait peindre des natures mortes avec virtuosité (Le Jeune Homme à la corbeille de fruits) et la nature avec délicatesse (Saint François en extase), il se concentre souvent sur ce qui l'intéresse : l'être humain, ce qu'il pense, ce qu'il ressent. La douceur avec laquelle il peint cet émerveillement si précieux à l'art baroque, la légèreté de cette main dans l'eau qui crée le contact avec l'image m'ont toujours fasciné.
Rappelons qu'on voyait dans Narcisse un père fondateur de la peinture car il était au contact, pour la première fois, avec l'image.

Le Caravage, Judith et Holopherne

Comme je l'écrivais, cette Judith est pour moi un des super-chefs d’œuvre du Caravage, et une de mes toiles préférées de toute l'histoire de la peinture.

Retour au texte : le Livre de Judith dans la Bible relate en un long passage en plusieurs moments l'aventure de la jeune Judith, chargée de tuer l'Assyrien sanguinaire Holopherne et de sauver son peuple. Le général, fou de désir, et l'a conviée dans sa tente.
"Judith s'avança vers le montant du lit, proche de la tête d'Holopherne, elle en détacha son sabre, elle s'approcha du lit, empoigna la chevelure d'Holopherne et dit : " Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël. "
Par deux fois, elle le frappa au cou, de toute sa vigueur, et en détacha la tête.
"

Ce récit biblique eut un fort impact dans notre Moyen-Age, où la littérature cloîtrait généralement les femmes dans des châteaux ou des abbayes. Cette femme, chargée d'une mission comme un homme, qui se conduit comme un homme, stupéfiait les esprits. Aussi on trouve toute une série de représentations, jusqu'à Gustav Klimt qui en donne une version célèbre.

Lucas Cranach, Judith

Les deux représentations principalement retenues étaient généralement Judith avec la tête, après l'exécution, ou...

Anonyme français du XVe siècle, Judith et Holopherne

 Judith brandissant l'épée, juste avant de décapiter Holopherne.

Le Caravage n'est pas le premier à choisir un autre moment de l'histoire, mais celui-ci a été très rarement illustré : celui, précisément, où Judith tranche la tête.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

Comme toujours, c'est une histoire de regards et de mains que trace le peintre pour nous émouvoir ; l'Assyrien, sidéré, lève les yeux au ciel et pousse un cri.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

La belle Judith n'est pas vraiment l'héroïne convaincue et pleine de fougue que d'autres peintres peignent avec panache ; un peu surprise, elle semble dégoutée par le meurtre et le sang.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

Le texte biblique précise que Judith était "belle et très séduisante" et que, pour l'occasion, elle portait " toute sa parure féminine". Le Caravage choisit une courtisane qu'il utilise à plusieurs reprises comme modèle et la peint d'abord poitrine nue. Il ajoute ensuite un corsage, mais si léger que la poitrine transparaît et les tétons pointent sans ambiguïté. Érotisme donc.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

Comme une fameuse jeune fille de Vermeer, elle porte une perle à l'oreille pour rappeler la parure du texte. Le nœud forme un petit papillon troublant, que j'ai dans l’œil depuis la première fois que j'ai vu ce tableau.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

La détermination, la fougue, c'est cette inoubliable servante qui la montre, avec un regard concentré et fixe. On l'a comparée à un batracien et l'hypothèse court toujours que Le Caravage aurait pêchée cette tête parmi les caricatures de Léonard de Vinci.

Je ne prétends nullement être un spécialiste et un universitaire qui a passé sa vie à approfondir la peinture a de bien meilleurs arguments que moi. Cependant, il me semble que si Le Caravage voulait citer Léonard, il ne se serait pas contenté de le faire dans une seule toile. D'autre part, comme, à ma connaissance, il prenait toujours ses sujets dans le peuple, et donc bien vivants, il me paraît très possible qu'il ait cherché une vieille Romaine, bien ridée.

Quel que soit l'origine, c'est un portrait d'une force sans égale. Et je ne le trouve pas caricatural ; je sens toujours chez le Caravage du respect pour ses personnages, traités toujours comme des êtres humains.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

Précisément donc. Holopherne réagit comme n'importe qui en proie à une vive douleur : il tente de se redresser du bras droit (doigts écarquillés, muscles tendus) et de la main gauche, agrippe le drap qu'il serre désespérément.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

Les mains de Judith suivent le texte ; une sur le sabre pour trancher, une sur la chevelure pour tirer. La plupart des versions y sont également fidèles. Mais c'est une excellente idée que d'avoir tendu les bras, pour montrer d'abord la vigueur de la jeune veuve, et pour éloigner les deux personnages.

