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samedi 29 août 2020

Rome : la Trinité des Monts (Trinità dei Monti)


Au sommet de la Scalinata di Spagna, cette église française garantit une très agréable visite avec ses magnifiques peintures. L'occasion de redécouvrir le talent de Daniele da Volterra, élève de Michel-Ange, et de l'Espagnol Cespedes.




Cette Scalinata di Spagna a surpassé la célébrité de la volée de marches du Capitole.

Quelle histoire, pourtant !

Le projet de relier la Piazza di Spagna, où se trouvait l'ambassade espagnole, à l'église française de la Trinité datait de quelques décennies. Le cardinal Mazarin rêvait d'en faire un escalier triomphal qui magnifierait la monarchie française, avec une statue équestre de Louis XIV qui rivaliserait avec celle de Marc-Aurèle ! Rien que ça.

Le diplomate Gueffier avait légué les fonds, tout marchait comme sur des roulettes. Mais le pape Alexandre VII opposa un refus formel. Hors de question de faire de Rome une publicité pour la France !

Le projet tomba à l'eau, et il fallut attendre que tous les protagonistes fussent morts pour trouver une solution ; Innocent XIII accepta l'architecte proposé par la France, De Sanctis, à condition qu'aucune statue équestre avec un quelconque roi de France n'y apparût.

De Sanctis réalisa un escalier original, aux marches de largeur inégale selon les niveaux, créant une fausse perspective qui amplifie la hauteur réelle.


Devant l'église, l'obélisque n'est qu'à moitié vrai. Il est bien en granit égyptien, et antique (il provient de la propriété de Salluste), mais il fut gravé par des artistes romains qui recopièrent les hiéroglyphes à partir de ceux du Cirque Maxime.


La terrasse est toujours l'occasion pour les touristes de fixer la vue ; d'ailleurs, avant appareils photos et téléphones, on sortait le carnet d'aquarelles. Au XIXe siècle, c'était déjà une des vues les plus prisées de la ville. Et non, le gros dôme qu'on voit en premier n'est pas celui de Saint Pierre (qui se trouve de l'autre côté du Tibre) mais celui de la basilique des Saints Ambroise et Charles, bien plus proche.


En revanche, on distingue très bien Saint Paul juché au sommet  de la colonne de Marc-Aurèle.

La façade



Dans l'Antiquité, c'était là que le richissime Lucullus possédait ses jardins qui éblouissaient ses invités par leur magnificence. Après une brillante carrière militaire, il avait fait construire des villas d'un luxe inouï et voyageait de l'une à l'autre au gré des saisons, en les enrichissant de plantes rares. C'est lui qui importa le cerisier en Europe, d'ailleurs !

Charles VIII, le roi né et mort au château d'Amboise, qui déclencha la guerre d'Italie, avait chargé Saint François de Paule d'acheter le terrain pour y installer les Minimes qui avaient soigné son père. L'église fut fondée à la fin du XVe siècle, mais construite très lentement dans ce gothique qui survivait en France au XVIe. Giacomo della Porta et Carlo Fontana, architectes célèbres de la ville, la complétèrent et réalisèrent la façade avec ses deux célèbres clochetons. Difficile de savoir si ceux-ci reprennent ceux de Sant'Atanasio à Rome ou sont un hommage aux façades des cathédrales françaises !

Au-dessous du clocher gauche, on remarque une horloge, ajoutée au XVIIe siècle pour indiquer "l'heure de Paris".



Les Minimes furent remplacés au XIXe siècle par les Dames du Sacré-Coeur qui établirent ici un établissement d'enseignement précis très chic, puis par les Fraternités de Jérusalem. J'en étais resté là mais j'apprends que c'est aujourd'hui la Communauté de l'Emmanuel qui s'en occupe. Tout ce passé conventuel explique la présence de la grille de 1679 au milieu de l'église, qui séparait les moines des fidèles. Et elle est bien regrettable, car elle nous prive des superbes chapelles de la seconde partie.

Le couvent possède aussi un magnifique cloître avec des fresques sur Saint François de Paule, une belle pharmacie également décorée de fresques, et une spectaculaire anamorphose qui représente un paysage OU le saint selon du côté où on la regarde. J'ai téléphoné pour demander une autorisation de visite, mais avec le Covid, c'est raté. Je le regrette d'autant plus que je n'ai vu tout cela qu'à deux reprises.

