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mercredi 26 août 2020

Rome : L’église Saint Ignace de Loyola (Sant’Ignazio di Loyola)


Une des deux grandes églises jésuites de Rome, avec l'extraordinaire trompe-l’œil d'Andrea del Pozzo.


A la Renaissance, Ignace de Loyola, un Basque qui a fait un pélerinage à Jerusalem, prononce ses vœux à Montmartre ; avec son ami Pierre Favre, il part pour Rome, encore toute secouée du "sac" de 1527, une bataille effroyable menée par Charles Quint, nouvel épisode des luttes de pouvoir entre Habsbourg et Valois. 

Il propose au pape réformateur la création d'un nouvel ordre, la Compagnie de Jésus, officiellement créée en 1540. Ces Jésuites se multiplient, deviennent très puissants, fondent des missions, créent des écoles (avec un enseignement novateur pour l'époque). Les frères sont encouragés à suivre des études universitaires et plusieurs sont des lettrés, des linguistes, des savants... Cependant les excès, les conversions forcées, l'enrichissement prodigieux de l'ordre seront inlassablement raillés par Voltaire ; les passages de Candide sont particulièrement célèbres.


La canonisation d'Ignace en 1622 est l'occasion d'une église, aussi prodigieuse que possible pour prouver la puissance de l'ordre. Les Jésuites passent commande auprès d'un des leurs, Orazio Grassi. Mathématicien et architecte, ce dernier est aussi un astronome qui s'est frotté à Galilée lors d'une controverse sur les comètes. Il est très vraisemblable que ce soit lui qui l'ait dénoncé et lui ait donc valu le procès célèbre.

Grassi réalise les plans avec Carlo Maderno, l'architecte de Santa Maria della Vittoria et du Palais du Quirinal.


Si on compare la façade avec celle de Santa Maria della Vittoria, on constate que celle-ci est une sorte de développement de l'autre. Elle conserve les colonnes, le fronton et les deux volutes, tout en s'épanouissant en augmentant toutes les dimensions. Sa solennité ne prépare guère à ce qui attend à l'intérieur.

Les prodiges d'Andrea del Pozzo



Au sein de l'ordre, plein de multiples talents donc, vit un peintre théoricien de la perspective, Andrea del Pozzo (ou simplement Andrea Pozzo selon les versions) ; il reprend les principes développés par Alberti, mais en poussant les calculs géométriques. Le chef d’œuvre de Sant'Ignazio lui vaut une renommée immédiate ; l'empereur d'Autriche l'invitera à Vienne où il peindra, de manière aussi spectaculaire, la Jesuitenkirche.



Pozzo peint donc l'Apothéose de Saint Ignace demandée, et on voit bien le saint, sur les nuages du centre.

La réputation de l'artiste n'est pas usurpée et il s'agit d'un trompe-l'œil absolument phénoménal. Outre l'efficacité des perspectives et la maîtrise picturale, le talent de Pozzo est d'exploiter au maximum l'architecture de l'église. On se demande sans cesse si ce qu'on voit est plat ou en relief.




Par exemple,  sur ce détail de la photo précédente, l'arc est "vrai" mais tout ce qu'on voit au-dessus est faux ; aucune des colonnes n'est réelle.


 En outre, Pozzo exploite la lumière que les larges baies dispensent généreusement. On voit aussi que la représentation change sans cesse selon l'endroit où on est, ce qui est logique car la perspective fonctionne à partir d'un point.


On finit par douter. L'arcature est vraie, c'est sûr. Les colonnes sont fausses. Mais la corniche ???


Pour les ombres, Pozzo tendait chaque soir des cordes et allumait des torches sur le sol. Il peignait directement sur la fresque les ombres obtenues.


L'abside est un miracle de technique ; le problème n'est plus de peindre une perspective sur une surface quasiment plate, comme le plafond, mais cette fois de peindre sur une surface courbe, en volume.

C'est formidable. Je n'ose penser à quels calculs géométriques Pozzo a dû se livrer pour que les colonnes paraissent droites, et se diriger vers un espace ouvert, alors qu'elles sont tracées sur une abside incurvée.


La "coupole" est le problème inverse : il n'y en a pas ! Il existe plusieurs versions explicatives de cette curieuse absence, une dissension entre architectes, un refus des voisins, un problème de chantier lié aux échafaudages. Je ne sais que penser de cette bizarrerie.

Quoi qu'il en soit, Pozzo dut créer l'illusion d'une coupole sur un plafond plat. Je ne suis plus très convaincu par cet espace curieusement assombri mais j'ai souvent accompagné des visiteurs qui "marchaient" avec conviction.


Illusion, stupeur, émerveillement : nous retrouvons bien là les éléments-clefs du baroque.

N'oublions pas pour autant qu'il s'agit d'une église de la Contre-Réforme, qui réagit à "l'hérésie" protestante par un débordement de richesse, d'ors et de marbres qui visent à l'éblouir. Ca se justifie d'autant plus ici qu'Ignace de Loyola fut, précisément, un des principaux promoteurs de cette contre-Réforme.



Les chapelles


Les colonnes salomoniques (une colonne torse comme on pensait que le temple de Salomon à Jérusalem en comportait) remportent un succès fracassant et prolifèrent dans ces églises-là.

Ici elles entourent La Gloire de Luigi de Gonzaga, un beau bas-relief réalisé par Pierre Le Gros le Jeune. Très employé à Rome, Le Gros était fils d'un des principaux sculpteurs des chantiers du Roi, à Versailles. Luigi repose sous l'autel.


La blancheur épurée de Borromini est bien loin ; ici c'est le règne de la couleur, et on travaille avec enthousiasme les marbres colorés. Les carriers de Prato doivent travailler à plein régime pour produire la serpentinite, ce marbre vert, demandé massivement. Le portor, le porphyre regagnent également leurs galons à cette époque.



 Le but de l'église, ne l'oublions pas, est aussi d'établir Ignace de Loyola comme saint, et donc de populariser son image vers un peuple de fidèles pas forcément lettrés. Le chœur lui est donc consacré. La défense de Pampelune, au cours de laquelle il est blessé, deviendra un épisode courant de son iconographie.




La chapelle Sacripanti devait être dessinée par Rainaldi, mais des disputes avec le père Bompiani empêchèrent sa réalisation. Elle fut finalement réalisée par Nicola Michetti, qui employa abondamment les marbres colorés. Francesco Trevisani a peint La Mort de Saint Joseph du centre.



La chapelle Ludovisi fut réservée à la puissante famille romaine qui avait apporté les fonds pour la construction de l'église. Le monument funèbre est dédié à deux sommités religieuses familiales : le pape Grégoire XV et son neveu, le cardinal Ludovico Ludovisi (on croirait un nom de scène !).


Au burin, on retrouve des noms connus : le Français Pierre Etienne Monnot et Camillo Rusconi. Tous ces sculpteurs, Le Gros, Monnot et Rusconi, sculptèrent des statues gigantesques d'apôtres à Saint Jean de Latran.


4 commentaires:

  1. Merci pour cet excellent article, précis et bien documenté. Votre blog est juste génial !
    amandine

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    1. Merci infiniment Amandine, c'est très gentil de votre part.

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