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jeudi 27 août 2020

La ville antique d'Ostie (1)


Ostie me semble, avec Pompéi, le plus vaste ensemble de vestiges (trente-quatre hectares) pour vraiment prendre la mesure d'une ville romaine avec ses rues, ses habitations, ses bâtiments officiels et ses commerces. Une fascinante visite sous les pins !


 Qu'est-ce qu'Ostie ?



Comme le montrent le plan et la reconstitution suivante, Ostie est une ville construite le long de sa rue principale, le Decumanus Maximus.


La légende de Virgile raconte que c'est ici qu'Enée débarqua, mais l'archéologie établit sa fondation au IVe siècle avant Jésus-Christ : une fortification pour défendre l'accès au Tibre. Elle devient peu à peu le grand port commercial de Rome, avec ses entrepôts pour stocker la marchandise provenant de tous les coins de la République, puis de l'empire. Cicéron la fait restaurer et elle devient une ville élégante de dix mille habitants. Les membres de l'aristocratie romaine font construire de luxueuses villas dans cette ville balnéaire.

Sous l'empire, c'est le lieu principal de l'import-export, et la construction des ports de Claude puis de Trajan, au fur et à mesure de l'extension de l'activité, amène une population d'artisans et d'ouvriers. On construit alors des insulae, l'ancêtre des H.L.M pour loger tout ce monde et la ville connaît son apogée.

Au IIIe siècle, l'empire connaît des heures sombres : crises politique, économique, sociale, et conflits avec les Germains affaiblissent la stabilité romaine. L'activité du port s'en ressent, et en même temps son ensablement ne cesse de l'handicaper. Lorsque Constantin Ier décide de la priver de son économie et de faire de Portus le port (mot qui en tire son nom) principal, la décadence d'Ostie s'accélère. Elle est totalement abandonnée vers le Xe siècle.


La visite commence par cette allée d'emblématiques pins romains. Et je n'en reviens pas, il n'y a personne, alors que je l'ai toujours vue bourrée de monde ! Je m'inquiète même, un moment : le site ne serait-il pas fermé ?

Ce n'est pas le cas mais c'est vraiment très, très calme. C'est vrai qu'il fait très chaud mais Ostie semble, encore plus que Rome, victime du Covid.

La nécropole



Pour des motifs religieux, les Romains expulsaient les morts de la ville et leurs nécropoles flanquaient les voies à la sortie des villes. On le constate partout, comme sur la Via Appia ou la nécropole de Pompéi.


Il s'agit bien de la chaussée antique, avec ses pavés de tuf qui ont conservé la trace des chars.


Ostie a été relativement bien conservée parce qu'elle était à l'écart, et qu'on ne l'a pas recouverte d'une ville moderne. Mais elle fut victime du pillage archéologique des XVIIe et XVIIIe siècles, et les belles statues partirent au Vatican et dans les collections. Il en reste peu in situ.


Fragments et sarcophages restituent cependant l'idée de la nécropole antique.




C'est certain qu'une partie des murs manque dans une importante partie de la ville, mais les restes permettent de bien se représenter l'organisation des bâtiments. La décoration formée par les briques murales m'a toujours plu.













 Ostie, c'est le paradis des épigraphes ! Je crois que c'est avec Rome, le lieu de l'Antiquité romaine où on a retrouvé le plus d'inscriptions.


Sur la place veille une Victoire, reconnaissable avec ses ailes et son bouclier.
 


Les Thermes des Cesarii



 Pas de ville romaine sans ses thermes ; semblables au hammam du monde arabe, ces établissements permettaient de se rendre propre, de se délasser, de faire du sport, et surtout de rencontrer ses copains.


A Ostie, c'est la mosaïque noire et blanche qui s'est imposée, et les thèmes aquatiques s'y multiplient dans les nombreux Thermes de la ville. Le char de Neptune, tiré par des chevaux marins, s'affirme comme le motif obligé.


 






 



Il faut une reconstitution pour retrouver l'image du Decumanus de l'époque, avec ses boutiques ouvertes sur la rue. Le système d'évacuation des eaux atteste de ingénierie romaine.


 Les Thermes des Provinces



Deuxième établissement, tout proche du précédent, à proximité de la palestre. Ces Thermes furent baptisés "des Provinces" à cause de la grande mosaïque qu'ils ont conservée.


Sur celle-ci sont représentées des allégories de provinces de l'empire : Espagne, Sicile, Égypte et Afrique. Il ne s'agit pas de géographie mais de divisions administratives.







Comme je l'ai signalé, l'activité sportive était un élément important des Thermes, le centre de remise en forme antique !




On voit bien le système d'hypocauste qui chauffait les thermes par dessous.


 La caserne des gardes



Les gardes jouaient à la fois le rôle de policiers municipaux et de pompiers ; dans une ville aux énormes entrepôts, vols et incendies constituaient deux menaces essentielles. La caserne, très étendue, disposait de sa chapelle privée.



 Le théâtre



Les Romains étaient de grands admirateurs de la Grèce et ils leur empruntèrent beaucoup. Leurs dieux sont l'exemple qui vient généralement en premier, et sans doute l'art statuaire, mais le théâtre est également un élément essentiel.


 L'inscription indique que le théâtre fut construit par Agrippa pour son beau-père Auguste, donc juste avant notre ère.


