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mercredi 19 août 2020

Rome : la basilique Sainte Marie du Trastevere (Santa Maria in Trastevere)


Là où eut lieu le plus ancien culte chrétien public de Rome, une fameuse basilique médiévale qui reste un des trésors de Rome.




Dans le quartier vivait dans l'Antiquité une communauté juive qui aurait remarqué une source d'huile. L'huile sacrée, c'est l'onction, un signe de l'arrivée du Messie.

Plutôt qu'à cette légende, il vaut mieux se fier au Liber Pontificalis, le livre des papes, qui raconte comment une ancienne taverne fut transformée en église ! La basilique fut modifiée et reconstruite, ce serait en tout cas le plus ancien lieu "extérieur" de culte chrétien dans Rome ; ce n'est cependant pas la plus ancienne consacrée à Marie.

En effet, elle ne reçut cette dédicace qu'au Ve siècle, lors du Concile d'Ephèse, une importante réunion théologique au cours de laquelle on définit la double nature du Christ, humaine et divine. Très importante précision pour les fidèles ! Sainte Marie Majeure, elle, avait été consacrée à Marie au cours du siècle précédent.


Selon l'histoire commune des églises romaines, on dut agrandir et reconstruire à plusieurs reprises. Mais, à la différence de beaucoup, l'essentiel des modifications s'arrête aux XIIe-XIIIe siècles. Le plafond et quelques tombeaux s'avèrent cependant des éléments plus récents. Sans compter les chapelles, mais il s'agit de parties presque externes. Les familles qui sponsorisaient les chapelles avaient à peu près le droit d'y faire les embellissements qu'elles voulaient, dans les limites convenues certes.


La façade fut restaurée au XVIIIe siècle, mais on conserva les mosaïques du XIIIe, et tant mieux, car il est bien rare de pouvoir admirer des mosaïques médiévales extérieures.


Au centre, Marie donne le sein à l'enfant, et c'est la plus ancienne version de la Vierge au lait connue. Elle est entourée par des porteuses de lampe, symbole très ancien de virginité.


Le campanile utilise un motif d'arcades fort répandu parmi ses confrères romains, un héritage de la bande lombarde, qui donnera plus tard le motif à colonnettes dans les monuments de Pise ou de Lucques.


Tout au sommet, la Vierge et l'Enfant me frappent par leurs yeux aux contours épais qui me font franchement penser à l'art arménien.


L'intérieur



Le plan reprend celui, bien connu à Rome, de la basilique antique, une nef centrale et deux latérales, divisées par des colonnes, et on retrouve aussi le pavement cosmatesque, une des plus belles réussites que je connaisse dans le sol des églises.
 

 Les colonnes proviennent des thermes de Caracalla et les chapiteaux, soit de ces mêmes thermes, soit d'un temple d'Isis voisin. Il paraît que ces derniers avaient conservé leur motif païen jusqu'à ce que des étudiants s'en rendissent compte, au XIXe siècle. Le pape se précipita alors pour les faire effacer.



 J'ai toujours été stupéfié par ce plafond tellement travaillé ; malgré la surcharge dorée, je considère qu'il s'accorde bien avec l'ensemble de la basilique (surtout avec les mosaïques).


Il fut refait au début du XVIIe siècle par Le Dominiquin, auteur donc également de l'Assomption de la Vierge au centre. Les putti y sont particulièrement mignons. Une figure en prière apparaît à droite, logiquement un portrait de donateur.


Les mosaïques

 Les mosaïques sur l'arc et l'abside n'étaient pas rares à Rome : Santa Prassede, Santa Maria Domnica, et bien sûr Santa Maria Maggiore me viennent tout de suite à l'esprit.


Il est probable que la précédente version était également ornée de mosaïques, créées cette fois du XIIe au XIIIe siècle.






A gauche, le prophète Isaïe déroule son livre, un rouleau de lin.


Au-dessous, après la Nativité, on donne le bain de Jésus. Cette scène, souvent racontée au Moyen-Age, disparut plus tard, quand on la déclara incompatible avec l'Immaculée Conception.


