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lundi 12 octobre 2020

Rome : San Giovanni Battista dei Fiorentini (Saint Jean Baptiste des Florentins)

 Une importante église qui fit participer les plus grands, Michel-Ange, Raphaël, Borromini... Elle renferme de nombreuses œuvres d'art, dont un magnifique Baptême du trop méconnu Francesco Mochi.

Un roman architectural

Le pape Jules II avait imaginé une voie prestigieuse, la Via Giulia, qui conduisait au Vatican. Au commencement de celle-ci, il fallait une basilique pour faire un pendant à celle de Saint Pierre. On chargea Bramante, star de l'architecture de la Renaissance, du projet. Il ne fut pas réalisé et on lança un concours pour recruter un nouvel architecte ; Peruzzi, Giuliano da Sangallo, et même l'infortuné Raphaël (qui vit tant de ses projets architecturaux refusés) furent écartés, on retint Jacopo Sansovino. Son projet en croix grecque était séduisant, mais onéreux et les fondations dans la zone sablonneuse des environs du Tibre posaient problème. 

Exit Sansovino, entrée en scène du second Sangallo, Antonio le Jeune, qui avait fait ses preuves dans de brillants édifices militaires. Mais qui ne parvint pas à résoudre le problème laissé en plan.

Place à Michel-Ange, qui dessina plusieurs projets, tous en croix grecque. Mais sa mort, en 1564, en signa l'abandon.

Saint Philippe Neri fut nommé nouveau recteur de l'église et sans doute impulsa la reprise des projets. Giacomo della Porta intervint alors dans ce récit troublé ; l'architecte gênois décida d'abandonner le plan en croix grecque si problématique et opta pour le bon vieux plan en croix latine, à trois nefs, si courant à Rome depuis les plus anciennes basiliques. Della Porta est une signature qu'on lit partout à Rome : à Saint Pierre, dont il reprend la construction, dans des fontaines (celle des Tartarughe par exemple), dans de nombreuses églises (Santa Maria dei Monti, San Nicola in carcere...) et palais.

Cette fois-ci, les travaux étaient bien lancés mais l'église était loin d'être terminée ! Les architectes continuèrent de se succéder. Carlo Maderno (Santa Maria della Vittoria) dut réduire le plan de della Porta, peut-être parce que le financement était devenu hasardeux ; Francesco Borromini (San Carlino) réalisa l'abside ; et ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'édifice fut enfin achevé, avec la dernière touche, la façade d'Alessandro Galilei (célèbre pour sa façade de Saint Jean de Latran).

La façade

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
la façade

La façade de Galilei donne, par sa largeur, l'impression d'être un peu écrasée ; les huit colonnes du premier niveau et les quatre du second ne suffisent guère à la tirer vers le haut, mais les escaliers lui confèrent une certaine majesté.

Au fait, les cloches du campanile, acquises en 1583, provenaient d'une église anglaise !

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
San Bernardo degli Uberti (Gaetano Altobelli), Beato Eugenio (Pietro Pacilli)
et Santa Caterina de' Ricci (Giuseppe Canard)

Je ne suis pas certain que la tribu de six saints qui dominent la balustrade soit une excellente idée en terme d'équilibre visuel. Ca marche mieux à Saint Jean de Latran, où il est vrai qu'on a affaire à d'autres dimensions.

Pour ne rien arranger, ce sont des saints rares sculptés par des artistes inconnus : San Bernardo degli Uberti (Gaetano Altobelli), Beato Eugenio (Pietro Pacilli) et Santa Caterina de' Ricci (Giuseppe Canard). Je pouvais toujours chercher !

Pour leur grande basilique romaine, les Florentins avaient opté pour leur saint patron, particulièrement révéré dans un des plus fameux baptistères. Jean-Baptiste est honoré partout dans cette église, et déjà sur la façade avec plusieurs bas-reliefs narrant les épisodes les plus célèbres, le Sermon et le Baptême. Le premier est sculpté par Filippo della Valle, le second par le plus réputé Pietro Bracci, l'auteur du Neptune de la Fontaine de Trevi.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
Pietro Bracci, Le Baptême

La nef

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la nef

Malgré une histoire pleine de péripéties, la nef est équilibrée, très sobre. Le plafond demeure blanc, et l'alternance gris / blanc et les piliers suffisent à apporter leur rythme. La décoration géométrique du pavement de Gaspare Salvi s'intègre dans le projet avec naturel.