Mussolini, dans son exaltation nationale, plaça l'Antiquité Romaine comme modèle fondateur et fit entreprendre des restaurations, en recherchant davantage le spectaculaire que l'authentique. Les gradins furent donc reconstitués pour accueillir des spectacles.

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Il semble que ce soit toujours le cas aujourd'hui.


 Les sculptures retrouvées rappellent que les acteurs jouaient masqués.

Les Horrea d'Hortensius



Les Horrea, ce sont de grands bâtiments où on entreposait les marchandises. Dans ceux-ci, les plus anciens de la ville, un temple fut érigé par Lucius Hortensius, capitaine de la flotte de Misène.





 L'alvéole semi-circulaire signale un des deux nymphées proches du théâtre. Tout près s'élevait un oratoire, un des rares édifices chrétiens retrouvés ici.




Au centre, ce n'est pas le chapiteau d'une colonne mais un bel autel de sacrifice.

 La place des corporations






C'est un des lieux qui marquent le plus le visiteur lors de sa visite à Ostie, avec cette grande série de mosaïques.


 Elle date de l'époque d'Auguste, mais c'est sous l'empereur Claude qu'elle fut dotée d'un large portique.


On éleva ensuite un temple au centre et, au IIe siècle, on ajouta les mosaïques.


Les motifs et les inscriptions renvoient aux armateurs et commerçants dont les activités étaient liées au port : embarcations, phares, évocations de la mer. Mais aussi marchandises, souvent dans des tonneaux.


On pense qu'il pourrait s'agir d'un espace de représentation pour les différentes corporations ; soixante-dix bureaux, nommés ici stations, permettaient d'y conclure des affaires.



Deux palmiers en haut : les dattes en provenance d'Afrique étaient régulièrement livrées. Il paraît que les progrès de la navigation permettaient aussi aux figues d'être livrées fraîches ! Entre les deux, une amphore maurétanienne avec le timbre MC imprimé près du col. On en a retrouvé une semblable, ce qui prouve le souci de réalisme des mosaïstes.

En bas, trois poissons sont bien différenciés, avec un réel souci du détail.


Deux bateaux évitent les monstres marins grâce au phare, au centre.


Les deux boisseaux sont présentés avec un racloir utilisé pour araser le grain ; c'était important que la mesure fût exacte ! Les lettres SFC correspondraient à Statio Frumentariorum Corporis, la station de la corporation des marchands de céréales.


Les deux lettres NF au centre sont l'acronyme de Navicularii Feliciter, Que les armateurs soient heureux !


Sont même représentés les navires en provenance de la Narbonnaise (NAVIculari NARBONIENSES), la grande province qui s'étendait à l'est au-delà de Marseille. Ce n'est donc pas surprenant de voir ici le nom d'une ville qui n'était pas un port sur la Méditerranée.


Manœuvre délicate. Le marin semble charger son bateau.


Ici les dauphins s'approchent d'un phare massif.


NAVICUL(ari) ET NEGOTIANTES KARALITANI : ici, c'est clair, l'entreprise assure le transport et la vente. Elle vient de Karales, l'actuelle Cagliari, la capitale de la Sardaigne. Le navire est présenté entre deux tonneaux.


NAVIC(ulari) TURRITANI, voici des armateurs de Turris Libisonis, l'actuelle Porto Torres, en Sardaigne. Leur embarcation comporte deux voiles. Les vagues sont très stylisées !


NAVICUL(ari) KARTHAG(inensis) : voici la flotte de Carthage, la ville de Didon. Curieusement, les deux voiliers se trouvent face à face.


NAVICULARI GUMMITANIDES : le boisseau entre les deux branches vient de Gummi, une des deux villes près de Carthage à porter ce nom.


STAT(io) SABRATENSIUM, c'est la station de Sabratha, ville aujourd'hui en Libye.
L'éléphant peut avoir été transporté pour les spectacles du Colisée ou symboliser la ville (et peut-être même la province africaine).


NAVICULARIORUM DIARRY. , voici la station de Hippo Diarrytus, aujourd'hui la ville tunisienne de Bizerte.
Un dauphin y agite joyeusement la queue.


Comme je ne parvenais pas à lire, j'ai cherché ; c'est ici la flotte de Musluvium, une ville de Maurétanie (le Maghreb). Outre les trois dauphins, dont un est chevauché avec entrain, deux figures avec les médaillons, sans doute les armateurs de la compagnie.

Cela me fait soudain penser à ces prospectus aux États-Unis de médecins ou d'avocats, avec leur photo en haut de la publicité !


6 commentaires:

  1. The best article about Ostia ! Great job.

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  2. Bravo pour ce remarquable article qui nous donne l'impression de visiter Ostie à vos côtés !
    Félicitations pour votre travail exceptionnel, une fois de plus.
    Michèle

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    1. Merci beaucoup, Michèle, c'est très aimable à vous. Je fais de mon mieux !

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  3. Votre magnifique et excellent blog nous offre une visite détaillée et passionnante d'Ostie. J'y suis allée il y a quelques années, mais j'ai bien l'impression d'avoir manqué beaucoup de choses...
    Bravo pour vos explications, claires et concises, c'est un travail impressionnant. Félicitations.
    Claire

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    1. Que de compliments, sans doute immérités, mais je mentirais en disant qu'ils ne me font pas plaisir. Un grand merci pour avoir pris le temps de me les adresser, Claire !

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