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jeudi 24 septembre 2020

Rome : l'église Santa Maria del Popolo (Sainte Marie du Peuple)



Une des plus riches églises de Rome, qui aligne les grands noms : Le Caravage, Le Bernin, Pinturicchio, Raphaël pour une fois architecte, Sebastiano dal Piombo, Sansovino... Une visite à ne pas manquer.
A l'origine se dressait ici le Mausolée des Domitii, où était enterré Néron ; il était entouré de peupliers, ce qui donna le nom de Popolo à l'église et à la place. La traduction française de Sainte Marie "du peuple" serait donc fantaisiste ! 

Le pape Pascal II y fit construire une chapelle, peut-être pour célébrer la "libération" de Jérusalem par les Croisés. Sixte IV la fit reconstruire au XVe siècle, et Andrea Bregno (grand sculpteur et architecte) qui dessina les plans avec Baccio Pontelli.

Elle fut confiée aux Augustins et un couvent fut aménagé. En 1511, Martin Luther y vécut plusieurs mois ; c'est ici qu'il conclut sa résolution de réformer l'église, donnant naissance au protestantisme.


La façade, toute simple, ne laisse guère deviner la quantité incroyable de chefs-d'œuvre qui sont abrités à l'intérieur. Son aspect actuel est dû aux remaniements du Bernin.


La structure de l'église consiste en un plan en croix avec de multiples chapelles, où les grandes familles de la ville engagèrent les artistes les plus prestigieux pour la décoration. La nef ne les laisse guère deviner.


Pourtant, la série de seize statues de saints fut dessinée par le Bernin ; ses fidèles élèves (Ferrata, Raggi, Naldini...) se chargèrent de leur exécution.

Les personnages sont assis naturellement, les pieds ballants, comme s'ils se reposaient sur les corniches.
Au premier plan, Sainte Catherine et Sainte Barbe / Barbara (on aperçoit la tour derrière les genoux), puis Sainte Dorothée et Sainte Agathe, et enfin Sainte Thècle (une sainte d'Asie mineure, comme Barbara) et Sainte Apollonie.

Le chœur de Bramante



Le pape Jules II (celui qui demanda le Moïse à Michel-Ange) voulut prolonger l'abside et il passa commande auprès de Bramante, grand architecte des Marches, chargé de projets prestigieux dans toute l'Italie, et notamment de la basilique Saint-Pierre.



Voûte avec les fresques de Pinturicchio

Pinturicchio, à l'œuvre dans la chapelle della Rovere, se vit confier les fresques du plafond. Il choisit un programme à médaillons, avec docteurs de l'église, évangélistes et sibylles.

Pinturicchio, Le Couronnement de la Vierge

Au centre, il représenta un  Couronnement de la Vierge assez solennel ; mais le pied en avant suffit à donner un peu de dynamisme à sa représentation.

Andrea Sansovino, Monument du Cardinal Girolamo Basso Della Rovere

A l'arrière, les deux monuments funéraires révèlent une structure de la Renaissance, qui évoque le fameux tombeau de Jules II. La fine décoration, le style des personnages renvoient également à cette époque. 

Leur auteur est Andrea Sansovino, un des plus célèbres sculpteurs de l'époque, dont le talent éclata à Florence ; il fut appelé à la cour du Portugal, travailla dans toute l'Italie (Gênes, Volterra, Notre-Dame de Lorette...) et ses dix années à Rome furent particulièrement fructueuses. D'ailleurs, il sculpta d'autres monuments funéraires, comme celui de Pietro Manzi à l'Aracoeli.

Andrea Sansovino, Monument du Cardinal Ascanio Sforza

C'est Sansovino qui inventa cette position ; jusqu'à présent on représentait le personnage allongé, dans la position du mort. Sansovino choisit de montrer un vivant, tournant le dos à des siècles de tradition gothique. Cette véritable révolution révèle bien plus qu'un changement de style. Il ne s'agit plus de pleurer un défunt mais d'honorer une personne. Sansovino était un ami proche de Raphaël, un des grands artistes de cette église. Les tombeaux datent de 1507 ; je me plais à imaginer un vaste chantier avec ces grands artistes travaillant à proximité l'un de l'autre !


Afin de pouvoir peindre sur le dôme, on construisit une mince enveloppe de briques. Un peintre inconnu conçut une fresque tournoyante progressivement éclairée vers le centre pour lui donner davantage d'élévation.

