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vendredi 4 janvier 2019

Kutna Hora : l'église / cathédrale Sainte Barbe (Barbara)




La grande célébrité de Kutna Hora; c'est cette incroyable église Sainte Barbe, pleine de détails extraordinaires. Mais pourquoi donc une église Sainte Barbe ici ?


 Sainte Barbe à Kutna Hora ?

Barbe / Barbara, c'est une sainte facile à reconnaître avec son symbole de la tour. Je ne sais si elle est légendaire ou si son histoire est avérée, en tout cas cette martyre du IIIe siècle aurait refusé de se marier et son tyran de père, un certain Dioscore, l'enferma dans une tour pour la punir. Elle y fit percer une troisième fenêtre (la Trinité…) pour affirmer sa foi. Son papa entra dans une rage folle, mit feu à la tour. Elle s'enfuit (un rocher s'entrouvrit miraculeusement, c'est une scène de son iconographie) mais un berger la dénonça et l'affreux père la retrouva, la traîna par les cheveux dans toute la ville, l'enferma dans un donjon ; c'était bien la peine, autant la remettre dans sa tour !

On lui arracha les seins, on la brûla, on la fouetta, on la fit traîner toute nue par un cheval. Là, miracle : des anges cachèrent sa nudité. Ils ne firent rien pour tout le reste, ce qui montre bien ce qui paraissait le plus scandaleux aux yeux des fidèles.

Finalement, comme elle paraissait indestructible, son tendre père finit par la décapiter. Le bourreau fut aussitôt frappé par la foudre (toujours le feu…), le berger  pétrifié, les moutons changés en sauterelles ; tout cela produisit des scènes hautes en couleurs dans l'iconographie.

Comme elle venait d'Asie Mineure, de la  Turquie actuelle donc, on la désigna comme "la barbare" (=une non-romaine) , d'où le nom qui lui est resté. Barbe, le nom dans le calendrier français, est bien moins utilisé que Barbara ou sa version russe, Varvara.

Dans tout ça, c'est l'épisode de l'incendie de la tour, redoublé par le supplice des brûlures, qui lui a valu de devenir la patronne de tous ceux qui avaient un rapport avec le feu : pompiers, artificiers, fondeurs, mais aussi plus étrangement fourreurs et pelletiers.

Enfin, à cause des explosions dans les mines (le fameux coup de grisou), c'est aussi la patronne des mineurs. Pendant des siècles, on descendait des statues ou des images de Barbe-Barbara dans les mines en espérant se prémunir des accidents. Voilà donc pourquoi l'église de cette ville minière lui est consacrée.

Je continue à écrire église, car j'ai vu les deux appellations, cathédrale et église. Je pense qu'il s'agit bien d'une cathédrale mais, dans le doute, j'ai rectifié toutes mes occurrences de ce mot.

L'extérieur



C'est Jan Parler, fils de l'architecte de la cathédrale et du pont Charles de Prague, qui en fut le premier concepteur, au XIVe siècle. Style gothique international éprouvé, avec ses caractéristiques : recherche de luminosité et de hauteur, arcs-boutants et pinacles hérissés de décoration.

Mathias Reysek, à qui on doit la Tour Poudrière de Prague, prit la relève en achevant le chœur.


La forme de la toiture fait partie des nombreuses innovations de Benedikt Rejt (ou Ried) de Pistov, un architecte bourré d'idées au XVe siècle, avec trois structures pyramidales (la Trinité toujours).

Parmi ses trouvailles originales, Rejt élargit le plan pour augmenter la capacité de la cathédrale (d'où sa forme générale d'église-halle, à l'allemande) ;  il développe la voussure de la nef pour qu'elle recouvre les bas-côtés, créant ainsi un espace de circulation original. Et il crée cette fameuse voûte unique, un de mes souvenirs de cours d'histoire de l'art médiéval à la fac.


Rejt est un incroyable novateur, sans cesse à la recherche d'idées nouvelles, fin connaisseur de l'histoire de l'architecture. Sa façade en volume évoque les narthex de jadis, et les niveaux de l'intérieur sont lisibles de l'extérieur ; le balcon correspond exactement à l'étage créé sur les nefs latérales.

C'est la toute fin du gothique, avant que la Renaissance ne vienne tout balayer. Mais quels feux éclatants il peut encore jeter grâce à de tels génies !


Eléments traditionnels du gothique, les pinacles et les gargouilles redessinent la silhouette du monument.


Encore une bizarrerie ; je me suis demandé si ce cylindre incongru ne représentait pas la tour de la sainte, mais le nombre de fenêtres ne colle pas. Il s'agit sans doute d'un escalier extérieur, comme celui du château de Blois.

La nef



Dès qu'on pénètre dans la nef, l'extraordinaire voûte nervurée attire le regard. Je ne connais pas d'autre exemple similaire, même si cela me rappelle le gothique anglais.


