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samedi 2 novembre 2019

Vienne : Exposition Caravage et le Bernin (Kunsthistorisches Museum)


Après le succès de l'exposition romaine qui rassemblait ces deux géants de l'histoire de l'art, le merveilleux Kunsthistorisches Museum de Vienne se propose de les réunir à nouveau, avec une nouvelle porte d'entrée : son but est de montrer comment les émotions deviennent soudain un sujet majeur, et s'épanouissent dans le creuset romain dans la première moitié du XVIIe siècle, les débuts du baroque. A peu près soixante-dix œuvres y sont présentées, qui puisent largement dans les opulentes collections du musée, complétées par des prêts parfois rares. Des Caravage venant de collection privée, on n'en admire pas tous les jours !

J'ai pu voir un certain nombre d'expositions sur le Caravage, un de mes peintres favoris, à chaque fois avec un éclairage différent. Mais jamais encore sur le Bernin. Malheureusement, beaucoup de sculptures sont interdites de photographie. J'ai pu compléter avec le Richelieu et la Méduse, mais il en manque ici un grand nombre et mon article ne rend donc qu'une image parcellaire de l'exposition. J'espère néanmoins qu'elle pourra fournir un modeste aperçu et surtout donner envie de s'y précipiter.

Le fil conducteur est donc les émotions et chaque salle est organisée selon une thématique que j'ai respectée ici.

Emerveillement et stupeur

Le goût change au tournant du XVIIe siècle à Rome ; on attend "meraviglia"et "stupore", donc l'artiste se doit de surprendre et de se montrer créatif. Parallèlement, la philosophie considère alors que ces sentiments permettent d'accéder à la connaissance.

Les panonceaux rappellent les propos de Descartes : l'admiration a  "beaucoup de force, à cause de la surprise, c'est-à-dire de l'arrivement subit et inopiné de l'impression qui change le mouvement des esprits [...] Et la force dépend de deux choses, à savoir de la nouveauté, et de ce que le mouvement qu'elle cause a dès son commencement toute sa force."

Le Caravage, Narcisse

Une des plus célèbres toiles du Caravage illustre le mythe de Narcisse, personnage des Métamorphoses d'Ovide. Le fameux clair-obscur que Caravage maîtrise à la perfection (et qui inspirera tant de peintres après lui) est particulièrement visible sur ce genou, peint avec virtuosité, le point central de la peinture. A chaque fois que je revois ce tableau, c'est la main qui effleure l'eau qui m'émeut le plus, comme un contact avec le reflet, mais légère pour ne pas le troubler.

A la Renaissance, le mythe de Narcisse est vu comme la fondation de la peinture, le reflet étant à la base de l'art.

Le Caravage, Le Garçon mordu par un lézard

Autre célébrité, ce tableau qui crée une simultanéité entre le moment de la morsure et celui du cri. On y voit un autoportrait, mais c'est surtout l'érotisme qui demeure : l'épaule nu, l'expression de la bouche sensuelle, et les détails à double sens (les fruits en train de se gâter, les fleurs de se faner). Il pourrait montrer aussi le lien entre le plaisir et la douleur.

Le Caravage, Le Garçon mordu par un lézard (détail)

Le lézard ne se repère pas tout de suite ! En revanche, on voit toujours le réalisme des ongles terreux dans une grande majorité de tableaux du Caravage.

Le Bernin, Méduse

 Cette sculpture restée longtemps anonyme a fini par être rendue au Bernin, qui s'est montré très inventif ; généralement, on présentait la tête coupée ou le masque.

Par ailleurs, alors qu'en général la tête épouvante, ici elle exprime la douleur. On y a vu l'angoisse face à ses propres fautes.

Horreur et terreur


La capacité à émouvoir le spectateur était donc un critère de choix dans l'appréciation d'un tableau ; et cela le resta longtemps !

Dans le champ des émotions, on comprenait les plus fortes, orrore et terribilità. Le panonceau évoque Aristote, pour qui ces émotions négatives pouvaient se transformer en plaisir. Il faudrait que je relise Aristote, moi aussi !