La chapelle della Rovere

La puissante famille des della Rovere possédait des duchés dans plusieurs régions (Pesaro, Asti, Urbino) et fournit deux papes, Sixte IV et Jules II. Si vous avez bien suivi, c'est le premier qui fit reconstruire l'église, donc il n'y a rien d'étonnant à voir ici deux chapelles familiales.

Chapelle della Rovere, avec la balustrade d'Andrea Bregno

Les della Rovere montraient beaucoup de goût dans le choix des artistes. Andrea Bregno, déjà chargé des plans de toute l'église, dut se régaler à sculpter cette charmante balustrade.

Andrea Bregno, Monument funéraire du cardinal Cristoforo della Rovere

Dans ce monument funéraire, il conserve la tradition du défunt couché.

Pinturicchio, La Nativité avec Saint Jérôme


L'élève du Perugin Pinturicchio fut appelé, avec son maître, à travailler à l'immense chantier de la chapelle Sixtine. Sixte IV, le commanditaire (Sixte IV, Sixtine, vous suivez ?), apprécia beaucoup ses peintures. Après le cycle de Saint Bernardin à l'Aracoeli, il revint souvent à Rome. Sauf erreur de ma part, ses fresques de Santa Maria del Popolo demeurent ses dernières œuvres romaines, de 1509.

Sa Nativité aux couleurs si fraîches est un délice de détails : le bœuf qui nous regarde, les brins de chaume qui se détachent du toit, l'agneau qui tête sa mère sur le plateau à gauche... Joseph est représenté en dormeur pour bien signifier qu'il n'a pris aucune part à la conception de Jésus. Les bergers arrivent de la gauche, l'un d'eux est déjà en adoration. Du coup, la fresque porte divers noms outre le plus courant que j'ai mentionné : L'Adoration des bergers, L'Adoration de l'Enfant...

Pinturicchio et Tiberio d'Assisi, Scènes de la vie de Saint Jérôme

Les voussures sont ornées de grotesques, ces motifs si populaires à la Renaissance. Le cycle de Saint Jérôme se décline en scènes obligées : la pénitence dans le désert à gauche, l'épine ôtée de la patte du lion au centre, Saint Jérôme et Saint Augustin au travail dans un bureau.
 

La chapelle Cybo

 

La chapelle Cybo avec les monuments de Cavallini

La chapelle Cybo fut dessinée par Carlo Fontana, une star de l'époque, habitué de ces commandes de chapelles privées comme l'Albani à San Sebastiano, mais aussi de la majestueuse basilique des Saints Apôtres. Les tombes des cardinaux Cybo, de part et d'autre comme toujours, furent exécutées par Francesco Cavallini.

Carlo Maratta, L'Immaculée Conception


L'Immaculée Conception, l'idée d'une Vierge sans péché, datait des débuts de la Chrétienté mais le Concile de Trente la réaffirma avec force et cette théorie était brandie dans la Rome de la Contre-Réforme. C'est sans surprise qu'on la voit sur de nombreux retables de la ville. La version de Maratta est une des plus célèbres ; il reprend des éléments du texte, la Lune aux pieds et le Soleil autour de la tête, et fait intervenir Saint Grégoire, le Père de l'église, avec sa colombe et son livre.

Luigi Garzi, Le Père éternel en gloire

Garzi fut élève de Sacchi, mais aussi de Maratta, d'où sans doute sa présence ici. Représentation courante en période baroque de Dieu le Père au milieu de nuages moutonneux.
 

La chapelle Basso della Rovere


La chapelle Basso della Rovere avec les fresques de Pinturicchio

Après la chapelle della Rovere, la seconde porte le nom d'une branche de la famille. Un des deux tombeaux de Sansovino était celui du cardinal Basso della Rovere, le neveu de Sixte IV. La décoration, très élégante, emploie le trompe-l'œil pour créer colonnes et bas-reliefs. A gauche de la Vierge à l'Enfant, Saint Augustin se dispute avec les païens. Comme dans la précédente, la famille eut la bonne idée de solliciter Pinturicchio pour concevoir tout le décor peint.

Pinturicchio, Vierge à l'Enfant et saints

Pinturicchio peint une classique Vierge à l'Enfant sur le trône en conservant la tradition médiévale. Dans le quatuor de saints, je reconnais Augustin et François, sans doute Antoine de Padoue, mais le quatrième me pose problème. Un moine, mais lequel ?

