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dimanche 11 octobre 2020

Rome : Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova)


Grande et fameuse église romaine, pourtant pas si fréquemment visitée, Santa Maria in Vallicella s'enorgueillit notamment de ses œuvres de Pietro da Cortona et de Rubens. Article 800 ! 

Une construction étalée dans le temps

Pour une fois ce n'est pas une église dont l'histoire remonte à l'Antiquité. La première fut dédiée à la Nativité de la Vierge, au XIIIe siècle. On y exposa une fresque du XIVe siècle, la Madonna Vallicelliana ; la légende raconte qu'on lui aurait envoyé un caillou et que du sang aurait coulé de cette "blessure". On trouve ce type de récit de saignement avec beaucoup d'autres images et statues, c'est une péripétie fructueuse dans les cultes.

San Filippo Neri, Saint Philippe Néri, fonde au milieu du XVIe siècle sa Congrégation de l'Oratoire (à l'origine de l'oratorio) qui se voit rapidement attribuer cette église passablement détériorée. Matteo de Città di Castello est chargé d'en reconstruire une nouvelle, baptisée donc Chiesa Nuova (exactement Nouvelle Eglise), nom qui lui restera longtemps, une histoire façon Pont-Neuf.. La décoration de stucs et de marbres est alors confiée à Domenico Fontana (l'architecte de la chapelle de Sixte V à Santa Maria Maggiore, entre autres) et à Antonio Dosio. Les travaux se poursuivent avec la construction du transept et de la coupole, conçus par Martino Longhi, et enfin on ressuscite le projet de Giacomo della Porta avec les chapelles latérales. Fin XVIe siècle, l'édifice s'approche de la version actuelle. Il reste l'ajout de la façade (souvent un des derniers éléments), le campanile de Camillo Arcucci en 1666. Pietro da Cortona, en charge des peintures monumentales, en profite pour ajouter une lanterne à la coupole et apporter un peu de lumière. Dernière touche avec le pavement, entièrement rénové au XIXe siècle.

La façade

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : la façade

La façade obtient une certaine unité par la rigueur des verticales mais elle présente une multiplicité de formes : pilastres jumelés sur les côtés, colonnes au centre, courbes et triangles, statues dans les niches...

Sur l'entablement court l'inscription Angelus Caesius episc tudertinus fecit anno Dom MDCV : c'est l'évêque de Todi, Angelo Cesio, qui fit cette église en 1605 ; qui la finança, serait-il plus juste de préciser. Le tympan au-dessus de la porte présente une Madonna Vallicelliana, version statue ; et dans les niches patientent deux Pères de l'église, Saint Jérôme et Saint Grégoire, deux réalisations de Giovanni Antonio Paracca, un sculpteur génois qui travailla à Santa Maria in Trastevere.

L'intérieur


Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : la nef

C'est une église imposante et elle donne la même impression que la façade ; en dépit du nombre d'intervenants et de sa longue chronologie, l'unité domine. On ne voit pas immédiatement les nefs latérales, mais les pilastres à chapiteau corinthien rythment efficacement la principale.

Tous les arcs sont surmontés de toiles ovales, un programme biblique où on retrouve Odazzi et Seiter. Malheureusement la luminosité est vraiment insuffisante, les reflets trop nombreux, et je n'obtiens que des photos floues.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : le plafond

Si Filippo Neri souhaitait des plafonds blanchis à la chaux, on jugea au XVIIe siècle qu'on ne pouvait se contenter de cette sobriété. Une fois encore, c'est vers Pietro da Cortona qu'on se tourna. Même s'il avait un atelier diligent, c'est incroyable de constater le nombre de chantiers qu'il a menés, dont beaucoup avec des fresques titanesques, comme Le Triomphe de la Divine Providence au Palais Barberini. Je répète souvent que c'était une star à l'époque, et effectivement sa domination sur la scène romaine, son influence sur ses collègues, son inventivité pour proposer des solutions audacieuses ne laisse aucun doute.

Sa fresque du plafond évoque un "miracle" produit durant l'édification de l'église. Sur le chantier de la Chiesa Nuova, on avait protégé la Madonna Vallicelliana dans une chapelle, mais une poutre avait failli dégringoler et l'écraser. Ô félicité, la Vierge était alors apparue pour sauver la chapelle et sa précieuse relique, en portant elle-même la poutre. La Vierge en charpentier, après tout, c'était bien une histoire de couple. Je ne reviens pas sur le problème de Joseph charpentier, j'avais déjà développé ce point dans mon article sur la Laimgruberkirche

Pietro da Cortona nous présente donc la Vierge et Saint Philippe Neri ensemble sur sa voûte. 

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : piliers de la nef

La chapelle de l'Ascension

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Girolamo Muziano, L'Ascension

La chapelle décorée par Benedetto Piccioli conserve un lumineux retable de Girolamo Muziano, avec un Christ majestueux dominant des fidèles ébahis. Encore un peintre prolifique, qu'on retrouve aussi bien à l'œuvre à la Villa d'Este que dans les églises romaines (l'Aracoeli, Saint Louis des Français par exemple).