Des blasons des corporations et des grandes familles seigneuriales parsèment les voussures en apportant couleur et rythme.



A la tribune, un orchestre d'angelots dorés surmonte un large buffet d'orgues, témoignage de l'époque baroque.


Le maître-autel, vivement coloré et doré, est une réalisation néogothique du XIXe siècle, à l'iconographie originale. La prédelle présente des saints dans des niches, comme des personnages à la fenêtre.


La Cène est racontée dans la partie centrale, tandis que les saints sont présentés dans les arcatures. Un choix étonnant qui relègue Sainte Barbe avec sa tour (à trois niveaux cette fois) en haut à droite.

 

La chaire en pierre a été édifiée en 1560 et ensuite habillée de bois doré, garni de bas-reliefs.


Les évangélistes sont représentés dans les panneaux inférieurs, comme ce Saint Luc qui caresse affectueusement le bovin à ses pieds.


Je suis attiré, dans la chapelle Ignace de Loyola, par un incroyable mobilier liturgique  : un imposant confessionnal de 1679 qui reprend les couleurs de la chaire.


Au fond de cette même chapelle, un moine jésuite, Jan Karel Koval, a peint une fresque aux couleurs fraîches, L'extase de Saint Ignace à la bataille de Pampelune. Avec le Collège des Jésuites comme voisin immédiat, c'est logique que leur saint patron ait eu droit à une chapelle.


Toujours dans la même chapelle, l'autel supporte un retable extrêmement orné ; peintures, statues, fausses colonnes, faux marbre, on n'a pas lésiné sur les moyens. Je ne suis pas particulièrement emballé.


Les stalles me plaisent davantage ; il s'agit cependant ici de gothique tardif, du XVIIe siècle. Le gothique ne s'est jamais arrêté, il est encore utilisé de nos jours !


Représenté avec beaucoup de réalisme, un mineur brandit sa lampe à huile. Le tablier de cuir qui lui ceint les reins permettait de glisser facilement dans les galeries, les plus profondes du monde à l'époque (plus de cinq cents mètres sous terre).

La chapelle des Frappeurs de monnaie était tellement sombre que j'ai eu du mal à distinguer les peintures (Saint François, paraît-il). Même avec le travail de l'ordinateur, c'est peu satisfaisant.


Les  verrières de la fin du XIXe siècle imitent des vitraux, mais il s'agit en fait de peinture sur verre.


Les fameux Frappeurs de monnaie apparaissent sous la fenêtre encadrée par quatre anges colorés.

Les chapelles du chœur

Ce qui me frappe d'abord, c'est leurs proportions : leur étroitesse accentue la hauteur, déjà considérable. Mais immédiatement je suis captivé par ces grandes fresques gothiques.


Dans un riche encadrement, comme une reliure, une Crucifixion réduite à l'essentiel.


Sous les verrières, des scènes horizontales racontent la vie des mineurs.



Rare représentation, dans un bureau qui évoque un studiolo italien, d'un personnage allumant la chandelle.


Le blason des Smisek, la famille qui commandita cette chapelle, est peint sous un rectangle, avec un faux cadre, représentant la Reine de Saba.


Cette Crucifixion contraste avec la première : décor plus réaliste, personnages plus nombreux.


Avec le retable du XVe siècle, on retrouve une composition courante : Vierge à l'enfant et saints au centre, Annonciation, Mariage, Visitation ; en bas à droite une Sainte Famille avec un Jésus bien garçonnet. Le tout est vraiment de belle facture.


Un Saint Christophe gigantesque occupe tout un mur. Plus que le Jésus dans l'ombre, je remarque l'écrevisse et la carpe à ses pieds !


Même luxuriance colorée dans les fresques des voussures.


Une série d'autels baroques assez lourdement dorés s'aligne sur les murs des chapelles, avec des peintures inégales.


Une Vierge à la robe colorée tient un enfant très animé.


A l'étage

J'emprunte l'escalier, à côté du portail principal, pour grimper à l'étage.



Tout de suite la perspective change. Les statues de bois du XVIIe sont des allégories des vertus chrétiennes. Sacrément grandes quand on se trouve à leur niveau !


On voit mieux également les blasons de la voûte.



Un chevalier porte une armure complète, heaume fourni. Le blason renseigne normalement sur la corporation mais j'hésite. Outils de mineur ? Fabricants de robinets ?
En outre, il semble tenir un marteau de mineur.

Qui dit mieux ? N'hésitez pas à me proposer vos suggestions.


Celui-ci est très détaillé : Adam et Eve aux cheveux longs (incroyable coiffure rasta pour Madame !) encadrent l'arbre où s'enroule un serpent couronné. Il s'agit visiblement d'un blason de potiers, puisque deux artisans à leurs pieds s'affairent sur leur tour (au masculin, bien sûr).