Heureusement, l'église est très richement décorée et il reste beaucoup à voir !

La chapelle Borghese (de la Pietà)



Wilhelm Achtermann, sculpteur de Münster, passa la moitié de sa vie à Rome, où il mourut. Profondément religieux, il produisit de grands groupes ; celui-ci est la version en plâtre de sa Pietà prévue pour la cathédrale de Münster, dont l'original en marbre fut détruit pendant la seconde guerre mondiale.


Marco Antonio Borghese avait patronné la chapelle où de nombreux membres de la famille sont enterrés. Ses enfants commandèrent un cycle de la Passion à Cesare Nebbia, le peintre d'Orvieto et  également auteur de fresques à Saint Jean de Latran. Son Lavement des pieds est ici au centre.

La chapelle Bonfil

L'ambassade d'Espagne n'est pas loin... C'est donc un Espagnol qui patronna cette chapelle et commanda les fresques à Arbasia et à son compatriote Cespedes.


La Descente de Croix de Daniele de Volterra (vers 1550) est revenue ici après avoir beaucoup voyagé. Michel-Ange avait réalisé des ébauches mais laissé finalement son élève doué terminer la peinture ; en tout cas c'est un chef-d’œuvre incontestable.

La scène est divisée en deux parties : en haut, le Christ est détaché de la Croix et supporté par un Romain en jupette. Les bras tendent vers le Christ, autant de lignes dynamiques dirigées vers lui. Contrairement à l'habitude, le corps du Christ a les pieds tendus vers nous et non vers le bas. Volterra avait-il vu le prodigieux Christ mort de Mantegna de 1590 ?

En bas, la Vierge s'est évanouie, dans une position qui dut donner bien du fil à retordre au peintre. Les trois femmes réagissent en apportant leur soutien, sanglotant ou exprimant leur stupéfaction. Elles créent des cercles successifs qui mettent en valeur la Vierge, dans un coin du tableau.

L'œuvre est ouvertement maniériste, avec une palette de roses stimulée par quelques touches de vert. On ne peut manquer la nuance vert pré de la ceinture du soldat. 

Après la mort de Michel-Ange, Volterra fut payé pour habiller les nus de la Chapelle Sixtine, jugés inconvenants, et gagna dans cette affaire le surnom de Braghettone. Inutile que je traduise !

Le cordouan Pablo de Cespedes connut un succès considérable à son époque, avant d'être presque complètement oublié. Peintre, sculpteur, architecte, écrivain théoricien, poète, cet humaniste de la Renaissance devint ami intime de Michel-Ange. De tous les programmes de fresques qu'il peignit durant son séjour romain, seul demeure celui-ci. Et ce n'est pas très facile de démêler ce qui est de sa main et l’œuvre de l'Italien Arbasia !


Première partie, Adam accuse du doigt Eve qui tente de cacher sa nudité, le serpent à ses pieds.  Un groupe d'angelots porte Dieu à gauche, l'un d'eux semblant même dans une position allongée. La scène se déroule dans un charmant paysage de rivière au milieu du vallon.


A droite, une Nativité très peuplée (ce serait plutôt une Adoration des Bergers) et colorée placée dans un paysage avec ruines antiques. Nous sommes donc à Rome.

Plus encore que dans la fresque précédente, les roses et les verts permettent de reconnaître le maniérisme qui faisait alors fureur. Peinture souple; élégante, sans la tension des personnages de Volterra. On a reconnu dans la Vierge un modèle de tradition espagnole.

Le portrait en bas posa quelques problèmes aux historiens. L'hypothèse d'un autoportrait de Cespedes fut écartée car il ne correspondait pas à celui connu, un vieil homme âgé à la forme crânienne différente, et il paraissait inconcevable qu'un jeune homme, même érudit, fraîchement débarqué à Rome se vît accorder le droit de se représenter dans la chapelle. On penche maintenant pour un portrait de Bonfil, le commanditaire.

Au plafond, du blason familial partent des guirlandes de fruits surmontés de têtes, qui divisent les quatre évangélistes. On a l'impression que ces guirlandes sont l’œuvre d'un peintre différent, et pourtant c'est Cespedes qui a tout peint. Ces grotesques n'étaient pas diffusés en Espagne et ne faisaient pas partie du vocabulaire du peintre, qui a assimilé cette nouvelle technique en un temps record !