Guido Reni, Le Massacre des Innocents

Guido Reni, grand maître de la peinture de Bologne, a réalisé de grands retables où éclatent ses qualités plastiques. Ici il crée un tableau en trois plans, où des putti mignons et le premier plan funèbre encadrent une scène médiane d'une grande violence. L'alternance des couleurs, chaudes et froides, donne un relief indéniable.


Carlo Saraceni, Judith avec la tête d'Holopherne

Les décapitations  sont nombreuses dans la Bible et certaines ont eu un énorme succès pictural. Outre Holopherne et Goliath présentés ici, je pense évidemment à Saül ou à Jean-Baptiste. L'extraordinaire Judith et Holopherne du Caravage n'est pas venue mais le musée présente sa propre toile de Saraceni, que je trouve vraiment formidable par son exceptionnel clair-obscur et la variété des expressions. Le contraste entre l'assurance de Judith, la dévotion admirative de la servante, et le cri figé sur le visage d'Holopherne restent extraordinaires.

Le Caravage, David avec la tête de Goliath

Ce tableau fait aussi partie des collections du musée, qui possède plusieurs chefs-d’œuvre du Caravage. La puissance de la lumière, le contraste entre les deux têtes, l'effet tridimensionnel du bras qui présente la tête sont peut-être encore dépassés par la troublante splendeur des chairs. La Galerie Borghese de Rome possède aussi son David du Caravage, très voisin de celui-ci, mais dans un format vertical, cependant je trouve plus de force à celui-ci.

Tanzio da Varallo, David avec la tête de Goliath

 Evidemment, avec Tanzio da Varallo, on redescend d'un cran, mais ce maniériste ( le vert et le rose ne trompent pas) sait y faire pour exposer en même temps puissance, sauvagerie et résolution.

Le Bernin, Saint Sébastien

Une vraie merveille du Bernin que ce corps abandonné. Les flèches ne se voient pas tout de suite, et c'est surtout le corps presque nu qui est offert en pâture au spectateur. Il s'agit d'une sculpture de jeunesse, encore marquée par le style antique.

L'amour


 Au XVIe et au XVIIe siècles, l'idée chrétienne de la chasteté de la Vierge et de l'amour physique destiné à la seule procréation est largement battue en brèche. La question de l'amour sacré s'opposant à l'amour profane est largement débattue. On examine déjà les notions de genre, de féminin et de masculin, et l'homosexualité est envisagée dans l'art par des moyens détournés alors que les lois la punissent toujours de mort. Si le doute demeure quant à la sexualité du Caravage, la sensualité des corps aussi bien masculins que féminins me semble évidente.

Le Caravage, Saint Jean Baptiste au bélier

Saint Jean Baptiste est un personnage récurrent dans l’œuvre du Caravage, avec une dizaine de toiles (jusqu'aux deux décollations, absentes ici). Il existe une autre version de ce Saint Jean Baptiste juvénile (celle-ci provient du Musée du Capitole à Rome), où le bélier est un élément rare dans l'iconographie. Toutes les deux extrêmement sensuelles.

Le Caravage, Saint François en extase

 C'est un tableau rarement montré en Europe que ce Saint François venu de Hartford. Il est souvent présenté comme une Pietà, mais la tendresse du geste et la douceur du regard ont aussi porté à en relever la sensualité. On est loin de l'agitation de l'extase de Sainte Thérèse chez le Bernin ! Le peintre nous montre le bouleversement intense de la connexion avec Dieu qui a mis le saint à terre (Paul était lui aussi tombé de cheval, avec violence cette fois) mais l'extase ici est un apaisement intense.

De toute façon, les chairs chez le Caravage sont toujours chaudes et sensuelles, et souvent contrastées par des teintes plus froides (ici l'arrière-plan un peu surnaturel). En tout cas, c'est une magnifique toile. 

Saint François est un sujet récurrent chez Caravage, notamment dans la troublante paire de tableaux où Caravage le peint en méditation, l'un au musée des Capucins et l'autre à la Galerie Nationale, à Rome l'un et l'autre.


