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lundi 19 octobre 2020

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane

 

 

Suite de la visite de la villa Farnesina à Rome, avec la chambre à coucher, illustrée par les fresques de Sodoma, avec Les Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane.

A l'occasion de ses noces avec Francesca Ordeaschi Agostino Chigi commanda de grandes fresques pour orner la chambre à coucher. Cette fois, pas de décoration en bande comme dans la salle des perspectives ou celle de la frise, pas de voûte peinte comme dans la loggia de Galatée et celle d'Amour et Psyché ; les scènes occuperont la totalité des murs.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane

C'est Sodoma qui reçoit la commande ; le peintre lombard a collaboré avec Raphaël aux fresques de la chambre de la Signature dans le Vatican. Raphaël a peint ici les deux loggias précédemment citées, le pape est un ami personnel de Chigi, son banquier. On peut penser que Sodoma jouissait de bonnes recommandations. Et que le Siennois Chigi aurait, en retour, facilité l'installation suivante de l'artiste à Sienne, sa ville natale.

A l'époque, Sodoma peint toutes les parties visibles des murs. Aujourd'hui, nous en voyons un peu plus, j'y reviendrai.

Quant au thème, Chigi choisit la vie d'Alexandre le Grand ; une scène de mariage en lien avec la chambre nuptiale mais trois scènes politico-militaires qui interrogent.

Les Noces d'Alexandre et de Roxane



Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
Alexandre et Roxane

Le mariage avec Roxane est le plus tardif des épisodes contés dans cette salle. En 327, les troupes d'Alexandre ont capturé en Asie centrale cette jeune noble ; lors d'un banquet, elle a dû danser pour le roi qui en est tombé amoureux. Elle l'épouse peu après en suivant le rite perse ; leur fils naîtra en Inde, peu après la mort d'Alexandre. 

Sodoma s'est apparemment basé sur un tableau antique d'Aetion décrit par Lucien, le grand auteur grec du IIe siècle.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces
d'Alexandre le Grand et de Roxane
,
Hephestion et Hyménée

Un jeune homme, cnémides sur les mollets, tient une torche enflammée. C'est Hephestion, fidèle compagnon d'Alexandre, qui pose la main sur l'épaule d'un beau jeune homme, Hyménée, le paranymphe (celui qui accompagnait le futur marié aux noces). Les deux personnages semblent calqués sur l'image d'Aetion.

Hyménée (Hymenaios) était directement lié aux rites nuptiaux depuis l'Antiquité grecque et désignait d'abord les chants de la cérémonie ; ultérieurement le nom prit chair et se transforma en personnage. Le processus n'est pas surprenant dans une Antiquité qui donne corps à une multitude d'abstractions et de phénomènes naturels. Il nous a laissé les noms d'hymen et hyménée.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces
d'Alexandre le Grand et de Roxane
,
les serviteurs

Dans l'espace étroit entre lit et mur, trois personnages se croisent. Une servante se détourne pour laisser passer celle qui porte un récipient qui vient de servir pour la toilette de Roxane ; on l'a identifié comme un vase à onguent. Si c'est le cas, c'est une vision de la Renaissance car tous les exemplaires antiques que j'ai vus étaient de taille bien plus réduite.

Le serviteur noir qui ressemble beaucoup aux images de Nubiens dans l'Antiquité tient les rideaux du lit, prêts à les fermer sur la nuit de noces à venir. Pour protéger l'intimité évidemment mais surtout pour maintenir la chaleur, le premier rôle des draperies de lit dans des chambres mal chauffées.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces
d'Alexandre le Grand et de Roxane
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Alexandre et Roxane

Au centre de la composition, la modeste Roxane baisse les yeux avec modestie. Elle n'est pas nue mais porte des voiles couleur chair. Cependant un putto mutin lance un regard espiègle à Alexandre pendant qu'il découvre son sein. Ces angelots sont une belle réussite de la composition ; comme chez Lorenzo Lotto, ils batifolent dans tous les coins et se disputent la faveur de tripoter la belle !

Sodoma n'a pas lésiné sur les qualités du couple : Roxane est représentée comme une Vénus et Alexandre devient un héros plein de noblesse. Il a déposé son casque au sol mais conservé ses chaussures lacées de guerrier. Cependant la cape dorée, assortie à celle sur les genoux de Roxane, lui apporte élégance et raffinement.

Alexandre et Bucéphale


Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
Alexandre et Bucéphale

Bucéphale était la monture d'Alexandre. Ce cheval indomptable aurait été maté par Alexandre qui l'aurait placé face au soleil, ce qui aurait immédiatement discipliné l'animal, devenu ensuite son fidèle destrier. Lorsque le quadrupède sera blessé à la bataille de l'Hydaspe en 326 avant Jésus Christ, Alexandre fondera une ville, Alexandria Boukephalous, l'actuelle Phalia au Pakistan. C'est dire son attachement !

La foule à gauche sort de la basilique de Maxence, une grande salle d'assemblée édifiée sur le forum romain, dont on reconnaît bien les trois arches.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
Alexandre et Bucéphale

La partie droite était meublée d'un lit avec haut dossier, à baldaquins et rideaux, et n'était donc pas garnie de fresques. Lorsque la villa changea de propriétaire et que le meuble fut ôté, on décida de compléter la peinture pour éviter une partie vide.