Et Pinturicchio ne déçoit pas avec un paysage ravissant !
Pinturicchio, L'Assomption

Un autre paysage exquis pour cette Assomption à deux niveaux ; terre et ciel sont clairement séparés, la Vierge est même isolée par une mandorle bordée de putti et entourée d'anges solidement campés sur leurs nuages. 

Au-dessous, dans la fausse architecture, le bas-relief en trompe-l'œil présente une Crucifixion de Saint Pierre, tête en bas.

Pinturicchio, Scènes de la vie de la Vierge

Les cinq lunettes, ces demi-cercles à la base de la voûte, complètent le cycle de la Vierge. La Nativité de la Vierge à gauche, la Présentation de la Vierge au Temple ensuite.

Pinturicchio, Scènes de la vie de la Vierge

Le récit se poursuit avec l'Education de la Vierge, où la lectrice s'est assise devant un bureau sculpté et doré.

Pinturicchio, Scènes de la vie de la Vierge

A droite, un prêtre avec le chapeau légendaire unit la Vierge et Joseph.

La chapelle Costa

A l'origine, c'était une troisième chapelle della Rovere. A y être... Elle fut concédée au cardinal portugais Jorge da Costa pour des raisons diplomatiques (il était un proche influent du pape Alexandre VI) ou pécuniaires (il dut payer deux cents ducats d'or, somme considérable).

Cette chapelle présente deux particularités : elle est hexagonale et et la partie inférieure est uniquement minérale. 

La chapelle Costa avec le triptyque en marbre

C'est sans doute Gian Cristoforo Romano qui sculpta le triptyque à droite ; Saint Vincent y porte un voilier, la roue brisée accompagne Sainte Catherine et Saint Antoine de Padoue tient le lys. 

A gauche, le monument funèbre du cardinal da Costa est surmonté d'une ravissante Vierge à l'Enfant en mandorle avec deux anges, réalisation de l'atelier d'Andrea Bregno.

Entre les deux, Luigi Poletti et Matteo Kassel érigèrent un petit monument avec la tête de Vincenzo Casciani, décédé à l'âge de neuf ans.

atelier de Pinturicchio, fresques 

Les élèves de Pinturicchio peignirent les fresques de la voûte, avec un sobre ciel étoilé. Autour du blason des Costa on reconnaît les Pères de l'église, peints sans doute par Pinturicchio lui-même.

Pinturicchio, Saint Grégoire

Saint Grégoire s'accompagne évidemment de la colombe et du livre.

Pinturicchio, Saint Ambroise

Saint Ambroise tient un fouet ; la tradition assure qu'il aurait chassé avec cet instrument les hérétiques ariens hors d'Italie.

Pinturicchio, Saint Augustin

La crosse et la mitre permettent de reconnaître Saint Augustin, qui baisse doctement les yeux.

Pinturicchio, Saint Jérôme

On ne déroge pas à la tradition avec le lion et la tenue de cardinal pour Saint Jérôme. Le félin relève du conte, la pourpre cardinalice de l'anachronisme, mais au moins le livre rend hommage à ce grand intellectuel !

Jacopo d'Andrea da Firenze, Monument funèbre de Marcantonio Albertoni

Marcantonio Albertoni, un jeune chevalier romain, mourut de la peste à l'âge de trente ans. Le monument funèbre créé par le sculpteur florentin est très sobre.

Giovanni da Stefano, Monument à Pietro Foscari

Monument inhabituel, auquel l'utilisation de deux matériaux donne une curieuse impression réaliste. Le sculpteur siennois Giovanni da Stefano (personnage mystérieux, réputé jeteur de sorts) a fait preuve de virtuosité dans le traitement des tissus, robe, gants, mitre. Pour obtenir un visage exact, il utilisa un moulage fait sur la face du mort.

Pietro Foscari, membre d'une famille qui donna plusieurs doges, était, bien sûr, cardinal de Venise. C'est lui qui fit aménager la chapelle Cerasi. Dans l'église voulue par un pape, établir une position sûre était un choix politique de premier plan.

Atelier de Pollaiuolo, Monument à Giorgio Bracharin

Dans le sol, la plaque sculptée présente encore une autre version de monument funèbre ; l'archevêque Bracharin, les mains jointes, y pose la tête sur un précieux coussin brodé à ses armes. Le tissu était onéreux, et un coussin toujours un signe extérieur de richesse !