Le plan finalement abouti propose de multiples chapelles, principale source de financement dans une église, et grand espace de liberté esthétique où chaque famille pouvait commissionner l'architecte de son choix pour réaliser une sorte d'église en miniature. C'est parti pour la visite !

Chapelle Firenzuola (dédiée à San Filippo Benizi)

Simone Firenzuola commanda la réalisation à Giacomo della Porta, en toute humilité. Elle fut terminée en 1588. Il est représenté avec sa famille dans la voûte, entre deux Sibylles, mais on les voit peu.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : anonyme, San Filippo Benizi

L'auteur du retable, San Filippo Benizi, est resté anonyme. Il fut sans doute placé là ultérieurement car ce Florentin, membre des Servites de Marie, ne fut béatifié qu'en 1645, et sanctifié en 1671. Son attribut le plus récurrent est la tiare, posée à ses pieds, signifiant qu'il renonça à être pape.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
Orazio Gentileschi, Le Baptême du roi de Perse Baradach et de son général 

Les deux fresques des parois sont d'Orazio Gentileschi, un des premiers post-caravagesques, excellent peintre (de même que sa fille Artemisia). Je ne le reconnais pas vraiment ici mais je crois n'avoir jamais vu une seule de ses fresques, et la technique différente peut occasionner un notable changement de style. Il aurait été influencé par l'ensemble des parois de Saint Jean de Latran et effectivement, cet apport pourrait expliquer cette palette vive où les rouges et les verts acidulés jouent un rôle capital.

Sujets rares : A gauche, Simon et Jude Thaddée (à qui était initialement dédiée la chapelle) baptisent le roi de Perse Baradach et son général. C'est une vraie curiosité ! A priori, la seule occurrence de ce thème issu de La Légende dorée. Les textes canoniques apportant peu sur le personnage, les écrits légendaires ont largement complété la narration. 

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
Orazio Gentileschi, Eufrosinus disculpé par le fils de la jeune fille de Babylone

Deuxième sujet rarissime ; une jeune Babylonienne prétend qu'Eufrosinus, le diacre des deux apôtres Simon et Jude, l'a engrossée. Les deux compères somment le bébé de faire toute la lumière sur cette accusation et, ô miracle, l'enfant parle et dénonce le mensonge de sa maman ! Scène haute en couleur, avec le diacre terrassé de honte, la persuasion des apôtres, les réactions variées de l'entourage...

La chapelle Mancini (dédiée à Saint Jérôme)

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
la chapelle Mancini

Cette seconde chapelle dessinée par Giacomo della Porta reste malheureusement obscure et en même temps pleine de reflets. Le retable de Santi di Tito représente Saint Jérôme pénitent. Je ne parviens même pas à distinguer la peinture de Passignano sur le côté!

La chapelle Torrigiani (dédiée à Saint Philippe Néri)

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
la chapelle Torrigiani

Autrefois cette chapelle donnait accès à la sacristie et c'est là que furent placées les premières orgues de la basilique. Elle était parrainée par les Baldinotti mais reprise par la famille du cardinal Torrigiani au XVIIIe siècle, et dédiée au fameux recteur du lieu, Saint Philippe Néri. 

Pour l'occasion, elle fut entièrement refaite par Ferdinando Fuga, l'auteur du baldaquin de Sainte Marie Majeure. Je ne sais si c'est lui qui créa la lanterne, amenant un flot de lumière bienvenu.

On y plaça un retable où apparaissait le fondateur de l'Oratoire, La Vierge apparaissant à Saint Philippe Néri. Les saints Pierre et Paul et Marie-Madeleine grossissent la troupe.

Au pinceau de l'oeuvre originale, on retrouve Carlo Maratta, auteur de tant d'œuvres à Rome ; par exemple, une dramatique Fuite en Egypte conservée dans les Galeries nationales. Cependant il s'agit d'une copie, l'original se trouvant maintenant au Palais Pitti de Florence.



Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la coupole

Largement percée d'ouvertures, la coupole joue son rôle de grand luminaire.

