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dimanche 23 août 2020

Rome : la basilique Sainte Cécile (Santa Cecilia)


Magnifique autant qu'intéressante, voici une basilique pleine de merveilles et de surprises, avec un sous-sol antique en prime !



A ma grande honte, je dois avouer que c'est ma première visite dans cette église du Trastevere, alors que j'y ai souvent guidé, notamment pour un combiné Santa Maria / San Francesco, avec la sublime statue du Bernin, et San Crisogono quand elle est ouverte. J'ai même visité les catacombes de San Callisto, où se trouvaient autrefois les reliques ! Et cette remarquable basilique est à un jet de caillou de San Francesco !

Alors, pour faire bref, Sainte Cécile est une martyre, vraisemblablement attestée, qui, parce qu'elle entendait de la musique dans sa tête, est prestement devenue patronne de la musique. Elle aurait été martyrisée, la pauvrette, par suffocation dans une pièce surchauffée. Mais la rosée lui aurait permis de survivre miraculeusement. On décida de l'achever à coup de hache (ou de poignard, ça dépend de la version).

C'est plus une affaire de foi qu'un élément proprement historique. C'est difficile d'établir la vérité factuelle mais il est certain que Cecilia est vénérée depuis fort longtemps, grâce à son titre de martyre. Il est ensuite difficile de démêler la part historique de la croyance, surtout que la propagande de l'église a toujours valorisé ses martyrs. En tout cas, il y a plus d'éléments valides que dans le cas de Saint Alexis, à l'hagiographie un peu trop parfaite.

De toute façon, ce qui compte ici n'est pas tant la vérité sur la biographie de la sainte que le fait qu'elle ait été considérée comme telle, et adorée ainsi, depuis mille ans à cet endroit même.

La basilique est mentionnée dès le Ve siècle, et aurait été édifiée à l'emplacement de sa maison. Il est vrai que des vestiges y sont visibles au sous-sol, mais ce n'est pas absolument exceptionnel à Rome !

L'extérieur



L'organisation est calquée sur le modèle antique, avec une vaste cour héritière de l'atrium primitif. La façade a été refaite par l'infatigable Fuga mais, selon une heureuse tradition, on a conservé le campanile roman. Une silhouette fréquente dans Rome. Celui-ci fut commandé par le pape Pascal II.

Sur la façade s'affiche également le blason du cardinal Acquaviva, qui fournit les fonds pour sa construction. Rien de différent avec une affiche publicitaire.



Toujours suivant le modèle courant, le porche est l'occasion d'un monument funéraire baroque. Celui-ci travaille le marbre coloré mais sa magnificence me semble un peu lourde.

L'intérieur



La nef a également été repensée avec un plafond blanc.


La scène est un classique, avec la glorification de la Sainte.


Le chœur expose un magnifique ciborium qui masque un peu la mosaïque du IXe siècle, encore une configuration fréquemment rencontrée dans la ville.

La mosaïque du IXe siècle



Cette fois, la Vierge n'est pas présente. Le Christ est donc directement entouré d'une série de saints. Sept personnages en tout, le chiffre magique. Les jours de la semaine, la Trinité + les Quatre Évangélistes, on n'a que l'embarras du choix.



La rangée est très semblable à celle de Santa Prassede ; on retrouve le pape Pascal Ier, l'infatigable promoteur immobilier, qui présente l'église qu'il vient de faire édifier. Il était encore vivant à ce moment-là, ce que signale son nimbe carré.


Sainte Agathe, la Sicilienne, porte les mêmes atours que Cécile. Pierre et Paul entourent le Christ, aux places d'honneur qu'ils occupent généralement, compte tenu de leur importance dans la fondation de la Chrétienté.


Cécile est aux côtés de son mari, Valérien ; tous deux offrent des présents de leurs mains voilées en signe de respect.


Si le phénix était présent à gauche, le palmier à droite indique l'opulence et les bienfaits. Au-dessous, suivant le modèle à succès du moment, les agneaux symbolisant les Apôtres proviennent des villes de Bethléem et Jérusalem dans leur enceinte couverte de pierres précieuses.