Le Caravage, Judith et Holopherne (détail)

Les mains de la servante, remarquablement peintes, redoublent le regard : détermination et fermeté.

Il y a quelques années, on parla beaucoup d'une autre version, redécouverte derrière un matelas dans un grenier près de Toulouse, qui fut finalement vendue avant la vente aux enchères. J'avais eu la chance de la voir durant sa brève exposition parisienne (face à un Buren si je me souviens bien). Un tableau intéressant mais celui-ci garde ma préférence.

Je ne peux m'empêcher de penser que le peintre pose ici un problème que la Bible ne soulève pas, toute convaincue de la mission divine de Judith. Mais ce sang qui gicle vers nous était bien signifiant pour Le Caravage, qui, comme je l'ai rappelé, se battait souvent. Je trouve que le peintre nous interroge sur la légitimité de l'acte ; y a-t-il de bonnes raisons pour commettre un meurtre ? Après tout, si on ne connaît pas le récit, on ne voit ici qu'un homme sauvagement assassiné. Où est le Bien ? Où est le Mal ?

Tableau passionnant, vraiment.


Les peintres caravagesques


Massimo Stanzione, Lamentation sur le Christ mort

Stanzione n'est pas un disciple direct du Caravage, mais l'élève de Battistello Caracciolo, un des meilleurs émules du peintre.

Massimo Stanzione, Lamentation sur le Christ mort (détail)

Il compose une Pietà ravagée, où seule la Vierge est restée au pied de la Croix, Madeleine et les saintes femmes sont déjà parties.

Massimo Stanzione, Lamentation sur le Christ mort (détail)

Il ajoute un ange consolateur en prière, doucement éclairé.

Massimo Stanzione, Lamentation sur le Christ mort (détail)

Et cette lumière assez peu naturelle vient baigner le corps du Christ comme un suaire. C'est à la fois émouvant et magnifiquement réalisé.

Orazio Gentileschi, Saint François et l'ange

Gentileschi, toujours excellent peintre, est quant à lui un disciple direct du Caravage. C'est d'ailleurs lui qui, lors de son séjour à Paris, transmettra l'héritage aux peintres français, les Le Nain ou Philippe de Champaigne.

Ici il choisit de ne pas peindre l'extase de Saint François mais le moment où celui-ci revit la Passion du Christ. Le saint, épuisé, a déjà les stigmates sur les mains et l'ange vient le soutenir dans un geste délicat.

Giovanni Baglione, Amour sacré et Amour profane

Giovanni Baglione fut d'abord un peintre maniériste, proche de Nebbia ou du Cavalier d'Arpino. Il fut influencé par l'art du Caravage mais celui-ci se moqua de lui en public et Baglione lui intenta deux procès, l'accusant même de l'avoir plagié ! Tenace, il traça de lui un vrai portrait à charge (dont la réputation du Caravage fut victime pendant des décennies) dans son livre sur la peinture romaine.

Ici il se lance dans un des grands sujets du baroque, l'opposition entre amour sacré et amour profane, en conjuguant une lumière caravagesque et des effets de matière réussis.

Jusepe de Ribera, Le Reniement de Saint Pierre

Ribera arriva à vingt-cinq ans à Naples et c'est un vrai trait d'union entre Espagne et Italie ; il reçut et assimila brillamment la leçon caravagesque, dont il devint un des meilleurs représentants napolitains, tout en côtoyant ses compatriotes comme Velasquez.

Le Reniement de Saint Pierre fut abondamment traité par les disciples du Caravage, mais la particularité de la version de Ribera est qu'il reprend la dynamique de la Vocation de Saint Matthieu, avec ses gestes narratifs. Table, cadre resserré, lumière rasante en sont presque des citations.

Jusepe de Ribera, Saint Grégoire le Grand

Principe caravagesque de naturalisme ici ; les attributs (colombe, mitre) de Saint Grégoire sont là mais c'est avant tout un vieil homme concentré qui écrit. La virtuosité de Ribera est perceptible dans les chairs (les mains sont admirables) comme les matières, avec un tissu rouge étourdissant.

Jusepe de Ribera, Saint Jacques le Majeur

Ribera, l'Espagnol de Naples, devait bien peindre le saint patron de l'Espagne. Il le représente ici en pèlerin, avec bourdon et coquille. Un rocher suffit au décor, la leçon est bien retenue. Et il s'intéresse évidemment au charisme du saint qu'il manifeste par un regard concentré, direct, presque magnétique.