Le Caravage, Saint François en extase (détail)

Plusieurs spécialistes ont relevé la ressemblance frappante entre le visage de Saint François et ses autoportraits glissés dans plusieurs toiles. Je pense que Caravage se sentait très proche de ce saint humble et qu'il voyait une rédemption. L'homme impétueux et tourmenté dut trouver un réel apaisement dans ce visage serein. 

Le Bernin, L'Extase de Sainte Thérèse

 Il faut dire qu'avec l'extase, on est bien au cœur du dilemme amour sacré / amour profane. Cet état d'abandon et de jouissance extrême désigne aussi bien l'orgasme que le ravissement mystique, et le baroque ne s'est pas privé de jeter le trouble.

Marie-Madeleine et Sainte Thérèse furent les cibles privilégiées des artistes, et le Bernin a entièrement conçu la Chapelle Cornaro à Santa Maria della Vittoria, à Rome, pour y exposer sa sculpture. Ici c'est la terre cuite préparatoire, venue de l'Ermitage, qui est présentée. Il manque une partie de l'ange, notamment le bras avec la flèche, mais la sainte dans sa robe frémissante produit bien son petit effet.

Louis Finson, L'Extase de Marie-Madeleine (copie d'un tableau du Caravage)

 L'extase est également un élément de l'iconographie de Marie-Madeleine, et Le Caravage la peint en montrant une même immobilité ; tout se passe à l'intérieur. Mais l'érotisme de cette gorge exposée n'est pas absent. 

C'est un vrai mystère que ce tableau dont il existe dix-huit versions, certaines, comme celle-ci, signées, d'autres non. On ne sait plus laquelle est l'authentique, ni même si elle existe encore. Dans cette version, pas de doute, Louis Finson a laissé son nom bien en évidence. 

Superbe tableau promis à une longue descendance, de toute façon.

Artemisia Gentileschi, Marie-Madeleine en extase

Comme son papa, Artemisia est une des grandes artistes de son temps. La lumière est remarquable, mais je trouve la chute de cheveux encore plus réussie que dans le tableau précédent. Une splendeur. A l'instar du Caravage, elle abstrait tout décor pour ne se concentrer que sur le personnage.

Alessandro Algardi, Eros et Anteros

L'Algarde fut formé dans sa Bologne natale par un des Carrache (Lodovico Carracci, je crois) et à Rome, ce fut le rival permanent du Bernin. Le pape préférait même son travail. Également architecte, il est l'auteur de la villa Doria Pamphilij à Rome.

Ici il représente les deux fils en train de se disputer pour savoir lequel est le plus aimé, l'un prenant nettement l'avantage sur l'autre.

Le Guerchin, La Parabole du fils prodigue

Cette histoire de pécheur repentant et de miséricorde est un sujet fréquemment représenté. Le Guerchin choisit le moment où le fils retire ses vêtements, abandonnant symboliquement son passé, ce qui permet de concentrer l'action sur les mains. J'adore ce tableau, mais j'aime toujours Le Guerchin !

Guido Reni, Amour sacré et amour profane

Clair-obscur très caravagesque pour ce tableau. Anteros, l'amour sacré, brûle les flèches de son frère Eros, attaché à un  arbre. Très moral.

Andrea Sacchi, Dédale et Icare

Si le mythe de Dédale et Icare est bien connu, ses représentations picturales sont plus rares, et c'est souvent la chute d'Icare qui est montrée. J'ai toujours le tableau de Brueghel à Bruxelles en tête !

Andrea Sacchi est un excellent peintre baroque, rival de Pietro da Cortona, et son influence s'exerça notamment sur Poussin pendant son séjour romain. Il a choisi le moment où Dédale équipe son fils avec les ailes, instantané plein de tension entre la proximité des corps, la différence des chairs et le regard extérieur du fils. L'inquiétude du père est perceptible, et il semble même que sa joue soit humide de larmes.


Mouvement et action


Dès le XVe siècle, Alberti, le théoricien de la perspective, avait souligné le lien entre les affetti, les émotions, et le moto, le mouvement, l'action. Au XVIe et plus encore au XVIIe siècle, cette relation s'établit plus fermement. On doit représenter l'instant de l'action en même temps que l'univers intérieur.