Les candélabres qui flanquent l'autel sont assez curieux ; ils manquent de grâce, me semble-t-il.

La chapelle de l'Assomption

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Gian Domenico Cerrini, L'Assomption

Gian Domenico Cerrini n'est pas particulièrement réputé, même sous son pseudonyme de Cavalier Perugino. Il travailla dans l'atelier romain de Guido Reni et fut protégé par les Spada. Les Galeries Nationales exposent son Christ et la Samaritaine, mais son oeuvre la mieux connue est la coupole de Santa Maria della Vittoria.

Son Assomption de la Vierge est plutôt bien troussée, avec une spatialisation efficace qui nous garantit des anges flottant dans les airs.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : le buffet d'orgue

Le buffet d'orgue du choeur se dissimule derrière une sculpture dorée pleine de fantaisie.

La chapelle du Couronnement de la Vierge

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
chapelle du Couronnement de la Vierge

Cette chapelle du transept fut terminée à la toute fin du XVIe siècle, avec une volonté de s'harmoniser à la chapelle de la Présentation à l'opposé ; on trouve les mêmes colonnes de serpentine et une organisation voisine. Les statues des deux Saint Jean, Baptiste et Evangéliste, sont les créations de Flaminio Vacca ; le nom du sculpteur parle peu, même si la Chapelle Sixtine et Santa Maria Maggiore conservent ses oeuvres. Mais son lion avec le globe, dans la Loggia dei Lanzi à Florence (le portique avec les statues devant le Palazzo Vecchio, avec le Persée de Cellini), est très souvent photographié !

Le Cavalier d'Arpino est un nom bien plus fameux ; un des formateurs du jeune Caravage, peintre bien représenté à Rome, dans les églises comme dans les palais (ses fresques au Capitole notamment). Son retable du Couronnement de la Vierge est inhabituel ; si on est accoutumé aux têtes d'angelots dans la partie supérieure, ce couple tout en bas me laisse perplexe. Surtout madame, avec sa longue chevelure. On ne voit guère que des Marie-Madeleine semblables ! Et ce mouvement vif me laisse tout aussi pantois. Je ne vois guère qu'Adam et Eve qui pourraient convenir, mais je m'interroge vraiment sur leur présence dans un Couronnement de la Vierge

Je rappelle que c'est un thème médiéval qui reprend la corona virginum, la couronne des vierges, elle-même issue des couronnes de Jeux Olympiques de l'Antiquité ! La première mention du thème figure sur un portail anglais mais c'est l'art français qui le développe intensément. Pas de grande cathédrale gothique sans son Couronnement de la Vierge, au moins dans un des tympans. C'est à partir du XVe siècle qu'il passe dans la peinture, mais sa fortune cessera progressivement durant le XVIIe.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
chapelle de la Présentation

A l'opposé, la chapelle de la Présentation fonctionne en symétrie. Ercole Ferrata et Cosimo Fancelli exécutèrent les statues des Vertus.

Le presbyterium

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : presbyterium

Le presbyterium  est assez complexe et comporte même des stalles du XVIIe siècle, sur les côtés !

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) ; balcon et stalles

La tribune de l'orgue est doublée d'un balcon, évidemment également doré !

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : autel du presbyterium

L'autel est abondamment garni : tabernacle de Ciro Ferri, anges de Francesco Maratti, et même, au centre du tympan, un crucifix du Français Guillaume Berthelot.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
 P.P. Rubens, retable de la Madonna Vallicelliana

La congrégation commanda un retable avec insertion de la fameuse Madonna Vallicelliana. Du coup, on demanda au même artiste deux peintures complémentaires, sur les côtés. Il fallut le soutien financier du cardinal Borromeo pour parvenir à payer l'artiste : c'était Rubens, venu en Italie pour étudier la peinture de la Renaissance, et qui y fera plusieurs longs séjours dans la première décennie du XVIIe siècle. Il passa trois années à Rome, et cet ensemble est peut-être le meilleur témoignage de cette expérience.

Rubens peignit sur ardoise le grand retable : il est creusé d'une niche fermée par un panneau de cuivre, également peint par l'artiste. 

Les personnages y sont bien individualisés et ses putti grassouillets sont caractéristiques. Bon travail de lumière également avec le nimbe doré au centre.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
 Pietro da Cortona, L'Assomption de la Vierge

Dans la voûte de l'abside, Pietro da Cortona place beaucoup plus de monde dans son Assomption de la Vierge. La juxtaposition des deux oeuvres ne recherchait sans doute pas une confrontation artistique, mais elle permet pourtant de comparer deux solutions picturales de la même période.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
P.P. Rubens, Les Martyrs Flavia Domitilla, Nérée et Achille

Toujours de Rubens, voici un trio de martyrs romains qui arborent fièrement leur palme : Flavia Domitilla, Nérée et Achille. Flavia a un air de parenté avec d'autres femmes chez Rubens ! Affaire de teint pâle et de blond vénitien, peut-être !