Bernardo Strozzi, La Charité de Saint Laurent

Saint Laurent, le martyr romain honoré dans une superbe basilique, suscita à Rome une foule de retables ; plus que la scène du grill, c'est celle de La Charité (appelée aussi Les Aumônes) que l'on voit le plus souvent dans l'art baroque.

Le Gênois Strozzi fut largement influencé par Le Caravage mais le milieu cultivé et international où il baignait lui permit aussi d'admirer des œuvres de Rembrandt et surtout de Rubens, qui imprégnèrent à leur tour son art. Il a construit ici un tableau tout en contrastes, ombre / lumière évidemment, mais aussi tissu / métal ou richesse / pauvreté.

Astolfo Petrazzi, L'Amour vainqueur

L'allégorie Omnia vincit Amor (L'Amour vainc tout), tiré des Eglogues de Virgile, connut une fortune durable au XVIIe siècle. Petrazzi illustre clairement son sujet ; son Eros, encore muni de son arc, surmonte (écrase, même) des objets symbolisant les arts (palette de peintre, violon, théorbe au fond), le savoir (les livres, le globe, la règle) ou les biens terrestres (l'épée, l'armure, la couronne).


Bartolomeo Manfredi, Bacchus et un buveur

Manfredi eut la réputation, de son vivant, d'être un des meilleurs disciples du Caravage ; "il peignait avec les yeux du Caravage" déclara son biographe Bellori. Et effectivement la dimension naturaliste apparaît clairement ici, avec une scène assez rare mais très sensuelle. Il pourrait s'agir d'une allégorie de l'automne.

Gerrit van Honthorst (?), L'Artiste dans son atelier

Honthorst, pas Honthorst ? Ce pourrait bien être une peinture du grand virtuose de la lumière, dans ce magnifique travail sur la réverbération lumineuse, fascinant à détailler.

Le vrai sujet est cependant l'héritage du passé, avec la tête de Niobe et celle de Sénèque modelée par Guido Reni (j'ignorais qu'il fût aussi sculpteur) qui pousse à l'étude. On a l'impression de pénétrer dans l'intimité de l'artiste.

Hohannes van Bronchorst, Bethsabée reçoit la lettre de David

Le roi David (celui qui a tué Goliath quand il était jeune), musicien, auteur de poèmes (les Psaumes), n'est pas à son avantage dans cette histoire de Bethsabée : il a aperçu Bethsabée à son bain, en est tombé amoureux et il lui envoie une lettre pour aller plus loin. La suite ressemblera à un roman policier : il sera l'amant de Bethsabée, décidera de se débarrasser du mari encombrant, Urie le Hittite, mais sera puni pour ses méfaits.

Les peintres se sont jetés dès le XVe siècle sur cette occasion en or de représenter une scène biblique avec une femme presque nue, d'où le grand succès des Bethsabée au bain ou de l'autre baigneuse, Suzanne, matée par les vieillards. La scène de la lettre est toujours moins érotique mais plus intériorisée. La servante a apporté la missive, elle a été lue, les émotions sont perceptibles chez Bethsabée.

Bronchorst compose son tableau avec ingéniosité ; geste narratif de la servante, mélancolie de Bethsabée qui ombre son visage, et ce n'est qu'ensuite qu'on repère David en voyeur embusqué sur le palais en arière-plan.

Hendrick Ter Bruggen, Le Concert

Ter Brugghen, le spécialiste des tableaux de concert, voyagea à Rome où il assimila rapidement la "manière" caravagesque. Ses concerts sont finalement l'équivalent des "bonne aventure" du Caravage, revisitées. Ici pas de voleuse embusquée mais un duo tout en opposition, où la sensualité des chairs et la maîtrise des matières prouvent que cette manière-là a été bien digérée.

Lionello Spada (?), Le Couronnement d'épines

Vraisemblablement de Lionello Spada, le meilleur caravagesque de Bologne, voici un Couronnement d'épines bien original ; le format retenu est le paysage alors que le sujet était généralement traité en portrait, même si le Caravage avait ouvert la voie avec son Couronnement d'épines de Vienne. Les forts contrastes de lumière insistent sur la dissymétrie de la scène, et les postures des bourreaux au premier plan, en déséquilibre, renforcent le dynamisme. Intéressant tableau.

Lionello Spada, Saint Jérôme

Il y a peut-être un peu trop d'objets pour croire au Caravage, mais avec un regard rapide, on s'y croirait. Fond obscur, vieil homme admirablement peint, tissu rouge (bon, c'est Saint Jérôme, ce n'est donc pas rare)...

Et, avez-vous vu ? Saint Jérôme porte des lunettes ! Au siècle où se développe l'optique, cela aide même les saints. Le Caravage aurait adoré !