La chapelle Nerli (dédiée aux saints Cosme et Damien)


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle Nerli

La chapelle financée par le sénateur Pietro Nerli est dédiée aux saints Cosme et Damien dont les Medicis avaient faits leurs patrons. Cette fois, c'est Carlo Maderno qui se chargea du projet en 1612 en retenant cette harmonie de porphyre coloré. Les deux saints apparaissent sur le retable tourmenté du peintre napolitain Salvator Rosa. Ce fut l'objet d'un challenge avec Michel-Ange, à qui peindrait le meilleur nu. La réalisation de Rosa représente une de ses très rares peintures d'autel.

La chapelle de Notre-Dame


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle de Notre-Dame

Luxueuse chapelle,  celle-ci fut conçue par Maderno et Matteo Castelli. L'ensemble est richement orné de peintures pas bien commodes à observer, d'Agostino Ciampelli et Anastasio Fontebuoni. J'ignore jusqu'au nom de ce dernier ! 

Le maître-autel et la chapelle Falconieri (dédiée à Saint Jean-Baptiste)


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : le maître-autel 

La famille Falconieri prit en charge cette partie axiale, dédiée au saint à qui l'église était dédiée. Elle fut terminée en 1614 par Carlo Maderno, mais c'est Francesco Borromini qui dessina l'autel. Un jeu de colonnes décalées qui crée une dynamique avec les pilastres du fond. La crypte qui s'ouvre au-dessous est également de Borromini mais elle reste malheureusement fermée en cette période de pandémie.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : Antonio Raggi, Le Baptême

Antonio Raggi travailla pendant trente ans dans l'atelier du Bernin ; c'est lui qui sculpta le Danube dans la fontaine des Fleuves, mais on pense ici davantage à son Martyre de Sainte Cécile, un semblable bas-relief. Son Baptême est superbe, et montre le haut niveau de l'artiste ; variété des textures, souplesse des tissus, beauté des expressions (un Jean Baptiste attentif, un Christ concentré et abandonné). Le déséquilibre de chacun des deux les fait tendre l'un vers l'autre ; un beau témoignage de sculpture baroque.

La chapelle Sachetti (dédiée à la Sainte Croix)


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle Sachetti

Toujours Maderno pour cette chapelle achevée en 1612. Au-dessus de l'autel, un Crucifix en bronze de Prospero Antichi dit il Bresciano ; je ne le connais sous aucune de ces appellations, mais, pour le peu que j'en vois, le Christ y semble expressif.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : Giovanni Lanfranco, La Montée au Calvaire

Lanfranco ne me déçoit finalement jamais. Je trouve sa Montée au Calvaire très bien conçue, avec des plans successifs qui se consacrent à des narrations différentes : une femme dans la douleur au premier plan, sans doute la Vierge. Derrière, deux personnages qui manifestent leur compassion, l'un d'eux tendant dramatiquement les bras (Saint Jean ?). Le Christ est à terre sous la croix, mais fixe le Calvaire hors-champ. Au-dessus, la soldatesque s'agite, un assistant relève la croix. Cette richesse de composition fonctionne très bien !

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : Giovanni Lanfranco, L'Oraison dans le jardin

Second tableau de Lanfranco, une oraison nocturne en deux niveaux, avec de beaux effets de lumière.

La chapelle Capponi (dédiée à Sainte Marie Madeleine)


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle Capponi

Toujours une chapelle de Maderno, terminée comme la précédente en 1612 et vraisemblablement menée de front. Le retable est signé Astolfo Petrazzi, un peintre siennois (auteur d'un riche Amour Vainqueur aux Galeries Nationales) présente Marie-Madeleine pénitente au milieu des anges. Les effets de jambes superposées me semblent peu courants !


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
Ferdinando Fuga, Monument d'Alessandro Gregorio Capponi

Un aperçu de la sculpture du XVIIIe avec ce monument funèbre en forme d'obélisque. Les sculptures des personnages furent ciselées par Michel-Ange Slodtz, un sculpteur français qui vécut dix-sept ans à Rome. Il travailla aussi à Vienne et à Paris, où il réalisa notamment les sculptures du chœur de Saint-Merri. Son plus célèbre élève est Houdon.

La chapelle Scarlatti


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle Scarlatti

La chapelle fut élaborée par Giacomo della Porta dans la première série architecturale, terminée en 1588. A l'autel, un retable de Ludovico Cigoli, Saint François dans l'ermitage de Verna, une scène courante de l'iconographie du saint.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
Pomarancio, La Prédication de Saint François devant le Sultan

Les fresques de Pomarancio bénéficient de la vivacité colorée de ce dernier (à qui on doit de belles réalisations à l'Aracoeli) ; l'épisode illustré est fameux. 

