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mardi 25 août 2020

Rome : le Panthéon


Je suis toujours de l'avis de Stendhal : "Le Panthéon est ce qui nous reste de plus parfait de l'architecture romaine". En tout cas, de tous les monuments énormes de l'Antiquité romaine, c'est le mieux préservé, celui qui restitue au plus fort ce sentiment de voyager dans le temps.



Rome, le Panthéon : façade

C'est un miracle, un vrai, qu'on puisse voir encore cette exceptionnelle construction. L'Antiquité romaine a laissé beaucoup de vestiges, certes, mais beaucoup furent fortement remaniés. Les temples durent leur survivance à une transformation en église, ce qui est encore le cas ici (et toujours aujourd'hui), cependant les modifications y furent mineures.


Le Panthéon fut, comme son nom grec l'indique (Pan = tous, Théon = les dieux), un temple dédié à tous les dieux.




Il fut élevé en 27 avant J.C. par Agrippa, le gendre d'Auguste, ce qu'indique l'inscription d'origine sur la façade. C'est encore plus miraculeux que cet élément ait été conservé !

M.AGRIPPA.L.F.COS.TERTIVM.FECIT signifie « Marcus Agrippa, fils de Lucius, consul à trois reprises, fit construire (ce temple). »

Celle du dessous, signalant les restaurations de Septime Sévère et de Caracalla, est devenue quasiment indiscernable.

En fait, il fut reconstruit par Hadrien au IIe siècle, mais celui-ci, modeste, n'y laissa pas sa signature. Les Barbares l'envahirent au Ve siècle et s'emparèrent sans doute d'un butin de guerre : statues, vases et autres objets précieux. Les plaques de bronze qui le recouvraient furent emportées au temps de l'empire byzantin, dont Rome était sujette, et partirent enrichir des monuments de Constantinople. Dernière injure, Urbain VII, un pape de la famille Barberini,  fit prélever les éléments de bronze du porche (clous, agrafes et plaques) pour fondre le baldaquin de Saint Pierre. Cela lui valut un reproche célèbre : "Quod non fecerunt Barbari, fecerunt Barberini" (Ce que les Barbares n'ont pas fait, les Barberini l'ont fait).



Le bâtiment se compose de deux parties : la rotonde avec sa coupole, en briques, et le portique rectangulaire. C'est une invention complètement originale ; jusqu'à présent, on avait construit des temples circulaires (comme celui d'Hercule Vainqueur au Forum Boarium), mais petits, et le portique ne terminait que des temples rectangulaires, dans l'alignement de ses côtés. L'innovation géométrique était donc d'accoler un cercle et un rectangle. C'est Hadrien, l'empereur esthète et cultivé, qui influença cette création.



C'est sur le portique que la pierre apparaît, suivant le principe d'architecture romaine courant : inutile de gaspiller les matériaux quand on peut les économiser.


Le portique est en fait un pronaos, un espace intermédiaire entre le dehors et le dedans, qui sépare et relie tout à la fois le pur et l'impur ; à l'origine de toute une série de descendants dans l'architecture des églises, le portique des basiliques religieuses, les prothyron, narthex et compagnie.


 J'ai gardé quelques personnes sur ma photo, non pour montrer des visiteurs masqués (à qui on prend la température, ce qui génère une longue file d'attente), mais pour donner l'échelle. Sur les photos courantes, je trouve qu'on mesure mal le gigantisme du Panthéon.

Les colonnes de 12 m de haut et de 1,5 m de diamètre sont une autre innovation : pour la première fois, on a associé des chapiteaux corinthiens à des colonnes lisses, alors que le modèle obligé était jusque-là cannelé ; en fait, la colonne corinthienne imitait un arbre avec son tronc strié et son feuillage au sommet.


Entre le pronaos et la rotonde, un nouvel espace assure la transition ; les portes de bronze qui ouvrent sur la cella, la salle à l'intérieur du temple, sont les plus grandes de l'Antiquité que nous connaissions.
Cet espace permet aussi de vérifier l'épaisseur des murs de 7 m ; on le repère bien de profil ou lorsqu'on s'éloigne suffisamment sur la place.

 La cella avec la coupole



Modèle définitif des salles circulaires couvertes d'une coupole, celle du Panthéon est un véritable prodige. La plus grande de l'Antiquité (oui, encore une fois), elle reste encore aujourd'hui la plus grande à ne pas être construite en béton armé. C'est sans doute le système architectural le plus étudié, le plus dessiné, le plus copié de toute l'architecture occidentale.

Sans objectif hyper-technique, que je n'ai pas sur moi, c'est impossible d'embrasser toute la largeur de la cella. Mais on peut mesurer la hauteur ; la coupole est une demi-sphère, et elle formerait une sphère parfaite si on l'imagine reproduite jusqu'au sol : la cella est aussi haute que large, avec un diamètre de 43,3 m. La mesure étrange en mètres correspond à une version parfaite antique, de 150 pieds romains.


La maîtrise des ingénieurs repose sur l'utilisation de diverses techniques, et particulièrement celles du mortier et du béton de chaux. Les coupoles de dimension supérieure ne purent être réalisées qu'avec du béton armé.

Pour répondre à une question courante, l'oculus, l'ouverture au sommet, n'est pas vitré ; lorsqu'il pleut, l'eau s'écoule à l'intérieur mais les ingénieurs avaient prévu cela aussi ! Ce trou de presque neuf mètres de diamètre suffit amplement à la luminosité intérieure, particulièrement agréable.


Dans les admirables Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar fait développer Hadrien sur cette salle dans un passage où il évoque le globe terrestre et la forme des huttes avec un trou au sommet pour laisser échapper la fumée.


