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samedi 29 juin 2019

Paris : Eglise Saint Thomas d'Aquin


Voici une église où je n'ai pas mis les pieds depuis plusieurs années, et mon tour d'horizon des églises parisiennes sur le blog me fournit une bonne occasion.


En outre, depuis la Maison de l'Amérique Latine, je n'ai que quelques pas à faire.

Un peu d'histoire




Les Dominicains, un des plus puissants ordres monastiques, avaient construit leur couvent entre la rue du Bac et le boulevard Saint-Germain au XVIIe siècle. Histoire courante, la chapelle devint trop petite, il fallut en édifier une plus grande, et c'est à Pierre Bullet, l'architecte de l'Hôtel Le Peletier de Saint Fargeau et de la Porte Saint Martin qu'on s'adressa. L'église fut alors, en toute logique, consacrée à Saint Dominique, en 1683.

Après quelques modifications, dont l'ajout d'un chœur pour les moines, l'église devint paroissiale. Changement de dénomination, elle serait alors consacrée à Saint Thomas d'Aquin, un célèbre dominicain. Grand théologien du XIIIe, il rédigea nombre de textes religieux (et fut d'ailleurs reconnu docteur de l'église) essayant de concilier raison et foi. Cet Italien repose dans l'église des Jacobins à Toulouse.

Pendant la Révolution, les moines, Dominicains réformés (les Jacobins) furent évidemment chassés mais l'église fut conservée sous le nom de Temple de la Paix. Avec le Concordat, les lieux furent rendus au culte mais les Dominicains ne purent récupérer leur monastère. Les bâtiments étaient devenus dépôt d'armes puis musée militaire. Aujourd'hui c'est "Sciences Po" qui s'affirme comme célèbre voisin.

La façade



Beaucoup de créateurs parmi les frères de l'ordre. C'est à l'un d'eux, Frère Claude, qu'on confia la réalisation de la façade. C'est intéressant de comparer avec d'autres églises dominicaines, comme la Dominikanerkirche de Vienne. Si l'allure générale de la façade est semblable, avec les courbes qui unissent les deux niveaux principaux, on voit tout de suite la sobriété de celle-ci. Pas de niche, pas de statue, quelques bas-reliefs qui finalement attirent moins l'attention que l'horloge !

Chapiteaux doriques en bas, ioniques en haut. Pour des chapiteaux corinthiens, il faut attendre d'avoir pénétré à l'intérieur. Une frise de temple grec sépare les deux niveaux ; la façade, couronnée par son fronton triangulaire, emprunte bien son vocabulaire à l'Antiquité.

La nef



Inutile de comparer avec le baroque viennois pour constater immédiatement la rigueur de celle-ci. Piliers solides et pilastres sévères, égayés seulement par les chapiteaux corinthiens, mais de grandes verrières qui éclairent l'espace.


Il faut attendre d'être arrivé sous la coupole pour voir des décorations murales.


On a commandé les peintures à Merry-Joseph Blondel, peintre néoclassique qui s'illustra aussi dans les grands travaux officiels : Galerie d'Apollon du Louvre, Palais Brongniart, Château de Fontainebleau…

Division en quatre scènes pas si courante mais les évangélistes dans les pendentifs, c'est bien plus fréquent.


A l'arrière, le chœur des Dominicains est devenu chapelle Saint-Louis, une magnifique salle couverte de fresques. J'y reviendrai plus tard.

Succession d'œuvres d'art

La visite de l'église est fort intéressante également par le nombre d'œuvres d'art conservées. Plusieurs sont le butin de Napoléon, souvenir de sa campagne d'Italie (comme les Noces de Cana d'ailleurs). Le traité de Vienne stipulait que la France avait le droit de conserver les œuvres d'art "confisquées" à condition qu'on les exposât dans des églises. Bien pratique !

D'autres sont des commandes de l'état (avant la séparation d'avec l'église, évidemment), aux "grands noms de l'époque", peintres souvent Prix de Rome aujourd'hui bien oubliés.

