Le premier chef-d’œuvre de Borromini, une église inventive qui résout des problèmes apparemment insolubles.
Francesco Borromini
Né en 1599 près du lac de Lugano, Francesco Borromini est le fils d'un maçon ; à neuf ans, on l'envoie à l'école de la Fabrique de la Cathédrale de Milan, où il suit des cours de dessin, de sculpture, d'architecture et sans doute de mathématiques. Il en est renvoyé à l'âge de vingt ans : il s'absente trop souvent pour partir à Rome où il travaille sur le chantier de la basilique Saint Pierre. C'est l'architecte Carlo Maderno, auquel il est apparenté, qui lui a procuré cet emploi. Grâce à cet influent parent, il sculpte la base de la Pietà de Michel-Ange, réalise des éléments (escaliers, portes...) dans les chantiers de celui-ci.
Lorsque Maderno meurt, c'est Le Bernin qui le remplace à la tête du chantier de Saint Pierre : début d'une rivalité permanente entre Borromini et ce dernier.
Il a trente-cinq ans lorsque les Trinitaires déchaussés lui commandent la réalisation d'une église. Ce sera son premier grand chantier comme architecte indépendant, et un coup de maître.
En 1610, Fra Gabriele dell'Assunzione a été envoyé à Rome pour réorganiser l'ordre des Trinitaires, fondé autrefois pour rapatrier les prisonniers des Croisades. La nécessité d'une implantation romaine les conduit à acheter une maison à l'angle d'un carrefour créé récemment par le "pape bâtisseur", Sixte V, qui l'a fait décorer de fontaines ; Ce Carrefour des Quatre Fontaines s'orne donc de fontaines à l'antique, qui représentent deux fleuves, l'Arno et le Tibre, et deux déesses, Diane et Junon.
L'Arno, série des Quatre Fontaines |
Le Tibre / Junon, série des Quatre Fontaines |
Malgré l'adjonction de parcelles adjacentes, le terrain reste minuscule ; et dans cet espace microscopique, Borromini doit créer un couvent, un cloître, et une église, dédiée à Charles Borromée. Le nom de San Carlino renvoie au diminutif de Carlo, réduit par la taille de l'église.
Le défi est de taille, mais le jeune Francesco, sans doute impatient de montrer enfin ce dont il est capable, relève le gant.
Le dessin de Borromini |
Par ailleurs, comme l'ordre n'est pas riche, on exploite au maximum la brique et le stuc.
Toutes ces contraintes auraient pu en décourager plus d'un, et au contraire, elles montrent combien c'est la contrainte qui suscite l'intelligence et la création.
La façade compense sa taille réduite par un contraste entre les verticales de la structure et la courbe du volume, l'alternance entre les concaves et les convexes. Une des façades les plus rythmiques de Rome ! Ercole Antonio Raggi a sculpté la statue de Saint Charles Borromée au centre, et Sillano Sillani les deux autres saints, Jean de Matha et Félix de Valois, les fondateurs de l'ordre des Trinitaires.
La partie concave montre les anges (sculptés par Giovanni Doni, Cesare Doni et Francesco Fontana) qui portent un médaillon vide. Un peu surréaliste.
L'intérieur
Les dimensions hors normes de l'église la rendent très difficile à photographier !
Le plan de l'église repose sur une figure géométrique complexe ; la base est un ovale exigu inscrit dans un losange.
Il faut rendre l'église lumineuse ; la coupole est donc percée pour laisser toujours le soleil y entrer. Borromini a créé un système de caissons originaux, mais en reprenant le système à l'éternel succès de la coupole du Panthéon.
Autre avantage à multiplier les sources lumineuses : animer l'espace, ce qui contribue à le maximiser, et attirer le regard vers la hauteur plus que sur l'horizontalité.
En outre, l'ordonnancement interne reprend celui de la façade : les colonnes assurent les lignes verticales, support pour que les courbes se déploient. Et, pour la rendre encore plus lumineuse, elle est presque entièrement blanche ; l'or n'y apparaît que dans les décorations ajoutées.
Pierre Mignard, Saint Charles Borromée et les fondateurs de l'ordre adorant la Trinité |
Le maître-autel supporte une structure en faux escalier pour augmenter la perspective ; au-dessus, Saint Charles Borromée et les fondateurs de l'ordre adorant la Trinité, de Pierre Mignard. Comme beaucoup d'artistes français de son époque, le peintre troyen fit carrière à Rome, épousa une Romaine, avant de faire un célèbre portrait de Molière et de décorer Versailles.
Le cloître
Le cloître disposait du même espace réduit ; la solution de Borromini consiste à l'étirer en hauteur pour compenser, et ces deux galeries superposées lui donnent une allure tout à fait originale.
Au centre, l'indispensable puits.
La sacristie
La sacristie s'insère dans un espace étroit à l'arrière de l'église, en fait l'ancien réfectoire transformé par Bernardo Castelli. On ne peut que rarement pénétrer dans ses équivalents à Rome mais c'est ici que les frères vendent cartes et objets de culte.
Francisco Preciado, Vierge à l'Enfant avec Saint Simon de Roxas |
La crypte est malheureusement fermée, encore une victime du Covid. Elle est intéressante car elle reproduit le plan de l'église, sans sa hauteur, et on peut y constater combien elle paraît alors minuscule.
Excellent article, très clair et complet, bravo !
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce chaleureux commentaire !
SupprimerPassionnante visite. Votre série sur les églises romaines est absolument exceptionnelle!
RépondreSupprimerMarie
Merci infiniment Marie, je suis très touché par votre message.
SupprimerPassionnant et très vivant. Un plaisir, merci !
RépondreSupprimerSophie
Merci à vous, Sophie !
Supprimer