Nicolas Poussin, La Destruction du Temple de Jerusalem par Titus

Simon Vouet vivait déjà à Rome, formidable chantier bouillonnant, où les commandes des papes et des riches particuliers attiraient toute l'Europe. Attiré par son exemple, Poussin s'y rendit, ainsi que Valentin de Boulogne ou le sculpteur Du Quesnoy, avec qui il partagea son logement. Il se maria à Rome et y vécut une quinzaine d'années.

Cette scène de foule pleine d'animation fait écho à d'autres représentations comme L'Enlèvement des Sabines.

Pietro da Cortona, Vénus chasseresse apparaissant à Énée

Énée ne reconnaît pas tout d'abord sa mère, déguisée en chasseresse, qui vient lui montrer le chemin du palais de Didon. L'instantané fige les personnages dans des gestes qui expriment leurs sentiments. Pietro da Cortona, le rival de Sacchi donc, était un peintre prolifique qui domina la scène romaine ; on peut voir une série de toiles au Louvre, dont celle-ci. A Rome, il a laissé partout des témoignages


Bartolomeo Manfredi, Caïn tuant Abel

Manfredi fut un des tout premiers peintres à s'inspirer du Caravage, et ses tableaux très expressifs mènent souvent le récit par la représentation du corps. Le premier homicide, sujet classique, n'a pas toujours la force de ces corps enchevêtrés.

Généralement le peintre travaillait à partir de sculptures, ce qui peut expliquer cette puissante plasticité.

Le Bernin, Triton

La fontaine de la Piazza Barberini ne s'est pas téléportée à Vienne ! Cette terre cuite est en fait une préparation pour la Fontana del Moro, Piazza Navona. Les cheveux au vent et la torsion du corps montrent un triton (une divinité marine) chevauchant les ondes sur son dauphin.

Le Bernin, Eléphant portant un obélisque

 Le Bernin adorait cette idée d'un animal vivant opposé à une structure architecturale. Il conçut la statue pour le Palazzo Barberini, mais elle fut finalement réalisée sur la place de Santa Maria sopra Minerva.

La vivacité


 La vivacité, c'est une recherche permanente dans l'art : donner l'impression que la représentation est vivante ! Le portrait est le domaine privilégié de cette investigation, et il faut non seulement suggérer la vie mais aussi retranscrire le caractère et les émotions du sujet.

Le Bernin, Richelieu

 J'ignore pourquoi ici on ne peut photographier la sculpture alors que c'est autorisé au Louvre, son lieu de résidence habituel. C'est un magnifique portrait, mais Le Bernin ne rencontra jamais Richelieu ; il se basa sur le tableau de Philippe de Champaigne.

Le Caravage, Fra Antonio Martelli

 Après le meurtre commis en Italie, le bouillant Caravage (je recommande une lecture passionnante, Les passages à l'acte dans la vie et l'œuvre du Caravage d'Alain Dervaux, lisible sur internet) dut s'enfuir précipitamment à Malte où son réseau de protecteurs lui offrit une place sûre. Les commandes de portrait concernèrent alors les dignitaires de Saint Jean de Malte, dont la croix est toujours bien visible.

Angelo Caroselli, L'Homme chantant

Une position curieuse. Contrairement au titre, l'homme ne chante pas, mais il montre la partition et la main (magnifiquement peinte !) qui bat la mesure.

Simon Vouet, Autoportrait

Je retrouve ce magnifique autoportrait venu du Musée des Beaux-Arts de Lyon. L'intérêt d'un nouvel accrochage, c'est que des relations d'autres toiles s'établissent. Ici, le clair-obscur n'apparaît pas davantage, mais je vois la carnation d'un autre œil. Par ailleurs, l'éclairage de cette exposition rend le fond plus sombre.