François-Edouard Picot, La Mort de Saphire devant saint Pierre

Une toile bien néoclassique pour commencer. Dans les Actes des Apôtres, on raconte l'histoire d'un couple de menteurs, Ananie et Saphire, foudroyés par la colère divine devant Saint Pierre. Episode dramatique souvent représenté (par Masaccio, Raphaël…) et ici je trouve que Picot s'est plutôt bien débrouillé. Très belles chairs, lumières intéressantes, composition sobre et solide. Décidément je reconsidère mon avis sur ce peintre. Déjà ses Pélerins d'Emmaüs à Saint Denys du Saint Sacrement m'avaient beaucoup plu.


Pour l'orgue de la tribune, défilé de grands noms : Cliquot d'abord, Dallery, Cavaillé-Coll… La fine fleur des facteurs d'orgues.

Salvator Rosa, L'Assomption de la Vierge

Les verrières, c'est parfait pour la luminosité de l'église, mais ça occasionne des reflets pas très pratiques pour les photos. Comme toujours, il faut se placer dans des angles improbables pour obtenir des images acceptables.
Cette toile de Salvator Rosa, le prolifique multi-artiste napolitain du XVIIe, est évidemment arrivée ici dans les bagages de Napoléon. Elle ne m'enchante pas outre mesure.

Simon Vouet, L'Education de Jésus

Je crois que l'attribution de cette toile est incertaine, et tout n'est pas réussi ici. C'est un peintre que j'admire en général mais je trouve la composition assez peu rigoureuse.

Le Guerchin, L'Apparition de la Vierge à Saint Jérôme

Un magnifique Guerchin, très strictement composé cette fois, avec un bleu qui claque pour les vêtements de la Vierge.


Saint Jérôme est très réussi également, comme toujours avec Le Guerchin. La toile se trouvait dans l'église du Rosaire à Cento, la ville natale du peintre.


Au centre de la chapelle Saint Vincent de Paul, une statue en plâtre montrant le saint en train de secourir un enfant gisant au sol.


La chapelle Saint Louis, l'ancien chœur donc, ne vaut pas pour le solennel retable de Meson, Saint Louis rendant la justice sous son chêne, mais plutôt pour l'harmonie des proportions et les fresques qui l'ornent.

Merry-Joseph Blondel, Le Grand prêtre Aaron bénissant le peuple de Dieu

Deux peintures de Blondel, l'artiste de la coupole. A gauche L'Arche d'alliance et à droite Le grand-prêtre Aaron bénissant le peuple de Dieu, deux scènes donc de l'Ancien Testament. Je me serais plutôt attendu à une de l'Ancien et l'autre du Nouveau, c'est un choix inhabituel.


Sur les côtés, au-dessus des boiseries, la décoration convoque la fantaisie de la Renaissance. Le trompe-l'œil de la fausse fenêtre prouve l'habituel souci d'équilibre.


Vue sur la totalité de la nef depuis la chapelle.

François Lemoyne, La Transfiguration
Je trouve cette Transfiguration magnifique, avec une lumière réussie et un bel effet de brume. Le trompe-l'œil fonctionne excellemment et je ressens vraiment la hauteur et l'élévation. François Lemoyne est surtout connu pour ses peintures du Château de Versailles.


La chapelle de la Vierge comporte une autre statue en plâtre, mais plus ancienne que la précédente, due à Gilles Guérin.


Très difficile de faire une photo correcte.  Croyez-moi sur parole, c'est une toile de Jean Restout, un peintre normand rococo, célèbre pour sa décoration de l'Hôtel de Soubise.

Alexandre-Denis Abel de Pujol, Saint Étienne prêchant l'Évangile

Tiens, une autre peinture d'Abel de Pujol. Mais si ! J'avais montré sa spectaculaire grisaille de Saint Denys du Saint Sacrement. Cette fois, une toile bien néoclassique, un peu confuse, mais avec une confusion assumée pour exprimer la stupéfaction. Je trouve les attitudes et les expressions très efficaces.