 Encore une fois, une fresque impeccable. Soit l'ensemble est parvenu dans un état exceptionnel, soit (plus vraisemblablement) il a fait l'objet d'une restauration minutieuse.


C'est aussi l'occasion de voir cet incroyable entrelac de faisceaux qui nervurent la voûte.



Par les verrières non décorées, les arcs-boutants et les contreforts illuminés se détachent dans la nuit. C'est magique.



Le petit musée lapidaire installé à l'étage expose quelques sculptures détachées. Voilà un diable croquignolet.


 Et ce chien hurlant ?


Un autre diable à l'expression saisissante donne l'impression d'être prêt à bondir.





De l'étage, j'apprécie encore mieux l'idée de Rejt. Quand on se trouve au-dessus d'une des nefs latérales, le parapet masque le vide de la nef et on a l'impression d'un espace horizontal, comme s'il y avait deux églises l'une au-dessus de l'autre. Ce qui existe ailleurs, j'en ai vu de nombreux exemples. En Italie, on peut même trouver des collections d'églises les unes au-dessus des autres.



C'est un privilège rare de pouvoir passer derrière le buffet d'orgues. Les anges en contre-jour peuplent l'espace !



Et, encore plus rare, on peut jeter un œil sur les jeux d'orgue. 45 registres et 3000 tuyaux. Chaque série de tuyaux (les plus grands pour les graves, les plus petits pour les aigus) rend un son différent, et c'est leur ensemble qui crée cette sonorité riche qui différencie chaque instrument.


Derniers coups d'œil, avant d'être mis dehors, sur ce fabuleux spectacle.


Je sors enchanté. Un exceptionnel et original témoignage de l'art. Cette seule merveille justifie amplement la visite à Kutna Hora !



Ma photo est un poil floue, mais tant pis, je la garde quand même ! C'était tellement beau...





28 commentaires:

  1. I love this church! Exceptional gothic art!
    A fantastic post, many informations, lovely pics!
    Annie

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  2. Such a great post!
    Wonderful pics, great data !
    AAA+
    Barlow

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  3. Thumbs up for this amazing complete guided tour!

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  4. Quelle splendeur ! J'ai dévoré ce passionnant article avec ses magnifiques photos...
    Isabelle

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    1. Merci beaucoup Isabelle ! Un lieu magnifique effectivement.

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  5. The most complete post about that great cathedral. Thumbs up!

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  6. C'est un vrai plaisir de visiter cette exceptionnelle cathédrale en votre compagnie érudite. Une merveille trop méconnue.
    Je n'ai pas de réponse à votre question. Robinets me sembke être la meilleure réponse, mais je ne vois pas le rapport avec le marteau. A moins qu'il s'agisse d'un outil de plombier médiéval ! Je n'ai aucune lumière à apporter, hélas. Vous en savez toujours beaucoup plus que moi !
    Merci pour ce magnifique article, particulièrement réussi.
    Pierre

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    1. Merci d'avoir cherché, Pierre ! Je suis toujours touché par vos compliments bien immérités. Mes articles sont toujours meilleurs quand le sujet est riche, et là, j'étais servi !

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  7. Ca ne pourrait pas être des outils de tonnelier ? Super article, bravo!

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    1. Merci, cher Anonyme.
      J'avais pensé au tonnelier. Je me demande si les tonneaux médiévaux étaient munis de robinet. Et si, le cas échéant, un maillet n'aurait pas été plus approprié qu'un marteau.
      Je ne suis pas entièrement convaincu. Mystère !

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  8. I just found this blog and it is so great ! Outstanding design, hi-level posts with amazing pics and fantastic texts.
    Keep up your excellent job.
    Thumbs up !
    Arch

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    1. Thank you, Arch, for your warmest words. It is really great to read such compliments !
      All the best !

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  9. A tap, certainly.
    Joe the Plumber

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  10. Your magnificent post witnesses the grandeur of those great churches in Europe.
    #1 level post!
    Bran

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  11. Article d'une exceptionnelle qualité par le nombre de photos (superbes) et surtout les textes très informatifs, plus précis et plus plus complets que tout ce qu'on peut trouver sur internet.
    Votre blog mériterait un prix.
    Félicitations
    Marie

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    1. Je suis très sensible à votre gentillesse, Marie, et très honoré de lire de tels compliments.
      Un grand merci.

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  12. Article très riche, aussi passionnant que superbement illustré !

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    1. Je découvre avec honte ce chaleureux commentaire auquel je n'ai pas répondu. Un grand merci très tardif !

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  13. Formidable visite, hyper-documentée, un vrai plaisir.
    Comme les précédents commentateurs l'ont écrit, c'est un article absolument remarquable.
    Jan

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