Le transept droit


L'autel du Bernin

Le Bernin dessina cet ensemble mais confia les anges à ses élèves Arrigo Giardè et au plus fameux Ercole Ferrata, un nom qu'on retrouve souvent à Rome. La Sainte Agnès dans l'église du même nom, par exemple. 

Giovanni Maria Morandi, La Visitation


Le retable de Giovanni Maria Morandi, un peintre florentin, représente une Visitation assez étrange. Le modèle canonique de la scène, c'est deux femmes qui se rencontrent et se prennent souvent les mains,  comme dans la fresque de Ricci à San Francesco a Ripa. Ici Elisabeth invite sa parente à entrer chez elle, et Zacharie débarrasse, à droite, Joseph de son sac. Les angelots s'amusent un peu partout, et il s'agit bien plus d'enfants que de créatures divines, comme chez Lorenzo Lotto. Tout cela se déroule à Rome, on reconnaît le temple de Vesta et le château Saint-Ange ! 

La tribune du Bernin

Le Bernin conçut également les deux tribunes d'orgue. Pour la sculpture, le ciseau était tenu par un autre élève célèbre, Antonio Raggi, l'auteur du Danube dans la Fontaine des Fleuves de la Piazza Navona.

La chapelle Cerasi

La plus célèbre des chapelles de Santa Maria del Popolo, c'est sans doute la Cerasi. Pas par sa taille ( ce n'est guère plus qu'un couloir), mais par les œuvres fameuses qu'elle abrite.

A l'origine, c'était la chapelle Foscari qui abritait la statue du cardinal couché (aujourd'hui dans la Costa) mais elle fut rachetée par le trésorier du pape Clément VII, Tiberio Cerasi, qui fit préciser dans le contrat qu'il pourrait l'aménager comme il le souhaitait. 
 
La chapelle Cerasi

Cerasi ne lésina pas sur les moyens et se paya les artistes vedettes du moment : pour l'architecture, Carlo Maderno, l'auteur de Santa Maria della Vittoria ou de Sant'Ignazio, qui réussit à donner l'impression d'un espace augmenté.

A droite au premier plan, se dresse le monument funéraire de Cerasi, décédé avant l'achèvement des travaux.

Annibale Carracci, L'Assomption de la Vierge

Annibale Carracchi peint ici une composition assez complexe : la Vierge s'élève hors du tombeau, cernée par une foule d'anges. Certains putti malicieux émergent de sa robe qu'ils semblent soulever. A l'avant, Pierre et Paul manifestent leur stupéfaction. A l'arrière-plan, Saint Jean, à gauche, se distingue par son visage juvénile des huit autres apôtres présents.

Malgré cet encombrement, le tableau fonctionne par la rigueur de la palette, basée sur les couleurs primaires ; le visage confiant et glorieux de la Vierge me semble une autre réussite.

Le Caravage, Le Crucifiement de Saint Pierre

Evidemment, ce bon tableau tient mal la comparaison avec les extraordinaires chefs-d'œuvre du Caravage qui l'entourent. C'est bien pour eux que viennent généralement les visiteurs dans cette église. Je ne viens pas que pour eux, mais je ne pouvais les manquer dans mon itinéraire Caravage du jour !

Comme avec le cycle de Mathieu de la chapelle Contarelli, les premières versions furent refusées. C'est ce que raconte Giovanni Baglione, langue de vipère experte, mais il semblerait qu'on puisse le croire.

La tradition établie par un texte apocryphe, les Actes de Pierre, soutient que l'apôtre fut crucifié tête en bas. C'est d'ailleurs ce que montrait la version précédente de Pinturicchio. Le crucifiement est le terme approprié pour la mise en croix ; Pierre est déjà cloué sur celle-ci, les trois ouvriers sont en train de la redresser.

Le Caravage, Le Crucifiement de Saint Pierre (détail)

L'apôtre est un vieil homme, barbe blanche et front ridé comme presque tous les hommes âgés du Caravage (le modèle pour celui-ci se retrouve ailleurs). Vieillard, mais pas faible : on voit un corps musculeux, et les paupières mi-closes laissent deviner un regard expressif. En fait, Le Caravage a combiné une mise en espace géniale ; il regarde la Vierge dans le tableau de Carracci !

Le Caravage, Le Crucifiement de Saint Pierre (détail)

Contrairement au meurtrier éructant du Martyre de Saint Matthieu, les trois hommes ne sont pas des bourreaux, mais des ouvriers qui luttent pour redresser la croix, muscles bandés. L'effort est partout perceptible et contraste avec l'abandon du corps de Pierre.