Léon Pallière, Saint Pierre guérissant un boiteux

Pallière était un proche de Picot ; ce Bordelais obtint le Prix de Rome après plusieurs essais infructueux. Pendant son séjour romain, il reçut plusieurs commandes d'églises, et on peut toujours voir sa Flagellation à la Trinité des Monts. A Paris, c'est également la peinture religieuse qui assura l'essentiel de ses revenus. Ce Saint Pierre fut peint pour Saint Severin (une belle église parisienne, il faudra que j'y retourne) mais fut ensuite déposé ici.

Là encore c'est le vocabulaire du néoclacissisme qui s'impose. Le boiteux sur qui tombe la lumière montre vraiment un très beau travail.


12 commentaires:

  1. I love your serie of churches! Outstanding complete tours of great places!
    This one is very interesting, and also because of your informative texts.
    Annie

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    1. Thanks Annie! There are still many churches in Paris that I never talked about!

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  2. Une belle église classique peu visitée... J'avais complètement oublié qu'il y avait un Salvator Rosa ! Vous attirez l'intérêt de vos lecteurs sur ces peintres mineurs et, effectivement, il y a un combat à mener. Ce Picot ne me dit rien mais le retable est magnifique. J'imagine que l'essentiel de son œuvre dort dans les réserves des musées !
    En tout cas, votre série d'églises est magnifique et on apprend toujours énormément en vous lisant.
    Félicitations.
    Pierre

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    1. Le patrimoine religieux parisien est d'une telle richesse ! Des années de blog ne suffiront pas à l'épuiser.
      Je retourne dans des églises déjà visitées spécialement pour écrire l'article, et je dois avouer que c'est une bonne raison pour faire de multiples découvertes !
      Un grand merci, Pierre.

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  3. Passionnante visite. Ce que j'apprécie particulièrement est l'éclairage donné à chaque fois sur les artistes et les œuvres. Quelques explications sur un tableau, un lien avec la Porte Saint Martin... C'est cela qui singularise vos articles, toujours pédagogiques. Et aussi le fait que vous puissiez écrire "je n'aime pas" (à mots couverts) au lieu de vous enthousiasmer à chaque photo.
    C'est vraiment captivant.
    J'attends avec impatience votre prochaine visite d'église !
    Laura

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    1. Il me semble que si je ne cherche pas à situer un peu un artiste peu connu, ce n'est pas très utile de le citer ! Relier, comme vous le rappelez, Saint Thomas d'Aquin à la Porte Saint Martin me semble bien plus pertinent que se contenter de citer Bullet !
      Merci beaucoup, Laura. Votre message me fait un grand plaisir !

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  4. Very well written post about art and history. It will be fine to
    everyone, art lover, tourist or just lover of Paris! Keep doing what you are doing!
    for sure i will check out more posts.

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  5. Que de souvenirs en regardant tes photos, St Thomas d Aquin où j'ai fait ma première communion et ma communion solennelle, Notre Dame où j ai fait ma confirmation. Et puis l'église Saint Germain, proche de mon college rue Saint Benoît. Bref tout mon quartier car j'ai grandi 32 bd Raspail!
    Bonnes vacances Fred.
    Bises

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    1. Incroyable! D'autant plus que ce n'est vraiment pas l'église la plus connue de Paris !
      Merci beaucoup Cathy.
      Gros bisous et très bonnes vacances !

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  6. St Thomas D’Aquin n’est pas l’église la plus connue de Paris, et pourtant elle vaut la visite. Grâce à ton blog je découvre une église lumineuse, ornée de décorations de bon goût dans l’ensemble, et surtout des tableaux de grands peintres. J’ai appris beaucoup, sur son historique notamment. Ton article met en relief l’étendue de tes connaissances, et sa lecture est un enrichissement dont je te remercie.
    Bisous. Mam.

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    1. Il m'a quand même fallu faire des recherches pour rédiger cet article ! Mais à la longue, lorsqu'un nom revient, on finit par le situer. Je commence à relier les peintures de Picot ou d'Abel de Pujol parce que je les ai trouvées intéressantes au début, alors qu'ils ne sont réellement pas devenus des stars de l'histoire de l'art !
      Grand merci.
      Gros bisous !

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