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mercredi 26 juin 2019

Paris : Frans Hals, Portraits de famille (Fondation Custodia)


Après l'exposition Enfants du Siècle d'Or, je reste dans la période avec ce peintre majeur du XVIIe, sans doute un des plus avancés aux Pays-Bas avec Rembrandt, un de ceux qui ont énormément compté. Les Impressionnistes, dont Manet, l'admiraient beaucoup. Van Gogh écrivait son admiration devant "les têtes, les yeux, le nez, la bouche, faits des premiers coups de brosse, sans retouches quelconques".


Je ne renie pas Vermeer que j'adore, mais dont les qualités me semblent différentes.
L'exposition présente est petite par la taille, six toiles seulement (et même quatre finalement, mystère !) mais grande puisqu'elle présente à la fois la totalité des portraits de famille réalisés par le peintre de Haarlem, et une grande première.

Le tableau du Cincinatti Art Museum


Frans Hals, Portrait d'une famille néerlandaise

Il s'agit du plus petit tableau de la série, un moyen format destiné à orner l'intérieur familial. Peu de personnages, vêtements stricts (la mode calviniste), un décor de convention avec un rideau théâtral et une improbable construction qui m'évoque un arc.

Pourtant le charme opère : sourires généreusement répartis, signes d'affection comme les mains jointes des petites, construction dynamique en diagonale, symbole d'amour éternel avec les roses éparses au sol. Et le fini que met toujours Hals dans ses œuvres de commande.

Le tableau de la National Gallery (Londres)


Frans Hals, Portrait de famille dans un paysage

Hormis le précédent, tous les autres tableaux sont de grand format. Ici la famille plus nombreuse se tient sur une butte, laissant voir un paysage plus indistinct (le domaine familial ?).

Cette fois les enfants entourent les parents. Ces derniers demeurent assis, l'homme à la droite de la femme selon l'usage, et la nombreuse descendance semble faire cercle sans les dissimuler. Vêtements sévères à nouveau, et même une tenue démodée pour la mère qui arbore la fraise en meule déjà un peu dépassée.


Ce qui me frappe surtout, c'est la différence de pose et d'expression selon les personnages. Attitude compassée pour les parents, mais animation chez les plus jeunes. Selon le cartel, la commande aurait été stricte concernant la représentation du couple mais aurait laissé davantage de liberté pour figurer les enfants.


Sept enfants, tout de même, dont une grande fille coquette avec un sac (ou panier ?) ouvragé. La brosse de Hals s'est faite plus rapide, et la main pourrait provenir d'une toile impressionniste.

Le tableau du Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid


Frans Hals, Portrait de famille dans un paysage

On croirait un pendant au tableau précédent : famille et paysage s'y répondent comme dans un miroir.
Plus que cinq personnages, cette fois, dont un jeune noir. Tout le monde est debout, et les regards circulent de nouveau. Un seul des personnages plantait ses yeux dans ceux du spectateur, la fillette assise dans le précédent. Ici le garçon au bâton et le jeune noir nous dévisagent. Les mains jointes sont bien éclairées pour que le spectateur puisse vérifier cette manifestation d'amour conjugal.

La présence de Noirs n'est pas courante dans les tableaux du Siècle d'Or mais il ne faut pas oublier que la Hollande était alors un empire colonial. Je n'ai pas vérifié si l'esclavage y était courant, mais le contraire m'étonnerait. Cela dit, le jeune homme me semble vraiment bien vêtu pour un esclave. Il est attesté qu'on envoyait depuis l'Afrique de l'Ouest de jeunes gens brillants qui venaient faire des études en Europe.

Une première : un tableau recomposé



C'est un "coup" extraordinaire : en nettoyant leur tableau, celui du centre, les spécialistes du Musée des Beaux-Arts de Bruxelles se sont aperçu que deux personnages fragmentaires étaient apparus à droite ; sans aucun doute, c'était le signe que le tableau avait été découpé. Dès lors, on lança la chasse aux indices pour retrouver les autres pièces du puzzle. Je veux bien croire la recherche passionnante que ça a dû être, et la jubilation quand deux autres morceaux ont pu coïncider.