 A gauche, l'inscription Hieremias désigne le prophète Jérémie, en miroir avec Isaïe.



Le tétramorphe, les symboles des Évangélistes, est disséminé dans les nuées, comme d'habitude. J'aime particulièrement le lion et le bœuf !

IOHS, c'est Iohannes pour Jean. Comme, en latin, son nom est le plus long, il est souvent raccourci pour éviter que son étiquette soit disproportionnée.



Les adorables petites fresques avec des chérubins et des colombes, autour d'une abondance de fruits, sentent encore l'Antiquité.




 Au centre, la Vierge et le Christ siègent ensemble, vêtus d'or, sur un trône recouvert de pierres précieuses. Elle apparaît comme une reine, tradition ancienne bien conservée ici, même si on constate que les visages ont changé depuis les modèles des siècles précédents.



 Autour, c'est la galerie de portraits ; Paul n'est pas présent mais Pierre est bien là. Le mystérieux Calepodius, à droite, fut un prêtre de cette basilique, martyrisé au IIIe siècle.

Mosaïque du XIIe siècle donc. Je répète que la Vierge conserve ses atours anciens mais, si on compare les saints avec les mosaïques des basiliques que j'ai citées, on saisit tout de suite l'évolution : plus de toge, on est passé à la dalmatique pour tout le monde (la robe aux larges manches) et l'allure s'approche de la tenue religieuse bien connue.


La frise symbolise le Christ et les Apôtres sous formes d'agneaux. Le nimbe cruciforme est là pour que les fidèles ne se trompent pas.


Au sommet, un autre classique ; une sorte de parasol, hérité du velum antique, fastueusement décoré. La main divine en sort pour bénir la tête du Christ.


Enfin, deux symboles :  l'alpha et l'oméga, première et dernière lettres de l'alphabet grec, indiquent le début et la fin, une idée d'infini donc.

Le second est sans doute le premier logo de l'Histoire à rencontrer un succès durable ; le chrisme est formé de deux lettres, grecques encore, le X et le P, les deux premières du mot "Christos". Un logo pour indiquer le Christ, et par extension le christianisme.


Enfin, n'oublions pas la merveilleuse frise de fruits avec ses médaillons ; on y remarque le pélican, symbole chrétien car on pensait qu'il nourrissait ses petits avec ses entrailles, allusion à l'eucharistie.


Au-dessous, c'est la partie du XIIIe siècle, un travail de Pietro Cavallini, excellent artiste. A gauche, Gabriel avec des ailes de toute beauté vient faire son annonciation à la Vierge, toute surprise, qui trône dans une niche.


 A droite, voici la Présentation de Jésus au temple ; le fond doré de la mosaïque est une survivance de l'icône (et sans doute, un double effet de prestige et de splendeur assumée), mais les visages et la perspective s'inscrivent déjà dans une évolution artistique.


Voici enfin l'équipe au complet, les Saints Pierre et Paul, plus le dignitaire qui a ajouté son blason au cas où on ne le verrait pas assez.


En un coup d'un seul, la Nativité et l'annonce aux bergers qui est l'occasion d'une mignonne scène pastorale avec berger musicien, troupeau et chien de berger.


Après les bergers, voici les Mages qui arrivent avec leurs cadeaux. La tradition du Balthazar noir n'a pas encore agi ici.


 Je suis toujours passé assez rapidement sur cette mosaïque dont je ne connais pas l'équivalent. La Dormition de la Vierge, c'est archi-courant. La présence du Christ, déjà beaucoup moins. Mais ici, il semble porter lui-même sa version en Enfant, comme pour rappeler le lien avec Marie.

Je ne suis pas du tout certain de ma théorie, mais elle ne me paraît pas inconcevable. Je n'ai jamais rien trouvé qui la confirme ou qui l'infirme, de toute façon ! 


Chacun n'a d'yeux que pour les mosaïques, mais ce serait dommage d'oublier la fresque en trompe-l’œil du dessous.

Angelo Ciampelli, Les Anges avec les symboles des mystères de Marie
 
La fresque de 1600 fut commandée par le cardinal Alessandro de' Medici. Le sujet me semble lié aux mystères du rosaire, mais je ne connais guère cette iconographie.
 