Le Caravage, Le Crucifiement de Saint Pierre (détail)

L'un d'eux pousse de son dos, prenant appui sur la pelle. Le décor rocheux est une allusion au nom de Pierre.

Les hommes de peine sont pauvres, se bandent les pieds pour se protéger.

Le Caravage, Le Crucifiement de Saint Pierre (détail)

Les couleurs complémentaires, rouge et vert, suffisent à dynamiser la palette ocre.

Le Caravage, Le Crucifiement de Saint Pierre (détail)

Le "détail insoutenable" des pieds est mis en valeur par l'angle de la composition, même s'ils n'attirent pas l'œil en premier. Sans voyeurisme ni recherche de l'horreur, ils s'inscrivent cependant dans une thématique baroque, et montrent l'intérêt thématique du Caravage pour la souffrance humaine, présentée ici sans exagération mais sans fard.

Le Caravage, La Conversion de Saint Paul

Le second tableau est tout aussi extraordinaire ; Saul de Tarse persécute les Chrétiens, mais, alors qu'il se rend à Damas pour en arrêter quelques-uns, une forte lumière l'inonde et il est jeté à bas de son cheval. Il entend la voix divine et il se convertit immédiatement au christianisme, dont il devient un personnage essentiel sous le nom de Paul.

J'aime bien opposer ce tableau à celui de Bruegel, qui nous laissait chercher Paul dans sa Conversion. Ici le sujet déborde presque sur nous, avec un extraordinaire effet de lumière. C'était, il est vrai, un sujet rêvé pour le maître du clair-obscur.

Le Caravage, La Conversion de Saint Paul (détail)

Le cadra hyper-serré et l'obscurité évacuent tout décor, seuls comptent les protagonistes. Au premier plan, presque tombé sur nous, Paul est vêtu en soldat romain, du moins tel qu'on le voyait à la Renaissance. Les yeux fermés, il ouvre les bras.

Le cheval occupe presque la moitié de la toile ; saisi dans son mouvement, il a encore le sabot en l'air.

Le Caravage, La Conversion de Saint Paul (détail)

Sa main semble recevoir la lumière, comme pour palper la manifestation miraculeuse. Exceptionnel exemple de virtuosité picturale, une fois encore.

Le Caravage, La Conversion de Saint Paul (détail)

Le palefrenier tente de calmer le cheval et de l'empêcher de piétiner le jeune homme à terre. On ne se rend pas compte immédiatement, tant la peinture nous manipule, que l'éclairage est un tour de magie ; la lumière vient du haut de la toile, mais le visage tourné vers le bas en bénéficie également !

Deux fabuleux tableaux.

La chapelle Teodoli



Originalement accordée au Milanais Alicorni, c'est finalement Girolamo Teodoli, évêque de Cadix, qui laissa son nom à la chapelle. La famille Alicorni conclut le contrat de sa décoration avec Giulio Mazzoni, un peintre maniériste de Piacenza ; elle décida aussi de la statue de Sainte Catherine entre les deux colonnes.


Teodoli fit compléter la décoration, en ajoutant plusieurs calices, symboles de sa ville de Cadix. Malgré ses modifications, la chapelle demeure l'œuvre principale de Mazzoni, et un bon exemple romain d'un ensemble maniériste.

Le transept gauche


Le Bernin, Autel du transept gauche

Comme le transept droit, le gauche fut conçu par le Bernin et l'ange de droite par son élève Antonio Raggi (celui de gauche par Giovanni Antonio Mari, un autre disciple). 

Bernardino Mei, La Sainte Famille

Au centre, Bernardino Mei a peint une Sainte Famille assez complexe. Jésus reçoit le message d'un ange et pose de son pied un crâne envahi de serpents, en écrase même l'un d'eux. La Vierge surveille, dans le ciel, les autres anges qui apportent les instruments de la Passion (clous, croix et couronne d'épines). Le palmier, à l'arrière-plan gauche, est généralement associé à la fuite en Egypte, scène traditionnelle où toute la famille est réunie. Toutefois, dans cette rare composition, n'est pas question de repos ici, mais de destinée.


Le cardinal Bernardino Lunati est allongé sur son lit funéraire depuis 1500. C'est peut-être Andrea Bregno, peut-être un de ses élèves, qui a élaboré ce monument aux multiples statues. Sans doute un peu trop chargé.