Le Dominiquin, Giovanni Battista Agucchi

Giovanni Battista Agucchi, théoricien de l'art,  diplomate du Vatican, était aussi ami du Dominiquin dès que ce dernier arriva à Rome. Ce portrait illustre bien la "vivacité" mise en avant dans cette salle, tant on a le sentiment qu'il interrompt sa lecture pour plonger un regard acéré vers le spectateur.

Le Bernin, Autoportrait

On connaît beaucoup moins l'activité picturale du Bernin, pourtant auteur de cent cinquante toiles. J'aime bien ce côté un peu informel avec la chevelure en broussaille. Un portrait naturel, comme beaucoup de peintres choisirent d'en produire.

Le Caravage, Maffeo Barberini

Pas le meilleur Caravage, même si on retrouve sa virtuosité dans la nature morte à gauche. Mais j'imagine que l'artiste n'a pas vraiment eu les coudées franches ici.

Les auteurs du cartel sont d'un avis différent ; ils relèvent "le rendu extrêmement sensuel et psychologique" qui prouverait que Caravage s'était engagé dans une voie plus analytique.

Passion et compassion


 Aristote avait mis en avant qu'assister à la douleur des autres (la passion) exerçait la compassion du spectateur. La purgation des passions, la catharsis, joue un rôle central dans tous les arts du XVIIe siècle, y compris dans la littérature et la tragédie.

Si le Moyen-Âge avait encouragé le représentation de la Passion du Christ, le protestantisme s'y opposa, considérant que l'adoration des images relevait de l'idolâtrie. En réaction, dès la Contre-Réforme, les scènes de la Passion furent commandées en grand nombre et le XVIIe en produisit encore.

Orazio Gentileschi, Le Sacrifice d'Isaac

Magnifique toile d'Orazio, le papa d'Artemisia, pour un sujet classique destiné à montrer l'abnégation et la puissance de la foi. Le clair-obscur est magnifique. Je suis bluffé par l'ombre légère sur le torse et le visage d'Isaac.

Lodovico Carracci, Saint Sébastien jeté dans la Cloaca Maxima

 En général, Saint Sébastien est surtout un éphèbe percé de flèches. La scène de sa mort est plus rare et celle-ci encore plus. Lodovico (mon préféré dans la tribu des Carrache) a construit une scène stricte où l'immobilité cadavérique s'oppose aux mouvements fébriles qui l'encerclent.

Annibale Carracci, Pietà

 Un bon tableau d'Annibale, avec des couleurs qui me semblent plus rares chez lui. Ces bleus me rappellent soudain la peinture vénitienne ! Je trouve le tableau expressif avec ce corps massif, abandonné, la Vierge épuisée, les deux putti mutins. La masse du mur stabilise le tableau.

Le Guerchin, Marie-Madeleine avec deux anges

Marie-Madeleine, la patronne des pénitentes, s'agenouille devant le tombeau du Christ, au crépuscule. Elle prie pour la Résurrection dont elle sera le premier témoin pendant qu'un ange lui présente la couronne d'épines et un clou de la croix, rappel de la Passion. Le second pointe le doigt vers le ciel.

Donc une scène hautement morale, et malgré tout une peinture intéressante par la vivacité de la palette (un superbe bleu intense notamment) et la qualité de l'expression de Marie-Madeleine.

Le Guerchin, Marie-Madeleine avec deux anges (détail)

Le Caravage, La Madone du Rosaire

Les grands retables du Caravage sont de vrais joyaux. Il faut faire le tour des églises de Rome et retourner au Louvre pour la fabuleuse Mort de la Vierge !

Saint Dominique regarde vers la Vierge, qui l'enjoint de distribuer des rosaires au peuple. A gauche, le commanditaire nous regarde. De l'autre côté, Saint Pierre de Vérone (le saint souvent représenté avec une hache dans le crâne) désigne la Vierge du doigt. Au premier plan, la foule de pauvres vient quémander des rosaires.

Le Caravage, La Madone du Rosaire (détail)

La scène de la Madone du Rosaire fut ardemment promulguée par la Contre-Réforme. Cette scène, relatant une apparition de la Vierge à Albi, fut diffusée pour relancer le culte marial. Le Caravage s'est donc employé à montrer des personnages de différent statut, tous impliqués dans la dévotion.