Pour augmenter l'effet de perspective, les cent quarante caissons sont formés de carrés décalés, technique très souvent imitée par la suite. Il s'agit aussi, pour les architectes romains, d'alléger la coupole. Au sommet, le matériau est un mélange de béton et de pierre volcanique légère. On ne le voit pas davantage, mais l'épaisseur de la coupole diminue progressivement.


Au-dessous, les colonnes semblent porter la coupole, mais elles ne jouent évidemment qu'un rôle faible ; la structure résiste grâce à un système complexe d'arcs de décharge (c'est-à-dire qui "évacuent" les forces) et d'anneaux concentriques posés sur la base de la coupole qui compensent la poussée centrifuge par une poussée verticale, dirigée vers le sol et non vers l'extérieur.


Sept exèdres, des alcôves, furent prévues dans le bâtiment, bien avant de les transformer en chapelles.

Un trompe-l'œil qui échappe souvent aux visiteurs ! 


 La corniche est la partie la plus modifiée : au XVIIIe siècle, Vanvitelli eut l'idée de ce décor pseudo-antique en fausses fenêtres et rectangles de marbre. Les vraies étaient de réelles fenêtres à claustra qui laissaient passer la lumière.


 Le sol, restauré, est, je crois, d'origine. Il n'est pas exactement plat ; une surélévation de 30 cm fut prévue pour évacuer les eaux de pluie provenant de l'oculus et les diriger vers de petits trous.



Une église


Francesco Cozza, L'Adoration des Bergers

Si on peut dire que le bâtiment a conservé son intégrité, la transformation en église lui a coûté une partie de sa décoration antique, les statues ne figurent plus dans les niches et les exèdres. Elle a été remplacée d'une part par l'iconographie courante dans les églises, avec les scènes religieuses habituelles, et par une série de tombeaux de "grands hommes".


L'autel de Saint Joseph le voit avec l'enfant Jésus dans une sculpture de Vincenzo de Rossi.


Après L'Adoration des Bergers précédente, Cozza a logiquement peint le pendant, L'Adoration des Mages.


Carlo Monaldi a sculpté ici un délicat Repos pendant la Fuite en Egypte.


Umberto I, le roi d’Italie, repose ici. Les Royalistes fleurissent sa tombe avec constance.


 La Madonna del Sasso est une œuvre du XVIe siècle, du sculpteur Lorenzo Lotti. Elle est un peu austère mais je la trouve très naturelle : c'est vraiment une mère qui porte un nourrisson. Elle pose le pied sur un rocher, l'origine de son nom (sasso = rocher, en italien).


 Au-dessous, dans un sarcophage antique, gît le peintre Raphaël. A ses côtés repose sa bien-aimée Maria Bibbiena ; Raphaël mourut à trente-sept ans, le jour de son anniversaire, avant que leur mariage pût avoir lieu. Ce grand artisan de la Renaissance picturale eut longtemps la réputation de plus grand peintre du monde, et ses tableaux occupaient souvent la place d'honneur dans les collections. Je ne saurais dire si c'est toujours le cas, et je suis de toute façon horripilé par ce genre de classement ! Mais un fabuleux artiste qui révolutionna la peinture, ça, je suis complètement d'accord.


Les autels et les mosaïques des absides ne faisaient donc pas partie de la décoration antique ; le pape Clément IX les commanda au cours du XVIIIe siècle au sculpteur Alessandro Specchi.


C'est sous le règne de l'empereur byzantin Phocas, au VIIe siècle, que le Panthéon fut transformé en église. Phocas s'avéra un personnage passionnant, politique de haut vol, plein de contradictions mais très habile dans ses relations avec l'église. Il s'arrangea pour entretenir des relations privilégiées avec des papes qu'il fit parfois élire. Le dernier pape durant son règne, Boniface IV, consacra donc le Panthéon.

Phocas apporta sa contribution en offrant une icône (donc byzantine et du VIIe siècle). Elle demeure aujourd'hui bien visible au-dessus du maître autel.


Bernardino Cametti a sculpté vers 1725 ce Saint Anastase (Anastasio), un martyr avec sa palme.


J'aime beaucoup cette Annonciation de Melozzo da Forli, le peintre des Anges du Vatican autrefois dans la basilique des Saints Apôtres. Je trouve beaucoup de douceur dans cette scène et j'adore les ailes de l'ange !

Pietro Paolo Bonzi était surtout connu pour ses peintures de fruits et il en peignait des frises entières dans les palais romains ; cette Incrédulité de Saint Thomas est le seul tableau religieux que je connaisse de sa main, guère novatrice mais très proprement exécutée, avec un contraste efficace.


Quel que soit le programme d'un séjour romain, la visite du Panthéon est absolument indispensable : l'entrée dans la rotonde garantit l'émotion, et c'est un monument qu'on n'est pas près d'oublier !

10 commentaires:

  1. Passionnant article très détaillé, largement le meilleur sur internet.

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    1. Je suis très sensible à cet élogieux (et très exagéré, mais ça fait plaisir) commentaire !

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  2. Adrien doit faire un exposé sur ce monument. Est-ce que tu permets qu'il s'inspire, qu'il se serve de tes commentaires plus originaux que wikipedia ?
    Bises
    Mjo

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    1. Avec plaisir ! Je réponds avec un affreux retard...

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  3. Coucou Fred. Je me suis servi de ton article pour faire un exposé sur le Panthéon.
    Très intéressant merci!!
    Adrien

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  4. Excellent et passionnant article. Remarquable !
    Alan

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  5. Le meilleur article sur le Panthéon.
    Herminie

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    1. C'est très gentil de votre part. Merci beaucoup, Herminie !

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