La chapelle de la Croix (ou Cybo-Soderini)

La chapelle fut fondée par Teodorina Cybo, la fille naturelle (tiens, tiens...) du pape Innocent VIII, mais seuls des documents anciens permettent de connaître son aspect à l'époque.

La chapelle de la Croix avec le crucifix du XVIe siècle

Il n'en demeure guère que les dalles et le crucifix. Il fut l'objet d'une grande vénération ; Filippo Neri, le fondateur de l'Oratoire, serait venu y prier souvent.

Pieter van Lindt, Le Père éternel avec des anges

Tout le reste fut refait au XVIIe siècle. L'Anversois Pieter van Lindt était arrivé à Rome après son séjour à Venise et continuerait bientôt son tour d'Europe en partant pour Paris et son protecteur, le cardinal Domenico Ginnasi, facilita cette commande autour de la légende de la Croix.

Dans la voûte, autour du Père éternel, les anges brandissent les instruments de la Passion : la couronne d'épines, la croix, la lance, l'éponge...

Pieter van Lindt, L'Invention de la Croix

Sainte Hélène, la mère de Constantin, bénéficie ici de la flatteuse légende : elle découvre la croix de la crucifixion, la vraie, et un cadavre, à droite, revient à la vie. 

Pieter van Lindt, L'Exaltation de la Croix

Suite de la légende : l'empereur Héraclius ramène la Croix mais il ne peut entrer dans la ville qu'à pied, et à pieds nus.

Je ne connais que cette série de peintures de van Lindt, et je ne peux juger de son talent par ailleurs, mais elles ne m'ont jamais enchanté !


La chapelle Mellini


La chapelle Mellini avec le retable d'Agostino Masucci, Saint Augustin présente Saint Nicolas à la Vierge

Voici encore un tout autre style avec la chapelle de la famille Mellini, complètement refaite en 1620 avec des stucs blancs et dorés. Sur le retable d'Agostino Masucci, encore un élève de Maratta, figure Saint Nicolas de Tolentino à qui la chapelle est dédiée ; ce moine augustin du XIIIe siècle fut  nommé saint patron des mères, des enfants, des opprimés, ce qui peut expliquer sa grande popularité.

Dans la voûte, on retrouve le même saint avec les scènes obligées ; le miracle des roses est un grand classique de son iconographie. C'est un autre peintre qui est au pinceau, Giovanni da San Giovanni (quelle inspiration eurent ses parents !).

Pierre-Etienne Monnot, Monument du cardinal Savio Mellini

Monnot vit sa carrière romaine couronnée de succès, avec les commandes pour Saint Jean de Latran, Saint Ignace ou Saint Pierre. Son monument montre, devant une pyramide comme celle de Cestius, un cardinal au geste théâtral. Si le monument a un aspect étrange, c'est que Monnot dut le superposer à un précédent.

Au-dessus, dans les lunettes, on repère deux des Vertus de Giovanni da San Giovanni : la Tempérance éloigne son verre de vin et la Prudence place un miroir devant un serpent.

L'Algarde, Monument du cardinal Garcia Mellini

Lorsque la sculpture de l'Algarde fut présentée, elle suscita l'admiration générale tant elle comblait le goût pour le baroque du moment : piété, vivacité, réalisme.

La chapelle Chigi

Si on connaît bien le peintre Raphaël, on sait généralement beaucoup moins que comme beaucoup d'autres de ses collègues, il était également architecte. Il projeta beaucoup d'édifices, mais ses plans ne furent pas toujours retenus (la basilique Saint-Pierre), les constructions ne furent pas terminées (la villa Madama) ou furent détruites (le Palazzo Branconio dell'Aquila).

Pourtant Raphaël avait abondamment annoté ses livres d'architecture de Vitruve et il eut la réputation d'être le plus important architecte de Rome. La chapelle Chigi reste une occasion exceptionnelle de juger de son travail. Même si Le Bernin, sollicité pour deux magnifiques statues, y effectua quelques modifications minimes telles que l'agrandissement des fenêtres, la réfaction du sol ou l'ajout de marches sous l'autel.
Agostino Chigi était un banquier venu de Sienne, ami proche du pape Jules II. Il avait fait édifier une des plus extraordinaires villas de la Renaissance, La Farnesina, et avait commandé à son ami Raphaël de splendides fresques où la mythologie illustrait sa propre biographie. 