Valentin de Boulogne, Le Jugement de Salomon

Valentin de Boulogne fut un des premiers à assimiler les caractéristiques de la peinture du Caravage, et il en est, je pense le meilleur représentant parmi les artistes français. Il passa la moitié de sa vie à Rome et comme l'illustre modèle, fut un buveur, un peu bagarreur. La première mention de sa présence à Rome est une plainte déposée contre lui et il mourut noyé, complètement ivre, dans la fontaine du Triton !

Outre le fort contraste lumineux et les thèmes récurrents (diseuse de bonne aventure, personnages attablés), il a repris également les cadrages serrés, l'absence généralisée de décor et les attitudes dramatiques. J'avais publié quelques tableaux à l'occasion de la belle exposition du Metropolitan Museum.
Valentin de Boulogne, Le Christ chassant les marchands du temple

La grande toile (plus de 2,50 m de large) est pleine de force et de violence, ramassée au premier plan. Le geste du Christ, saisi dans l'action comme le montre souvent Le Caravage (dans Le Martyre de Saint Matthieu par exemple), se propage en ondes qui repoussent les marchands vers la droite. L'opposition des visages est frappante ; surprise, colère ou effroi chez les marchands et, malgré la vigueur du bras soulevé, calme et détermination chez le Christ.

Valentin de Boulogne, La Cène

Fait inhabituel, cette Cène ne fut pas destinée à un lieu religieux mais au palais d'un riche collectionneur, Asdrubale Mattei. Valentin conserve le format horizontal traditionnel au sujet (l'exemple le plus fameux demeure sans doute la Cène de Léonard de Vinci) mais en resserrant les personnages, disposés en parfait équilibre. Ce n'est sans doute pas un hasard si le pli de la toile représente une croix.

Charles Mellin, Madeleine pénitente

La Madeleine pénitente fut un sujet à succès dans la Rome baroque, et les Barberini s'en firent peindre des séries. Ils commandèrent cette version à Charles Mellin, un peintre nancéien venu à Rome ; il décora entre autres la chapelle de la Vierge à Saint Louis des Français. Sa proximité avec Vouet se sent ici, dans la palette comme dans le traitement des chairs. Ce n'est pas une Madeleine dramatique mais une belle rêveuse qui nous est présentée.

Matthias Stom, Samson et Dalila

Comme Judith, Dalila est une femme qui utilise ses charmes pour conquérir un homme, mais cette fois-ci c'est elle l'ennemie, la Philistine, et Samson, affaibli, représente l'espoir du peuple juif. Avant de devenir un célèbre sujet lyrique chez Haendel ou Saint-Saëns, ce thème inspira assez peu les peintres (un fameux Rubens, c'est tout ce qui me vient à l'esprit), alors que la force de Samson tuant un lion était souvent représentée.

Venu à Rome, Mathias Stom fut fortement influencé par Le Caravage et ses disciples comme Ribera et se spécialisa dans les scènes religieuses. Il retient ici le moment précis où Dalila coupe les cheveux de Samson pour l'affaiblir (sa vigueur résidait dans sa chevelure), et s'inspire fortement de Judith et Holopherne : composition serrée, homme allongé, servante efficiente à droite, rideau à l'arrière comme seul élément de décor...

Guido Reni, Madeleine pénitente

Comme Mellin, Guido Reni, le peintre de Bologne, a mis peu de pathos dans ce tableau, malgré la croix et le crucifix, et offre un autre exemple de sensualité et d'élégance.

Le Guerchin et atelier, Saint Luc

Ce beau tableau est intéressant à plus d'un titre ; c'est visiblement un portrait qui est présenté, avec des traits léonins qu'on pourrait identifier. Le Guerchin associe Saint Luc à son évangile avec les livres, les plumes et l'encrier, ainsi qu'au taureau, l'animal du tétragramme, mais il n'oublie pas la légende selon laquelle la Vierge lui serait apparue pour qu'il lui tire le portrait. Donc ici, il met en évidence les attributs du peintre : dessin à la sanguine (la fameuse Vierge à l'enfant), palette et même des éléments de chevalet.

Le Guerchin et atelier, Saül et David

Le roi Saül est jaloux du succès du jeune David ; pendant que celui-ci lui joue de la harpe pour le calmer, il est pris de folie et tente de le tuer de sa lance.

On mesure bien ce que ce tableau doit au Caravage, dans la composition comme dans la lumière, mais c'est vraiment une version bien trop aimable et adoucie. Pas plus de folie furieuse que d'effroi ou de panique ! Il reste un beau tableau, avec des couleurs superbes (le bleu du Guerchin est bien mis en valeur) et une excellente technique (élégante main de David par exemple).