 La proposition de Cespedes est pour le moins originale : pour une fois, les Évangélistes prennent l'air, dans un paysage qui s'accorde à celui des fresques au-dessous. Le taureau de Luc semble tout heureux de cette sortie !

Dans les lunettes, les parties au-dessous de la voûte, de fausses architectures de temple, colonnes et fronton, ouvrent sur des scènes variées. Je trouve l'effet réussi et c'est un peu surréaliste à chaque fois.

 Chaque scène est entourée d'angelots qui s'amusent et paraissent bien prêts à faire des bêtises !


 Ici Cespedes a peint un Mariage de la Vierge très classique, au milieu des pilastres d'un vaste temple. On a souligné combien la Vierge s'approchait de celles de Raphaël alors que les autres personnages sont franchement maniéristes.



Cespedes a également représenté cinq Prophètes dans l'arc.


Pour l'identification, c'est facile, tout est écrit. Mais ce qui est intéressant ici, c'est de mesurer combien l'artiste a tenté de varier la représentation à chaque fois : face, profil ou trois quarts, en avancé ou non.  Et pas un regard ne va dans la même direction.



J'ai lu un article savant où l'auteure apporte des arguments picturaux pour démontrer que ces deux peintures, David avec sa harpe et Samson avec le lion, ne sont pas de la main de Cespedes.


Ils sont tout à fait recevables, mais la réponse est toute simple : ces fresques sont signées !


Je pense qu'il s'agit de Louis Dupré, un élève de David, qui fut le peintre officiel de Jérôme Bonaparte. Il vécut une grande partie de sa vie à Rome et à Naples.
 

La chapelle Orsini



Toute la chapelle était revêtue de fresques de Daniele da Volterra, y compris la Descente de Croix précédente. Elles furent détachées pendant l'occupation française du XIXe siècle et on confia donc la décoration aux artistes de l'époque.


Cela donne l'impression de se retrouver dans une église parisienne. Pourtant, pas de peintre français ici.  L'Immaculée Conception de l'autel est d'un Allemand de Berlin, Phillip Veit, chantre du mouvement nazaréen.


La Visitation et l'Annonciation sont l’œuvre d'un élève de Veit, l'Autrichien Joseph Ernst Tunner, et je les trouve aussi peu imaginatives l'une que l'autre. On est bien loin de la poésie que les artistes médiévaux savaient apporter ici !


Domenico Corvi a peint en 1758 ce Saint Michel archange; tout tourbillonnant, celui-ci se jette sur un homme qui agite fébrilement un gros serpent noir (un mamba ?). Celui de gauche, près du sol, (n'hésitez pas à agrandir) est une créature de cauchemar. Les maquilleurs de zombies dans les films d'horreur ont dû s'en inspirer !

En tout cas, l'effet est réussi, avec des couleurs bien exploitées et une énergie bouillonnante très efficace.


Le maître autel redouble les verticales du ciborium par des candélabres. Du marbre, du stuc, de l'or. Cela surprend un peu ici, mais on est à Rome... Pourtant c'est la réalisation d'un Français, Jean de Champagne, de 1676.

 
Fresques de l'école ombrienne, du début du XVIe siècle, d'étonnante facture. Je n'ai jamais pris la peine de creuser vraiment mais je les trouve très particulières.


 Le comte de Blacas, ambassadeur de France, avait entrepris la restauration de la chapelle et convié trois peintres à participer au décor illustrant des scènes de la vie du Christ ; Henri-Joseph de Forestier, peintre né à Saint-Domingue, choisit Jésus guérissant un possédé du démon et Ingres La Remise des clefs à Saint Pierre. Seul demeure ici le tableau de Léon Pallière, peintre bordelais qui avait reçu le Prix de Rome. On voit toujours son Saint Pierre guérissant un boiteux à Saint Thomas d'Aquin, à Paris.

Sa Flagellation présente l'habituel Christ à la colonne, mais version romaine : c'est à Rome qu'est exposée la relique de cette colonne, à Santa Prassede, une colonne basse. Pallière a donc tenu compte de la tradition locale.

La chapelle Lucrezia della Rovere



 Deuxième grande fresque de Daniele Volterra, cette saisissante et originale Assomption, placée dans un temple rond très architectonique.


Les deux personnages au premier plan sont absorbés dans leur conversation et ne remarquent rien ; Volterra a d'ailleurs peint un beau visage de jeune homme. Au second plan, il a représenté son maître Michel-Ange : tout à droite, en rose, avec une barbe blanche.