Le Caravage, La Madone du Rosaire (détail)

Mattia Preti, L'Incrédulité de Saint Thomas

 Mattia Preti est un peu oublié de nos jours, et je trouve pourtant que c'est un excellent peintre, qui assimile l'héritage du Caravage. L'ironie du sort l'amènera à finir ses jours également à Malte !

Encore un infatigable artisan, dont la production est estimée à plus de cinq cents œuvres, et qui trouve souvent des solutions originales.

Ici il choisit de rompre avec la tradition en représentant le Christ de face, qui plonge ses yeux dans les nôtres. Chacun des disciples montre une réaction différente. J'aime beaucoup les mains en prière, anonymes, au-dessus des épaules de Saint Thomas.

Spadarino, Le Christ exhibant ses blessures

 Spadarino ( Giovanni Antonio Galli) est encore un peintre plus rare que Preti. C'est un des tout premiers suiveurs du Caravage, comme Gentileschi ou Saraceni, et un excellent artiste. Je découvre donc cette toile venue de Perth, somptueuse.

Pendant longtemps, on attribua à Spadarino des toiles ensuite rendues au Caravage, comme le Narcisse du début de l'exposition.

Le Caravage, Le Couronnement d'épines

Ce somptueux tableau, irradié par la chaude palette, est extrêmement fidèle au texte de l'évangile de Matthieu, avec le "manteau rouge" et le "roseau dans la main droite". Les "soldats du gouverneur utilisent les mêmes roseaux, et on pense que le V et le I ainsi formés renvoient aux initiales du commanditaire, Vincenzo Giustiniani (Vincentius Iustinianus).

La construction en diagonale, très rigoureuse, structure le tableau en laissant une zone d'ombre, justement occupée par un soldat en armure noire. La partie en lumière exprime une forte tension, mettant en valeur la résignation du Christ, tête baissée, magnifiquement peint. Je trouve une excellente idée ce buste qui émerge de droite sans qu'on voie les jambes, ce qui lui donne finalement plus de puissance.

Fabuleux. Un de mes tableaux favoris du peintre !

Le Caravage, Le Couronnement d'épines (détail)

Le Caravage, Le Couronnement d'épines (détail)

Vision


Au début du Baroque, on pensait que la vision pouvait provenir aussi bien de la méditation que de la contemplation d'une œuvre d'art.

Le thème prit, à cette époque, une grande importance. Les auteurs du XVIIe différencièrent l'extase, révélation intérieure, et le ravissement, qui s'empare du corps tout entier. Les étapes furent minutieusement étudiées et les peintres y contribuèrent largement. La toute première étape était la méditation mystique, la plus couramment représentée. Et c'est le cas ici, faute d'avoir pu photographier toutes les toiles.

Le Caravage, Saint François en méditation

Saint François est représenté sur plusieurs toiles connues du Caravage, et l'exposition a réussi à en présenter deux. Le tableau a longtemps passé pour un autoportrait, mais cette assertion court à propos de plusieurs.

Le magnifique travail sur la lumière relie le visage, la main en prière et le livre, ce qui accentue la puissance expressive de l'évangile. Le crâne lisse crée un contraste avec les rides du saint.
 
Le Caravage, Saint François en méditation (détail)

Dirck van Baburen, Saint François en méditation

Dirck van Baburen, un des peintres d'Utrecht, passa dix ans en Italie, où Giustiniani lui commanda également des toiles. C'est un des caravagesques à avoir diffusé ensuite ce courant chez les peintres du Nord. D'ailleurs, avec Ter Brugghen et Van Honthorst, il compose l'école caravagesque d'Utrecht. Comme il mourut à trente ans de la peste, son œuvre demeure rare.

C'est intéressant de voir la totale différence de traitement sur un même thème !

Scherzo


C'est le mot italien qu'il faut voir ici, avec son sens de plaisanterie. L'exposition souligne le rôle de l'humour dans l'esthétique baroque, de plaisanterie. Une bonne idée car c'est rarement montré.

