Translate

mercredi 14 octobre 2020

Rome, La Farnesina : la salle de la frise

 Après la loggia de Galatée et celle de l'Amour et de Psyché, je poursuis ma visite dans la Villa Farnesina. Me voici dans la salle de la frise, un festival de mythes antiques qui  tente de définir une personnalité complexe.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise

Dix ans avant la loggia d'Amour et Psyché, en 1508 donc, était achevée l'antichambre d'Agostino Chigi, le grand banquier du pape, ami de celui-ci et de Raphaël. C'est l'architecte Baldassare Peruzzi, maître d'œuvre de la villa, qui avait lui-même exécuté les peintures. 


L'intérêt de cette salle ne réside pas dans le plafond de bois à caissons, pourtant somptueux, rivalisant avec ceux de la Villa d'Este. Pas plus que dans le trompe-l'œil de fausses tentures, malgré la qualité de l'exécution. C'est la petite frise qui court autour de la salle qu'il faut regarder ici !

Le cortège marin


Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
le cortège marin

Tout le côté sud est occupé par un long cortège "marin" avec les créatures associées à cet univers, telles qu'on pouvait en voir sur les mosaïques des thermes. Une importante différence cependant ; compte tenu de la largeur de l'eau, il s'agirait davantage du Tibre, qui coule à proximité immédiate de la villa.

Le terme de cortège, généralement retenu, ne semble pas vraiment approprié ; il s'agit davantage d'une série de combats sous l'œil de Neptune. Une des thématiques importantes de cette salle.

Atalante et Méléagre


Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Atalante et Méléagre

Le mythe raconte qu'Artémis, furieuse, a envoyé le sanglier de Calydon dévaster des cultures. La jeune Atalante, une athlète douée au jet comme à la course, l'affaiblit en le blessant. Méléagre et ses chasseurs en viennent à bout. Quand vient la répartition des trophées, le jeune homme accorde la tête et la peau de la bête à Atalante. Donner la meilleure part à une femme, quel scandale ! Les oncles la lui arrachent et Méléagre doit défendre sa répartition en les combattant. Ils mourront dans la bataille.

Ce mythe féministe montre la loyauté et la gratitude de Méléagre qui reconnaît la primeur à Atalante, quel que soit son sexe. On comprend l'enjeu de la salle ; exalter des vertus, qui deviennent métaphoriquement celles d'Agostino Chigi.

Orphée 


Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Orphée et les animaux

Le bien connu mythe d'Orphée parle d'un ami des arts, merveilleux musicien qui charme les animaux ; vision édénique qui sera récupérée quand le Moyen-Age imaginera son paradis. Chigi protégeait plusieurs artistes, faut-il le rappeler ?

Rome, La Farnesina : la salle de la frise, Orphée et Eurydice

Mordue par une vipère, Eurydice est descendue aux Enfers. Le courageux Orphée va l'y chercher en affrontant de multiples dangers. Il peut la ramener mais il ne doit pas se retourner. L'amour lui fait cependant tourner la tête vers sa bien-aimée, que Pluton ramène aux Enfers.

Mythe extrêmement fécond autour du mystère de la mort, ce récit inspire de multiples manifestations artistiques ; textes, pièces de théâtre (et même une de Corneille), tableaux, opéras (celui de Glück est une merveille), films, sans oublier la réjouissante parodie d'Offenbach, Orphée aux Enfers. Dans la version de Peruzzi, les gestes contrariés de Pluton et d'Eurydice manifestent leur éloquence.

Hercule


Rome, La Farnesina : la salle de la frise, Hercule et les centaures


Le mythe d'Hercule connaît un succès conséquent à la Renaissance. Ce super-héros qui tue des serpents quand il est nourrisson, vient à bout des monstres les plus affreux, gagne des guerres sans difficulté, connaît également un destin tragique ; la colère de Junon a provoqué sa folie et, lors d'une crise, il a tué ses enfants. C'est pour se racheter et retrouver sa place sociale qu'il subit de multiples épreuves, dont les célèbres travaux où il prouve sa loyauté et sa valeur au roi Eurystée.

Comme je l'ai rappelé dans l'article sur la loggia d'Amour et de Psyché, Chigi est lui-même en recherche de position sociale ; cela dit, il n'est pas le premier à se flatter d'un lien symbolique avec Hercule.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Hercule et le lion de Némée

Le premier des travaux est aussi le plus fameux : Hercule tue un lion féroce à mains nues. Il en récupèrera la peau, un de ses attributs les plus réputés.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
 Hercule et les cavales de Diomède 

Le roi Diomède élève des cavales, des juments carnivores qu'il nourrit avec la chair de ses hôtes. Hercule se fait justicier et les venge en assommant le souverain et le donnant en pâture aux animaux. La version dépeinte ici parle peut-être de son compagnon Abdère que les cavales ont tué et dont on verrait le corps à terre.

Le mythe est un avertissement sur le thème de Qui s'y frotte, s'y pique ! Avis aux amateurs...

Rome, La Farnesina : la salle de la frise, 
Hercule et l'hydre de Lerne

Le monstre aux multiples têtes qui repoussent au fur et à mesure qu'on les coupe est l'hydre de Lerne qui terrorise l'Argolide. L'idée de l'étranger venu apporter son aide pourrait faire écho à la biographie de Chigi, Siennois vivant à Rome où il a offert son concours au pape.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Hercule et le taureau de Crète

Hercule doit rapporter vivant le taureau crétois du roi Minos et il y parvient en saisissant les cornes du bovin. Je passe sur les interprétations sexuelles de cet épisode.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Hercule et Antée / Hercule et Géryon

Lorsque Hercule cherche le jardin des Hespérides, il doit affronter Antée ; ce fils de Gaia se régénère à chaque fois qu'il touche le sol. Le héros parvient à le vaincre en le soulevant et en l'étouffant. 