La voûte est difficile à distinguer, toujours organisée sur le cycle de la Vierge : Le Repos pendant la fuite en Egypte, Le Couronnement, La Rencontre à la Porte Dorée ont été peints par Pellegrino Tibaldi, artiste voyageur qui séjourna deux ans à Rome, et Marco Pino, un Siennois qui travailla ici avant de partir pour Naples.

Au centre, deux putti portent le blason de la grande famille des della Rovere, celle du pape Jules II.


  A droite, Daniele da Volterra a composé une Présentation de la Vierge tout en volume et en perspective. Derrière la balustrade en trompe-l’œil, l'escalier joue sur l'ombre et la lumière pour nous diriger vers le haut. La Vierge est la petite fille en blanc. Le personnage musculeux sur les marches révèle l'héritage de Michel-Ange.


A gauche, Michele Alberti a représenté vers 1560 un Massacre des Innocents ; si l'escalier, qui semble répondre à la fresque qui lui fait face, n'a pas la puissance de celui de Volterra, Alberti a su exprimer panique et chaos.


Les mères, avec de beaux visages pleins de noblesse, tentent de protéger des enfants effrayés. Celle-ci pourrait avoir été peinte par Michel-Ange, je trouve qu'on a ici un traitement analogue.


L'enchevêtrement de corps est incroyablement vivant.  Une excellente peinture.

 La chapelle Saint François de Paule



Saint François de Paule, le fondateur de l'ordre des Minimes, avait logiquement sa place dans l'église fondée pour cet ordre. Très endommagée, elle fut refaite au XIXe siècle, et Ingres peignit un retable de la Remise des Clefs pour remplacer l'original de Chiari. Malheureusement, ce n'est pas lui qu'on voit mais un portrait peu inspirant d'un artiste qui n'a pas laissé son nom (je le comprends !).

La chapelle de Saint Jean-Baptiste



Lorsque le banquier florentin Altoviti patronna la chapelle, il choisit de la dédier à Jean-Baptiste, le patron de sa ville. Il commanda à Giovanni Battista Naldini un cycle autour du saint.

Le Baptême semble un concentré de maniérisme, avec cette palette en vert et violet et des figures serpentines à la Bronzino. Le choix de ce mouvement est tout de même étrange, j'ai l'impression d'un Jean-Baptiste peu concerné.


De chaque côté de l'autel, un Prophète manifeste la même torsion en S.




A la voûte, La Naissance, et dans la lunette, Saint Jean-Baptiste dans la prison, avant le banquet d'Hérode.



Naldini a astucieusement utilisé le cadre de la fenêtre comme si c'était un balcon pour que le personnage s'appuie. Petit jeu de trompe-l’œil... En outre, le personnage n'a pas le regard dirigé vers l'autel, comme on s'y attendrait, mais vers l'entrée de la chapelle, donc vers le visiteur.


 A gauche, premier élément du drame, La danse de Salomé.


Le Banquet d'Hérode est déjà terminé ; un chat se régale des restes, qu'un minuscule animal enchaîné convoite. Il s'agirait d'un petit singe, animal exotique, signe de grand luxe.


 Salomé est très réussie : un beau visage, mais glacé, qui ne dégage aucune expression. La chevelure de la dame semble être déjà le blond vénitien, obtenu en laissant sécher les cheveux au soleil.

Une idée d'interprétation pour le personnage qui va tout de même exiger la tête de Jean-Baptiste. Sa mère Hérodiade pourrait être la femme à sa droite, parée de perles.


Sur le côté opposé, fin de l'histoire avec la Décollation, la décapitation donc. Peinture sombre et, malgré le sang qui s'écoule, pas très dramatique.

6 commentaires:

  1. Magnifique, Fred, the photos are really wonderful, and every description is informative as usual. Un très beau travail ! Merci. Greg à Paris

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    1. Thank you so much, dear Greg ! I am sincerely honoured and touched by your kind words.
      All my best ! Stay safe.

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  2. Amazing tour, with excellent texts. You show wonders and help us to understand them.
    Just perfect.
    Annie

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  3. Passionnant article, le plus complet sur cette belle église.
    Bravo pour votre remarquable travail.
    Paule

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    1. Merci beaucoup Paule, votre compliment me touche sincèrement.

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  4. Excellente publication, très détaillée, sans équivalent.
    De loin le meilleur sur internet.
    Merci pour ce beau travail.
    Natalie

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