La chapelle de Saint Philippe Neri

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
chapelle de Saint Philippe Neri

La chapelle dédiée au saint fondateur de l'ordre bénéficie d'un emplacement de choix, à gauche du presbyterium, et d'une décoration fastueuse de marbres et de pierres semi-précieuses. Un petit écrin presque clos. 

Pomarancio réalisa les toiles sur la vie du saint mais le retable est une copie en mosaïque, réalisée au XVIIIe siècle par Vincenzo Castellani, d'une toile de Guido  Reni, Saint Philippe Neri et la Madonna Vallicelliana. La relique du saint est exposée sous l'autel. Quelques fidèles prient avec ferveur, en espagnol. Je ne les dérange pas davantage.

La chapelle de la Présentation de la Vierge

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
chapelle de la Présentation de la Vierge

Comme sa jumelle, la chapelle fut conçue par Martino Longhi, mais on note quelques différences : les statues de Pierre et Paul qui se font face. On a chargé Paracca du travail, peut-être à l'époque où il ciselait celles de la façade.

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Federico Barocci, La Présentation au temple
 
Federico Barocci devait initialement peindre le retable du maître-autel, mais on lui préféra le prestige de Rubens. Il dut se contenter de la chapelle du transept ; sa Présentation au temple est très classique mais il utilise une adroite luminosité pour suggérer un espace tridimensionnel, et joue habilement sur les réductions des volumes pour remplacer la perspective.

Même efficacité avec le traitement de la couleur ; les zones isolées suffisent à dynamiser la toile.

La chapelle de l'Annonciation

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Passignano, L'Annonciation

La chapelle parrainée par les Ruspoli, célèbre dynastie de banquiers florentins, était autrefois ornée de fresques, remplacées ensuite par une décoration de marbres. Son intérêt principal réside aujourd'hui dans le retable de Passignano (Domenico Crespi), une Annonciation qui reprend les codes de la scène avec quelques nouveautés ; les positions traditionnelles de Marie et de Gabriel sont inversées, et l'effet de multitude souvent recherché dans la peinture baroque est obtenu avec une foule céleste : des anges, des saints, et même le Père éternel !

La chapelle de la Visitation

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Federico Barocci, La Visitation

Voici la seconde peinture de Barocci, une Visitation assez sombre mais qui respecte le canon de l'accolade chaleureuse. En prime, Joachim sort de la demeure familiale, Joseph ramasse le baluchon. Une servante, à droite, apporte une corbeille de fruits. Le travail sur la lumière et la couleur est assez similaire à celui opéré sur sa Présentation


La Chapelle des Mages

Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Cesare Nebbia, L'Adoration des Mages

Cesare Nebbia était aussi un prolifique peintre : les salles tiburtines de la Villa d'Este, mais aussi une foule de travaux dans les églises romaines (un cycle de la Passion à la Trinité des Monts...) et au Vatican. 

Il compose une Adoration inusitée, plongée dans la pénombre qui valorise presque davantage vêtements que personnages. Cependant, même si je ne l'avais pas immédiatement remarqué, l'Enfant placé en hauteur est bien visible, et dans une position allongée, vue de face, tout à fait inusitée. Je pense tout de suite au Christ mort de Mantegna, et je pense que cette peinture révolutionnaire et si souvent citée ne pouvait être inconnue de Nebbia. Ce serait une curieuse manière d'évoquer la fin du cycle dans une Adoration.

La chapelle de la Purification


Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) :
Cavalier d'Arpino, La Purification de la Vierge

Le retable raconte une scène bien plus connue sous le titre de Présentation au temple ; cependant la notion de purification attire l'attention sur Marie et non sur Jésus. Je cite la Légende dorée : 

La Purification se célèbre le quarantième jour après la Nativité du Seigneur ; et cette fête porte aussi le nom de Chandeleur. On l’appelle la Purification, parce que, quarante jours après la Nativité du Seigneur, la Vierge vint au temple, pour être purifiée suivant la loi. Car la loi juive avait décrété que toute femme ayant enfanté un fils restait absolument impure pendant sept jours, c’est-à-dire exclue à la fois du contact de l’homme et de l’entrée du temple. Après sept jours, elle devenait pure quant au contact de l’homme, mais restait impure pendant trente-trois jours encore quant à l’entrée du temple. Enfin, le quarantième jour après sa délivrance, elle était admise dans le temple, où elle offrait son enfant avec des présents.

Le retable de Cavalier d'Arpino, dans une tonalité plus obscure que claire, exploite les couleurs traditionnelles (bleu et rouge pour la Vierge, superbe robe dorée du Prêtre), et l'enfant y est bien visible.


Rome, Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) : nef latérale

 

6 commentaires:

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    Claire

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  3. Visite bien documentée et très complète Bravo et merci pour cette publication

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    1. Merci beaucoup pour ce chaleureux commentaire, cher Anonyme!

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