La statue de Stefano Maderno



Stefano Maderno a sans doute produit son chef-d’œuvre avec cette magnifique Sainte Cécile, datée de 1600, à la robe légère très virtuose. Elle correspondrait au corps de la sainte tel qu'il fut découvert, avec les traces des coups de hache sur le cou. C'est Pascal Ier qui la trouva dans les Catacombes de Callisto, aux côtés de son époux Valérien, el fit transporter ici les reliques.

C'est une telle incontestable réussite qu'elle fut reprise dans des tableaux, et ceux qui connaissent la Cathédrale Sainte-Cécile d'Albi y reconnaîtront la version monochrome, originale, de la leur.

Mais ce qui est le plus frappant est l'année, 1600 donc. Le Bernin n'a que deux ans à ce moment-là ! L'art italien est encore en pleine exploration du maniérisme. C'est donc une œuvre pré-baroque (ou plutôt proto-baroque) ; pourtant on a bien cette volonté de présenter un corps, une personne plus qu'une sainte idéalisée. Voici bien un jalon important de l'histoire de l'art.

Le ciborium d'Arnolfo di Cambio



Le grand Arnolfo di Cambio, sculpteur toscan dont la statue de Saint Pierre au Vatican demeure peut-être l'oeuvre la plus connue, a réalisé plusieurs versions de ciborium à Rome à la fin du XIIIe siècle.


Celui-ci est une petite merveille de sculpture gothique, qui exploite avec modération les possibilités offertes par les copains Cosmates et leur délicieuses marqueteries de marbre.



Au coin arrière gauche, apparaît la statue d'un cavalier sur sa monture ; la posture semble calquée sur la statue de Marc-Aurèle,  modèle définitif des statues équestres romaines.

Malheureusement, à cause du Covid, le chœur du couvent est inaccessible. Il abrite un autre chef-d’œuvre médiéval, le Jugement Dernier de Cavallini (auteur de mosaïques à Santa Maria di Trastevere, de la Vierge à l'Enfant de l'Aracoeli), un des premiers peintres connus de l'histoire de l'art.


Ce n'est donc pas moi qui ai pris ces photos. Je le regrette ; l'individualisation des Apôtres, les effets de volume des anges, ce Christ à la tête encore byzantine m'auraient bien intéressé.





Je dois me contenter des autres fresques, assez difficiles à percevoir dans le contre-jour.


 
Les saints dans des paysages sont l’œuvre d'un fameux artiste hollandais, Paul Bril, qui travailla à Rome.
 
Ses peintures sont exposées dans toute bonne collection de paysages hollandais du XVIIe siècle !



Certaines chapelles présentent d'habiles trompe-l’œil et de fraîches guirlandes d'anges.


Assez difficile à distinguer, j'en conviens, voici notre Sainte de la musique avec une viole de gambe.

Enrico Quattrini, Tombeau du Cardinal Mariano Rampolla del Tindaro
 
Travail récent, de 1929, mais très spectaculaire.


Cavalier Borghese, Sainte Agathe

La patronne de la Sicile subit un atroce martyre où on lui arrache les seins avec une tenaille. La scène horrible nous est épargnée, ici on se contente de l'attacher avant l'opération.

Je constate que si Sainte Cécile est assez couramment représentée (allez, une qui me revient, la belle composition avec l'organiste de Lanfranco et Genlileschi, à Washington), c'est souvent pour la montrer en sainte patronne de la musique. Le portrait avec attribut est fréquent, mais on voit plus rarement des tableaux narratifs et, du coup, je connais moins bien son iconographie biographique.

Giovanni Baglione, Saints Pierre et Paul

Les saints Pierre et Paul ne sont pas oubliés ; les capes rouge et jaune permettent heureusement aux illettrés de les identifier. Giovanni Baglione est le peintre-écrivain qui déversa son fiel dans sa biographie du Caravage.