La chapelle Chigi de Raphaël

L'architecture de la chapelle est d'une fausse simplicité : un cube surmonté d'une coupole à tambour percé de fenêtres, qui s'appuie sur des pendentifs trapézoïdaux issus de Bramante. Cependant sa conception fait qu'on n'arrive jamais à la voir en entier, il faut s'y déplacer pour trouver des points de vue différents. Et ça, c'est une nouveauté signée Raphaël.
 
La coupole de Raphaël

L'entrée de la chapelle est calquée sur celle du Panthéon, prodigieux monument antique que Raphaël avait soigneusement étudié et dessiné. Et où il fut enterré, d'ailleurs. 

Dans les pendentifs, les allégories des saisons sont placées dans des tondi, ces formes circulaires. On distingue nettement l'hiver, à gauche, avec la robe rouge.

La coupole, fort originale, fut entièrement dessinée par l'artiste, mais réalisée en mosaïque par Luigi Pace. Elle présente la Création : le Soleil, la Lune et six planètes sont répartis dans les panneaux du tambour, accompagnés par un ange.

Mosaïque de Luigi Pace sur un dessin de Raphaël

Au centre, un majestueux Père éternel lève des bras impérieux ; un superbe exemple de perspective da sotto in su, qui nous donne l'impression d'un espace ouvert.

Raphaël / Le Bernin, Tombe Chigi

Les tombes furent dessinées par Raphaël, mais Lorenzetto dut les terminer et lorsque Le Bernin travailla dans la chapelle, il les modifia également. A l'époque de Raphaël, le tombeau pyramidal, toujours influencé par celui de Cestius, était totalement nouveau.

Ensemble avec les œuvres du Bernin, de Lorenzetto et de Sebastiano dal Piombo 

Les deux statues du Bernin encadrent l'autel, dont le devant est orné d'un bas-relief en bronze, Le Christ et la Samaritaine de Lorenzetto.

Sebastiano dal Piombo / Francesco Salviati, La Nativité de la Vierge

Né à Venise, Sebastiano dal Piombo se forma auprès de Bellini ; arrivé à Rome, il se lia avec Raphaël et Michel-Ange s'efforça de promouvoir sa carrière. Avec succès, puisqu'à la mort précoce de Raphaël, il gagna la réputation du peintre le plus important de la ville. Un des rares à pouvoir synthétiser les influences vénitiennes et romaines au XVIe siècle.

Sa Nativité de la Vierge reste bien originale ; la scène inférieure est découpée en plans très nets. A l'avant, l'enfant est recueillie par les servantes, c'est la scène du bain. Sainte Anne repose à distance, sur son lit. La perspective se poursuit avec l'ouverture de la porte : Joachim, le mari d'Anne, arrive pour voir le bébé et un serviteur l'accueille. Encore plus loin, on distingue une statue de la Sibylle de Tibur, qui aurait prédit la venue du Christ à Auguste (fêtée à l'Aracoeli). Et ce n'est pas tout ; dans la partie supérieure, on trouve étonnamment un Dieu supporté par des anges qui, comme chez Michel-Ange, ne portent pas d'ailes. Cette présence insolite dans la scène de la Nativité de la Vierge a fait couler beaucoup d'encre. On pense qu'elle est en lien avec l'Immaculée Conception, théorie promue par Sixte IV.

Le Bernin, Habacuc et l'Ange

Dans l'Ancien Testament, Daniel est jeté dans la fosse aux lions et condamné à mourir de faim. Le prophète Habacuc déjeune tranquillement quand un ange l'empoigne par les cheveux pour qu'il parte à Babylone donner son repas à Daniel.

Le talent du Bernin consista d'abord à placer des statues de grand format dans des niches étroites. Il parvint à conserver les éléments de l'iconographie (panier, ange qui saisit la mèche de cheveux) tout en conférant beaucoup de vie à ses personnages. L'expression étonnée d'Habacuc est remarquable !

Le Bernin, Daniel

Daniel semble en train de s'agenouiller, un lion compatissant lui lèche le pied droit. Mais le jeune homme ne s'y arrête pas, il prie avec ferveur dans un mouvement un peu théâtral mais assurément inspiré. Ses yeux se tournent vers le haut ; c'est à dire vers Dieu, dans la coupole de Raphaël. 

Lorenzetto, Jonas

A l'origine, se trouvait ici un ensemble de statues de Lorenzetto, dont demeure Jonas. Le conte du jeune homme avalé et recraché par le monstre marin était analysé comme une préfiguration de la Résurrection, d'où son succès dans l'art chrétien. 