Une fois les trois rassemblés (on n'a rien du quatrième, on espère seulement qu'il est conservé quelque part), la cohérence est évidente : lignes du sol et de l'horizon, arbre restructuré à droite.


On a même proposé une stimulante reconstitution du tableau complet. Il ne s'agit que d'une image imprimée mais c'est assez magique de voir que le tableau de Toledo n'était finalement qu'une partie d'une toile plus vaste !


Ce dessin du XIXe siècle ne montre déjà que la partie centrale, signe qu'elle avait déjà été découpée.

Frans Hals, Portrait de la famille Van Campen dans un paysage (Toledo Museum of Art)

Van Campen était un riche marchand de drap à Haarlem, la ville de Hals ; lors de leur vingt ans de mariage, occasion à laquelle le tableau fut sans doute commandé, le couple avait treize enfants, ce que la toile regroupée permet de vérifier. En fait, le plus jeune, la fillette de droite, n'était pas encore née et c'est le peintre Salomon de Bray qui la rajouta, signant en même temps, nous dit le cartel, près de ses semelles. Je ne suis pas certain d'avoir bien vu cette signature ! En tout cas, ce fut une fausse piste : on crut que la signature était celle de Jan de Braij (vu dans l'exposition précédente) et que le tableau représentait sa propre famille. Je pense que la reconstitution, du coup, ne fut pas une mince affaire.

Frans Hals, Trois enfants van Campen dans une voiture tirée par un bouc
(Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique)

Comme dans le tableau de Madrid, deux personnages nous regardent : le père, et la fillette dans une précieuse coiffe de dentelle (bien peu adaptée à ces plaisirs champêtres). L'attitude un peu solennelle de cette dernière contraste avec les deux autres enfants aux mines réjouies.

Frans Hals, Portrait d'un jeune garçon (collection privée)

Mettre la main sur cette troisième partie ne dut pas être simple mais c'est encore plus convaincant ; je trouve même la ressemblance entre les deux frères assez frappante !


Outre la qualité vraiment exceptionnelle de ce portrait d'ensemble, je me délecte du talent de Hals et de sa modernité. A nouveau, ces pommes et ces noix pourraient bien composer une nature morte impressionniste, de Manet par exemple. Grand admirateur de Hals, je l'ai écrit plus haut.


Le monogramme de Hals, un signe unifiant F et H, apparaît nettement sur la tapisserie du fauteuil.


 Est-ce que le gribouillis, à gauche de la semelle de droite, est la signature de de Braij ? Si c'est cela, chapeau à ceux qui sont parvenus à y lire quelque chose !
C'est tout ce que j'ai trouvé en scrutant attentivement la toile…

 Aussi incroyable que cela paraisse, l'exposition présente donc tous les portraits de famille de Hals connus. Il existe d'autres portraits de groupe, on en voit plusieurs au Musée de Haarlem, mais ce sont plutôt des corporations, des régentes, des archers qui sont représentés.

6 commentaires:

  1. A real Master at work. Your texts and details help us to understand these great paintings. A top-level post!
    Annie

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    1. Thanks Annie! When the subject is great, it's not uneasy to edit a good post!

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  2. Effectivement une micro-exposition mais vraiment passionnante. La recomposition du tableau découpé est absolument fascinante. Merci pour ce grand article, avec toujours vos commentaires avisés et d'excellentes photos.
    Pierre

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    1. Merci beaucoup Pierre ! Je partage votre avis sur cette exposition.

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  3. Brief exhibition but an excellent article to understand how precious it is. A gem for paint lovers.
    Well done!

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    1. I thank you very much for your kind words, dear Anonymous!

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