Giovanni Baglione, Saint André

En méditation sur la croix, un ange vient le couronner...

att. Guglielmo della Porta, Tombeau du Cardinal Magalotti

Suite de la série des papes dormeurs ; encore un qui ne s'est pas gêné pour masquer la fresque !


On ne peut avancer dans cette chapelle et je le regrette car le programme de fresques comme la statue appellent un examen plus attentif. Dommage. Le Saint Sébastien est attribué à Lorenzetto, un artiste du XVe-XVIe siècle.


Une Crucifixion réduite à l'essentiel : Crucifix, Vierge, Saint Jean. Fond presque abstrait de ténèbres et de pré. Je parierai bien pour une œuvre médiévale, et pense immédiatement au Calvaire de Fra Angelico qui explore les mêmes solutions esthétiques.

 
Un fragment de fresque du XIIe siècle a été détaché et reporté ici, L'Apparition de Sainte Cécile à Pascal Ier.

 
Au fond, Saints Etienne et Laurent, de Stefano Ghizzi, un peintre du XVIIe que je ne connais pas du tout.



Les anges agitent des palmes, le symbole du martyre (les feuilles allongées en forme de plume). Au centre, parmi un entourage distingué où il me semble bien reconnaître Saint Paul, voici l'héroïne à gauche d'un ensemble de tuyaux. Il s'agit d'un orgue positif, une version réduite des grandes orgues des églises.

Le "sous-sol" antique



Comme à San Clemente, l'église permet de descendre dans la crypte, accès direct au niveau antique. On sait bien que les déchets ont fait monter celui du sol pendant des siècles ; si on veut retrouver le plancher des vaches de l'Antiquité, il faut donc descendre.


Dans l'Antiquité donc, était construite ici une insula, un immeuble à étages ; on a vu si souvent des ruines arasées qu'on est toujours un peu surpris de voir des hauteurs semblables il y a deux mille ans. Mais la problématique était déjà la nôtre : problème de terrain et de place pour les habitants, possibilité de cumuler des loyers pour les propriétaires. L'ancêtre de la barre d'H.L.M. .






Dans le sol étaient creusés des sortes de puits peu profond ; à une époque sans réfrigérateur, c'était encore le meilleur moyen pour conserver les denrées. Et peut-être aussi de les mettre à l'abri des voleurs et des rats.



Les sarcophages retracent des moments de la vie quotidienne. Celui-ci est vraiment intéressant ; aux extrémités, on cuisine, on dépèce le gibier, on remplit les récipients.


Au centre, sans doute couchés sur leur triclinium, une bande de copains fait bonne chère. Je me demande si la jeune fille de gauche ne vient pas combler d'autres appétits.

Ce qui me frappe ici, c'est le naturel de la scène, le réalisme des postures, d'autant plus que dans cette représentation, on croirait ces joyeux lurons attablés "comme nous" (et non couchés donc). On leur ôte la toge et la fibule, et ils seraient nos contemporains.


Au-dessus d'une scène pastorale, un geste tendre. Monsieur ne fait pas mine d'y répondre.





La chapelle néo-byzantine



La chapelle fut aménagée vers 1899-1901 dans le style néo-byzantin qui faisait fureur alors, en incorporant cependant divers courants, y compris un sol cosmatesque.


Toutes les surfaces sont décorées ou colorées, sans limitation.



Mais on n'a pas lésiné sur les moyens et fait appel à de bons artistes. A l'arrière, sont préservées les reliques de Cécile et de Valérien que Pascal Ier ramena ici.


Un élément me frappe soudain ; c'est l'épouse qui a emporté la dédicace de l'église et non le mari, pourtant célèbre (Saint Valérien est le nom d'un village près de Sens, le Mont Valérien est réputé).
Pas si fréquent !






3 commentaires:

  1. Another magnificent church! Full range of frescoes, statues, paintings... And we have the real opportunity to read your clever texts.
    That's amazing.
    Annie

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    1. A late answer to your kindest message, Annie! Thank you very much!

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  2. Très bel article bien documenté. Une découverte.

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