Jonas est en train de sortir de la bête, le pied droit encore dans sa gueule, et s'entoure d'une cape, peut-être pour se sécher. La tête aurait été calquée sur une statue antique d'Antinoüs, l'amant de l'empereur Hadrien.

Le Bernin, Médaillon de la Mort

Encore une œuvre du Bernin qui refit le sol de la chapelle ; un médaillon à forte valeur symbolique. Le blason des Chigi surmonte un squelette, la famille défie la mort ! Je ne suis pas certain que cela suffise dans une église avec autant de tombeaux...

L'inscription offre une petite astuce : mors ad  caelos, la mort vers les cieux. Mais pourquoi ces majuscules au milieu des mots, Mors aD CaeLos ?

En fait les capitales indiquent l'année de la reconstruction de la chapelle, MDCL, soit 1650.

Domenico Gregorini, Monument de M.E. Boncompagni

Un monument funéraire du XVIIIe siècle pour changer. Maria Eleonora Boncompagni, la princesse de Piombino, mourut après avoir contracté une maladie contagieuse (???) en visitant un hôpital. Elle eut droit à un beau travail de marqueterie.

La chapelle Feoli

Autrefois chapelle des Borgia, elle fut démolie et l'infatigable Bernin dut proposer une nouvelle version. Ce n'est cependant pas celle que nous voyons ; Pietro Feoli ordonna, au XIXe siècle, qu'on la redécorât dans un style néo-renaissance. Pas absolument enthousiasmant selon moi.

La chapelle Feoli

La chapelle dédiée à Saint Thomas de Villanueva, un Augustin espagnol, comportait un retable baroque. Lors de la transformation, Casimiro Brugnone de Rossi le remplaça par son œuvre, un tableau néo- pas franchement réussi.

Monument du cardinal Podocataroto

Un don important au monastère permit au cardinal Podocataroto, le médecin d'Alexandre VI, d'être enterré ici. L'auteur du monument est inconnu, mais on pense qu'il s'agit d'un élève d'Andrea Bregno. Un travail soigné, et un des rares de l'église à avoir conservé des traces de dorure : on les voit nettement dans les pilastres qui entourent la Vierge à l'Enfant.

15 commentaires:

  1. Extraordinaire église ! Et une super visite grâce à tes commentaires érudits, merci beaucoup pour ce remarquable article.
    Françoise

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  2. Such an extraordinary church! You know everything on it. Thank you for your wonderful pictures with still accurate texts. Great post!
    Annie

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  3. Très très bien! Je viens de visiter la basilique et je ne retrouve pas le nom du sculpteur contemporain qui a produit le superbe Christ qui se trouve dans le choeur (près de la chapelle Cerasi. Merci si vous pouvea m'aider

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    1. Comme je vous l'ai indiqué en privé, je ne peux pas vous aider et je le regrette bien.
      Si vous êtes à Rome, n'hésitez pas à jeter un œil aux articles de mon blog car certains m'ont demandé des recherches approfondies pour les identifications et j'espère que cela pourra être utile aux visiteurs. Bon nombre d'églises sont avares en informations, hélas.
      Bon voyage !

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  4. Formidable article, hyper-documenté, où on a des infos introuvables ailleurs. Extrêmement intéressant et détaillé.
    Bravo et merci.
    Swazi

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    1. Merci beaucoup Swazi, c'est vraiment très gentil à vous !

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  5. Excellent article bourré d'images et d'informations. C'est super ! Je regrette de ne pas avoir connu avant ce site formidable.
    Laura

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    1. Merci beaucoup Laura, et toutes mes excuses pour cette réponse tardive (presque un an après, quelle honte !). Votre gentillesse fait chaud au cœur.

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  6. Beaucoup d'informations introuvables ailleurs, quantité de photos, même pour les détails.
    Article remarquable, tres complet, qui écrase la concurrence.
    Félicitations.
    Rowan

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    1. Merci beaucoup Rowan. Sue d'éloges, sans doute immerités !
      En toute absence de modestie, je reconnais que votre message me fait bien plaisir.

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  7. Visite très complete et très riche grâce aux nombreuses photos et commentaires. Merci.
    Eliot Miseri

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    1. Merci infiniment, Eliot, pour votre chaleureux commentaire !

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  8. Excellent article, super détaillé, avec des photos qu'on ne trouve nulle part.
    Un travail formidable ! Bravo.

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