Trophime Bigot, L'Homme qui crie

 Trophime Bigot, un peintre arlésien (Trophime est le saint local), passa également plusieurs années à Rome où il reçut l'influence caravagesque. On possède peu de toiles signées et les attributions ne sont pas toujours garanties. Il semblerait que ces effets de chandelle éclairant une partie du tableau reviennent souvent dans ses toiles. Bon, mais chez Georges de la Tour aussi !

En tout cas, c'est un tableau extrêmement animé, où le sourire du second personnage montre bien la plaisanterie.

Trophime Bigot, L'Homme qui crie (détail)

 Et peut-être le plus ancien à présenter un potiron évidé !

François du Quesnoy, Vénus endormie avec deux putti

François du Quesnoy, le colocataire de Poussin, fut élève du Bernin. Ce dernier l'engagea pour le fameux baldaquin de Saint Pierre du Vatican, où il s'occupa de la décoration sculptée. Son habileté à conjuguer étude de l'antique et observation du naturel lui valut de nombreuses commandes (en France pour Mazarin), et à Rome évidemment où il réalisa ce bas-relief sur fond de lapis-lazuli.

Le Bernin, Tête grotesque

Les grotesques étaient à la mode depuis la Renaissance où on avait envahi de fausses grottes avec ces représentations pseudo-antiques. Les têtes de satyre, expressions exagérées, les trognes faisaient partie du répertoire.

Alessandro Algardi, Jeune satyre avec le masque de Silène

 Bien curieuse réalisation de Algardi à partir d'un fragment de statue antique, qui anticipe ce que fera Rodin bien plus tard : du surréalisme avant l'heure.

Epilogue


On a monté à plusieurs reprises des expositions sur ce thème, l'héritage des maîtres. Ici, la présentation ne diffère guère des salles précédentes où on a déjà vu les productions des émules. C'est tout de même l'occasion de quelques beaux tableaux.

Hendrick ter Bruggen, Jeune femme accordant un luth

 Ter Brugghen, un des caravagesques d'Utrecht donc, est toujours un formidable artiste, retrouvant clair-obscur, mouvement et animation. La musicienne aux épaules dénudées semble surprise en pleine action. N'oublions pas que Le Caravage découvrit chez son protecteur, le cardinal Del Monte, une belle collection d'instruments de musique. Il apprit d'ailleurs à jouer de la guitare durant ce séjour.

Valentin de Boulogne, Les cinq sens

Valentin de Boulogne passa la majeure partie de sa carrière à Rome où il mourut, et c'est un des peintres français chez qui le caravagisme est le plus discernable. Son interprétation des cinq sens, thème médiéval, se double d'un autre thème caravagesque, la diseuse de bonne aventure. Comme le tableau du Louvre n'est pas présenté ici, c'est à ce tableau de rappeler l'importance du thème.

Valentin de Boulogne est un excellent peintre, et la variété des expressions, la maîtrise d'un fouillis très organisé le prouvent.

Valentin de Boulogne, Les cinq sens (détail)


Valentin de Boulogne, Les cinq sens (détail)

Mattia Preti, La Vocation de Saint Mathieu

On ne verra pas non plus le chef-d’œuvre de Saint Louis des Français à Rome, mais ce remarquable tableau de Mattia Preti contient aussi dramatisme et variété des expressions. L'argent sur la table fait allusion à l'ancienne profession de Matthieu, collecteur des taxes. Au moment de l'abandonner pour suivre Jésus, il tient encore le sac de l'impôt dans sa main.

Nicolas Poussin, Bacchanale devant un terme de Pan

Et un Poussin pour finir, une joyeuse Bacchanale. L'impression de folie n'empêche pas une composition très stricte, visible dans le jeu et l'alignement des pieds. Je suis moyennement convaincu de l'influence caravagesque chez Poussin, la palette me semblant trop éloignée, mais c'est un très agréable tableau.

Voilà donc une exposition plutôt originale, bien conçue, et l'importance du Bernin y est bien plus développée que dans mon article, comme je l'ai signalé précédemment. Une raison de plus pour aller la voir à Vienne !

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