Le peintre qui s'est chargé de cette partie droite n'a pas laissé son nom, et on voit aisément que ce n'est pas Sodoma. La foule à l'extrémité droite n'est pas mal peinte, mais Alexandre est représenté plus maladroitement, sans parler du cheval. L'effet de cape volant au vent lui donne une allure étrange, comme s'il s'agissait de Pégase.

La Bataille des Perses et des Macédoniens


Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
La Bataille des Perses et des Macédoniens à Issos

Alexandre le Grand part pour l'Asie dans le but d'affronter Darius III. Il combat les satrapes perses dans la bataille du Granique, et s'empare de Milet et d'Halicarnasse. Darius regroupe ses troupes et les mène en Cilicie, dans le sud de la Turquie actuelle. L'affrontement a lieu à Issos, près de la ville actuelle d'Iskenderun (Iskender = Alexandre en turc). Ce féroce conflit est bien connu sur plusieurs représentations fameuses, la mosaïque pompéienne au musée archéologique de Naples, le sarcophage exposé dans celui d'Istanbul, et la peinture d'Altdorfer à la Pinacothèque de Munich.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
La Bataille des Perses et des Macédoniens à Issos (paysage)

La version de Sodoma est placée entre les deux fenêtres et c'est la peinture de l'ensemble qui offre le plus profond arrière-plan, souligné par les lacets de la rivière, jusqu'à un lac tout en haut. C'est une zone calme qui n'est pas agitée par la bataille.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
La Bataille des Perses et des Macédoniens à Issos (combattants)

Le conflit est représenté au premier plan, une mêlée de corps et de membres. Certains semblent déjà morts, d'autres se protègent de leur écu. Alexandre me semble plus identifiable par le cheval en pleine lumière que par la posture acrobatique.

Fresque pleine de vie et de mouvement comme il convient à une bataille.

Alexandre et la mère de Darius


Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
Alexandre et la mère de Darius


Bien que l'armée perse soit positionnée en premier et que Darius dispose de sa cavalerie royale, les grecs les poussent à la déroute. Darius s'enfuit en laissant derrière lui sa mère, sa femme et sa fille. Alexandre se montre magnanime et s'engage même à apporter des dots aux jeunes filles.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane,
Alexandre et la mère de Darius

Sisygambis, la mère de Darius reconnaissante se serait trompée en s'agenouillant devant Héphestion qui « lui aussi est Alexandre », épisode rapporté par Plutarque. Alexandre aurait rétabli la vérité et l'aurait redressée en l'appelant "Mère". On voit combien Sodoma se montre fidèle à cette source.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces
d'Alexandre le Grand et de Roxan
e, la famille de Darius

L'entourage féminin de Darius est complété avec un groupe à gauche ; les filles Stateira II et Drypétis  sont sans doute les demoiselles plus ou moins légèrement vêtues, représentées en femmes idéales de la Renaissance européenne. La femme plus âgée est peut-être leur mère Stateira.

On voit que la recherche de vraisemblance géographique n'est pas le souci majeur, mais quelle belle peinture !

Rome, La Farnesina : la salle des Noces
d'Alexandre le Grand et de Roxane
, Vulcain

Deux fausses niches entourent la cheminée avec le thème obligé, comme dans la salle des perspectives ; d'un côté, Vulcain sort de l'ombre avec son enclume et de l'autre des putti transportent des fagots.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces
d'Alexandre le Grand et de Roxane
, Putti


Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand et de Roxane, le plafond

Le plafond de bois doré offre une composition complexe où les caissons ressortent sur une décoration de grotesques.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand
et de Roxane
, le blason du plafond

Cependant les mystères n'y manquent pas ; le blason, avec les caractères Ave Maria (en haut à droite) n'est ni celui de Chigi ni celui des Farnese. Pas davantage celui des papes dont Agostino fut le banquier, Alexandre VI, Jules II et Léon X. En fait, c'est l'inscription Ave Maria qui m'a permis de le trouver. Le blason est celui du duc de Ripalta, le diplomate espagnol qui vécut ici et restaura la villa.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand
et de Roxane
, les Métamorphoses

Les caissons sont décorés de petites scènes en vignette, évoquant la marqueterie. Le choix thématique nous renvoie à la mythologie en poursuivant les scènes mythologiques et, comme dans la salle des perspectives, c'est Peruzzi qui a peint ces tableautins.

Rome, La Farnesina : la salle des Noces d'Alexandre le Grand
et de Roxane
, les Métamorphoses

La présentation comme la fonction de cette salle ne laissent pas de doute ; pour ses noces avec Francesca Ordeaschi, Chigi se présente en nouvel Alexandre. Comme pour lui, le mariage intervient après des années d'activité et il épouse une femme étrangère à son monde social. Evidemment le portrait est flatteur ; efficace dans sa fonction, clément envers ses ennemis, magnanime envers les femmes, et surtout un amoureux galant qui respecte les usages établis.

2 commentaires:

  1. Superbe salle avec de somptueuses peintures. Visite passionnante grâce aux commentaires détaillés !
    Léonard

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    Réponses
    1. Je vous remercie vivement, Léonard, pour ce très aimable commentaire!

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