En pleine croisade, le Poverello rencontre le sultan, un homme de l'islam. Le voyage en Egypte de 1219 fut abondamment commenté comme une rencontre entre les deux religions. Fidèle à sa riche palette, Pomarancio oppose la stricte robe de bure à la palette exotique déployée autour du saint.

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini :
Pomarancio, Saint François demande l'approbation de la règle

Autre scène fameuse, Saint François venu devant le pape Honorius III pour obtenir l'approbation de sa règle monastique. La scène est un évident pendant de la précédente, avec une palette sublimée par des oranges éclatants et une forte mise en perspective qui creuse le dessin.

La chapelle Benozzi (dédiée à Saint Antoine abbé)


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle Benozzi

Même architecte, même période que la précédente pour cette chapelle inaugurée en 1588. Sur l'autel, une Mort de Saint Antoine par Agostino Ciampelli ; en prime, deux statues de Saint François et Saint Dominique (les fondateurs de deux grands ordres monastiques) par Giovanni Angelo Canini. On a même droit à une crèche !


On est toujours un peu surpris de voir des artistes s'investir dans des arts différents, comme ce Canini peintre et sculpteur. Mais il ne faut pas oublier que Michel-Ange était peintre, architecte, sculpteur et poète, que Raphaël était peintre et architecte, et Le Bernin également peintre, architecte et sculpteur !

Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : fresques d'Antonio Tempesta

Antonio Tempesta, le peintre de la salle de la chasse à la Villa d'Este, a illustré dans la voûte un cycle sur le martyr romain Saint Laurent. A gauche, il confère avec le Pape Sixte II et à droite il montre au juge les pauvres à qui il a distribués les biens de l'église. Au centre, il se tient sur un nuage porté par des anges, scène habituelle de gloire. C'est intéressant que Tempesta ait retenu ces scènes plus rares en évitant d'elle des aumônes (même si la peinture de droite y renvoie explicitement) et surtout le martyre sur le grill, la plus connue.

Le Baptême de Mochi


Francesco Mochi : Le Baptême du Christ

Il fallut attendre 2017 pour que le groupe de Mochi soit enfin placé ici, alors qu'il avait été commandé et réalisé en 1634 !

Sculpteur toscan, Mochi est considéré comme un des tout premiers sculpteurs à glisser du maniérisme de la Renaissance à l'art baroque. Il a réalisé notamment une superbe Annonciation à la Cathédrale d'Orvieto, un chef-d'œuvre.

Francesco Mochi : Le Baptême du Christ (détail)

Le groupe est constitué de deux statues indépendantes. Son Jean-Baptiste vigoureux porte une cape somptueusement plissée sur le bras et une besace en bandoulière ; son visage serein et affirmé est une merveille !

Francesco Mochi : Le Baptême du Christ (détail)

Face à lui, un Christ recueilli qui ne cache pas la proximité des traits, croise les mains (superbement travaillées !) sur la poitrine. C'est magnifique de calme, de paix, de concentration. Un chef-d'œuvre qui rend justice à un auteur encore trop méconnu.

La chapelle Cavalcanti (dédiée à Santa Maria Maddalena de' Pazzi)


Rome, San Giovanni Battista dei Fiorentini : la chapelle Cavalcanti

Encore inaugurée en 1588, c'est évidemment un travail de Giacomo della Porta. Je n'ai pas photographié le retable peu engageant de Ciampelli, mais j'aurais bien aimé avoir plus de lumière pour les fresques de Cosci dont j'ai vu de prometteuses reproductions. Mes photos de la voûte sont trop floues, hélas. Les stucs sont finalement ce qu'on voit le mieux.



L'historique, élégamment calligraphié, est agrémenté des blasons des familles qui financèrent les chapelles.



 Le musée, avec ses oeuvres du Bernin et de Michel-Ange, est fermé aussi bien que la crypte, hélas.

4 commentaires:

  1. Magnifique. Une grande église de plus que je découvre. Le Baptême de Mochi est bien la splendeur annoncée. Merci de partager ces merveilles dans cet intéressant article.
    Danièle

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  2. A top-quality post! Good pictures and excellent texts. And the Baptism is a perfect piece.
    Annie

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