Le Guerchin, La Flagellation

Cette fameuse Flagellation, abondamment reproduite, semble proche du tableau précédent avec son arrière-plan de ciel tourmenté et de colonnes. La bonne idée du Guerchin est de montrer juste le moment qui précède, de créer ainsi une attente. Cela permet d'insister sur la colonne, dont la peinture reprend évidemment la relique romaine conservée à Santa Prassede.

Le Guerchin, Saint Jérôme cachetant une lettre

Si Saint Jérôme dans le désert est sans doute un des saints les plus représentés, ce tableau du Guerchin s'en distingue par son récit insolite ; au lieu de méditer, de souffrir, ou d'écrire, ici Saint Jérôme appose un sceau sur une lettre, sans doute adressée au pape Damase.

Je trouve ce tableau extraordinaire : lumière crépusculaire, paysage cauchemardesque, voilà un décor inhabituel. Mais le choix de l'action, avec l'épaule droite relevée et le geste de pression, le regard concentré, tout cela confère au personnage une puissance, une autorité rares.

Giovanni Lanfranco, Saint Luc guérissant l'enfant hydropique

Lanfranco, le prolifique peintre romain, déçoit rarement et il réussit à combiner dans ce tableau un Saint Luc évangéliste (livre, taureau), peintre (palette, pinceaux, toile), plein d'inspiration, et un enfant hydropique (victime de rétention d'eau) d'un réalisme saisissant. Ce dernier élément rappelle la véritable profession de Luc, un médecin grec reconnu. Saint Paul le nomme d'ailleurs "medicus carissimus", très cher médecin.

Le Dominiquin, La Vierge avec Saint Pétrone et Saint Jean l'Evangéliste

Le Dominiquin peignit ce grand retable pour l'église des Bolognais à Rome, et il y plaça donc Saint Pétrone, le saint de Bologne, aux côtés de Saint Jean ; grande toile délicate où, comme on le voit souvent chez Lorenzo Lotto, les putti s'amusent et font des bêtises.

Le Dominiquin, La Vierge avec Saint Pétrone et Saint Jean l'Evangéliste
 (détail)

Le Dominiquin, La Vierge avec Saint Pétrone et Saint Jean l'Evangéliste
 (détail)
De son vivant, Le Dominiquin avait la réputation d'être un fin connaisseur de musique, et il n'est pas impossible qu'il jouait lui-même d'un instrument. Il crée ici un véritable petit ensemble de musique avec ses anges charmants (que je trouve bien féminins, ils me font penser aux jeunes filles de Vivaldi, un siècle plus tard) ; l'instrument du bas est un cornet, l'ancêtre de la famille des cuivres. Au-dessus, une harpe est peinte avec beaucoup de précision. Spécialité romaine, la harpe était utilisée au sein de la basse continue (les notes les plus graves qui assurent l'harmonie).

Le Dominiquin, La Vierge avec Saint Pétrone et Saint Jean l'Evangéliste
 (détail)

Les instruments à cordes sont regroupés à droite ; violon en haut, viole de gambe en bas. C'est tout l'effectif nécessaire pour jouer une Sonata a tre, très en vogue dans le milieu bolognais, et également jouée pendant la messe.

On  pourrait objecter que ce tableau a bien peu d'éléments caravagesques, et pourtant, comme je l'avais signalé dans l'article sur les Caravage de Saint Louis des Français, le séjour du peintre chez son protecteur, le cardinal Del Monte, lui ouvrit de nouveaux horizons artistiques. Le Caravage découvrit la collection d'instruments de musique et apprit à jouer de la guitare. Cette expérience multisensorielle influença sa peinture.

10 commentaires:

  1. Bravo Fred ! Bravo l'immense Caravage ! D'ailleurs, les autres me plaisent beaucoup aussi, le Guido Reni (Madeleine) et le St Jérôme de Guerchin par exemple. Merci pour le partage de ce voyage à Rome. Greg


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    1. Premier commentateur, bravo ! Merci donc doublement, Greg, autant pour ce chaleureux commentaire que pour sa promptitude.
      Eh oui, encore bravo au Caravage, qui ne finit jamais de m'enchanter !

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  2. Captivating post with your accurate texts and wonderful pictures! I still love your posts about art.
    Annie

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  4. Remarquable article, avec des commentaires brillants sur des œuvres exceptionnelles.
    Bravo

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  5. Magnifiques photos des peintures, commentaires passionnants, un régal!
    Bernard

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    1. Merci beaucoup, Bernard, pour ce chaleureux commentaire !

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