La chapelle Altemps 

 

Cette chapelle de la Renaissance fut conçue en 1585 par Martino Longhi il Vecchio (l'Ancien) pour le cardinal Marco Sittico Altemps, le neveu de Pie IV, titulaire de cette église durant sa rénovation.


Sur leurs tombeaux, papes et cardinaux sont plongés dans un profond sommeil. Le cardinal Philippe d'Alençon, le neveu du roi de France Philippe VI, connut une vie agitée, avec procès et condamnation, avant de mourir à Rome en 1397. Son tombeau constitue le grand œuvre du florentin Giovanni d'Ambrogio.

La Crucifixion de Saint Pierre

Les chapelles sont l'ajout principal à la basilique. C'est ici que se manifeste le baroque romain.

D'un côté, cela ne nuit pas à l'intégrité de la nef puisqu'il s'agit d'éléments rapportés. De l'autre, il ne faut pas oublier qu'une chapelle était un sponsoring très efficace, puisque les grandes familles payaient fort cher le droit d'édifier et de disposer de la leur.


 Les chapelles Altemps et Avila restent particulièrement décorées.




Le plafond à caissons de la chapelle propose sa propre version de l'assomption. La Vierge y semble tout ébaubie de cette manifestation surnaturelle. 

Ferraù Fenzone, Saint François recevant les stigmates
 
Curieuse composition pour une scène courante dans l'iconographie de Saint François. 

La Chapelle d'Avila


 
La chapelle d'Avila est le chef d'œuvre d'un artiste méconnu, Antonio Gherardi. Cet élève de Borromini sut apprendre de son maître la conception d'espaces complexes.
 
 
Ce dôme illusionniste évoque fortement la conception extraordinaire de San Carlino. Mais les anges qui le supportent rappellent davantage Le Bernin, avec une recherche de spectaculaire.

Antonio Gherardi, Saint Jérôme

Saint Jérôme pénitent, avec son caillou pour se frapper la poitrine. Un retable lumineux de l'architecte-peintre ; à l'époque, il n'était pas rare de cumuler les emplois. Michel-Ange, Le Bernin furent des exemples célèbres.

Le retable me semble plutôt simplet, avec un fond plus que sobre, mais cette économie de détails valorise les masses et le vermillon du pagne rayonne ! 


att. Alessandro Carracci, Saint Jean-Baptiste

Ce Saint Jean-Baptiste dans sa peau de mouton est attribué à Alessandro Carracci (Carrache pour nous, la fameuse famille de peintres de Bologne), le fils d'Annibale. Peinture séduisante et efficace. 


La coupole vibre d'un baroque frémissant grâce aux effets de lumière. 


Au fond, duo de saints. Un martyr brandit sa palme. Je ne trouve pas d'indice probant et malheureusement mes tablettes restent muettes sur cette œuvre ! 


J'obtiens, d'un fort aimable Signore en civil, de me faire ouvrir le vestibule de la sacristie avec sa mini-collection romaine : les mosaïques minutieuses valent le coup d'œil. La pêche au filet ne date pas d'hier !
 




Je ne le retrouvais plus ! Voici un bel exemple de la sculpture florentine, un tabernacle de Mino da Fiesole, grand artiste de la fin du Moyen-Age. En fait, il est à gauche de la nef, mais on est tellement impressionné par le plafond et les mosaïques qu'on le rate facilement.


Le baptistère de 1741 est la réalisation d'un grand artiste, Filippo Raguzzini, celui qui conçut la place de Saint Ignace avec son fameux effet de scène de théâtre.

4 commentaires:

  1. Merci pour ce remarquable article très complet et détaillé, le meilleur que j'ai trouvé sur cette exceptionnelle basilique.
    Lise-Fleur

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  2. magnifique article sur cette basilique, très belles photos, cette basilique est vraiment d'une richesse infinie!

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    1. Merci beaucoup, cher Anonyme, pour ce chaleureux commentaire. Je partage tout à fait votre opinion !

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