Il a également pour mission de capturer les troupeaux de Géryon, un géant tricéphale ; Peruzzi semble avoir transformé la triple tête en une seule d'étrange apparence.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Hercule et le sanglier d'Erymanthe

Comme le sanglier de Calydon, celui d'Erymanthe saccage une région et terrifie ses habitants. Hercule devra faire preuve d'endurance et de persévérance et montrer son intelligence pour en venir à bout. La statue rappelle que les dieux apportent leur aide autant qu'il leur manifeste son respect.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Hercule avec la voûte d'Atlas

Autre épisode survenu dans la quête des pommes d'or des Hespérides, un des récits les plus complexes de la saga. Atlas, qui porte la voûte céleste sur ses épaules, a promis de lui rapporter les trois fruits si Hercule acceptait de le décharger de son fardeau. Il compte le lui laisser définitivement et Hercule devra montrer sa ruse pour le rendre à Atlas.

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Hercule et Cerbère

Le dernier travail consiste à aller chercher un autre monstre, le chien Cerbère, une autre créature  polycéphale. Courage et vigueur vont être nécessaire pour mater l'horrible animal. Peruzzi a évité l'aspect difforme en se contentant de multiplier les têtes d'un élégant lévrier totalement domestiqué.

Diane et Actéon


Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
Diane et Actéon

La punition du voyeurisme ; le chasseur Actéon a observé Diane nue à son bain (comme David avec Bethsabée ou les vieillards avec Suzanne, c'est dire le succès de ce thème antique). Furieuse, la déesse le transforme en cerf. Ni ses compagnons ni ses chiens ne reconnaissent le jeune homme et le tuent sauvagement.

C'est un choix étonnant dans cette antichambre qui exalte les valeurs morales. Cependant, une des analyses du mythe en fait un sacrifice humain envers les dieux, ce qui pourrait entrer dans un programme où on manifeste le respect à plus élevé que soi. Dans l'optique où les fresques tracent le portrait métaphorique du propriétaire, c'est en tout cas un indice de complexité.

Midas



Rome, La Farnesina : Midas

Elève d'Orphée, Midas doit décider qui est le meilleur musicien d'Apollon ou de Marsyas. Mauvais choix, il déclare Marsyas vainqueur. La réaction d'Apollon est redoutable ; chacun est condamné à un horrible supplice. Des oreilles d'âne poussent sur la tête de Midas, à gauche de la fresque. Cet épisode est d'ailleurs à l'origine du célèbre bonnet d'âne. 

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,
le supplice de Midas / le char d'Amphitrite

Tout ce qu'il touchera se changera en or. Midas ne peut ni manger ni boire ! Dionysos, qui lui a concédé ce don à sa demande, lui conseille de s'en débarrasser en se lavant dans le fleuve Pactole.

Encore un choix étonnant pour un banquier, qui veut peut-être montrer qu'il reste prudent envers l'argent.

A droite, Neptune a fait rechercher partout Amphitrite dont il était amoureux. Son fidèle Delphinus la lui ramène sur un char. On aimerait y voir une analogie avec la vénitienne Francesca, mais les dates ne correspondent pas : la salle est terminée trois ans avant la rencontre.

L'enlèvement d'Europe 

Rome, La Farnesina : la salle de la frise,  l'enlèvement d'Europe (1)

On serait également tenté de voir une analogie avec ce récit où Jupiter tombe une fois de plus amoureux d'une mortelle et se déguise en taureau. Son messager Mercure est déjà présent avec son caducée. Les jeunes filles le fuient-elles ?

Rome, La Farnesina : la salle de la frise, 
l'enlèvement d'Europe (2) / Danaé

En fait non : les compagnes cherchent à rattraper le taureau immaculé qui parvient à enlever la jeune Europe sur son dos. 

Seconde métamorphose de Jupiter, et sans doute la plus originale : il se transforme en pluie d'or pour féconder Danaé, allongée sur son lit.

A l'époque de ces réalisations, Agostino était encore marié à Margherita Saraceni, épouse malheureusement stérile. Ces histoires de copulation fructueuse n'étaient sans doute pas innocentes. Chigi était renommé pour ses nombreuses maîtresses, et c'est peut-être aussi une excuse dans un modèle antique qui est recherchée ici !

L'ensemble est intéressant car on constate qu'il n'est pas seulement question de vertu et de haute morale, mais davantage d'approfondir métaphoriquement la complexité du maître des lieux.

6 commentaires:

  1. Quel travail remarquable. Tout est analysé, expliqué, décrypté. C'est captivant.
    Mon guide de la Farnesina est loin d'en faire autant !
    Jeanne

    RépondreSupprimer
  2. Le mien non plus. Il m'a fallu chercher ailleurs...
    Merci beaucoup, Jeanne, de vos commentaires enthousiastes !

    RépondreSupprimer
  3. Super ! Merci.
    Tous vos articles sur la Farnesina sont formidables !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est très gentil, merci beaucoup ! Je suis ravi si ces articles peuvent servir.

      Supprimer
  4. Passionnant article. Vous avez fait une super série sur la Farnesina !

    RépondreSupprimer

Un grand merci de prendre le temps de laisser un commentaire. Je promets de le lire aussi vite que possible.
N'hésitez pas à signer votre message, ce sera encore mieux : je n'ai AUCUN moyen de connaître votre nom, votre e-mail, ou votre blog.
Si vous préférez que vos coordonnées n'apparaissent pas, mais que je vous réponde en privé, utilisez le formulaire de contact, accessible sur la version web du blog.