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lundi 30 août 2021

Rhodes : la Synagogue Kahal Shalom


 La synagogue Kahal Shalom de Rhodes est la plus ancienne de Grèce, et entretient le souvenir de l'importante communauté qui vivait dans l'île. J'ai apporté dans cet article quelques informations historiques sur cette histoire méconnue.

Les Juifs à Rhodes

La présence des Juifs à Rhodes est extrêmement ancienne, et elle est mentionnée dans les Macchabées, un texte de la Bible datant du IIe siècle avant notre ère. Au XIIe siècle, le rabbin Benjamin de Tudela parle d'un groupe de quatre cents personnes. 

 

Elle est renforcée au XIIIe siècle par les Juifs Séfarades expulsés de Tarragone, en Espagne.


 
Lorsque Rhodes est gouvernée par les Chevaliers de Saint Jean,  ils s'installent au nord-ouest de la ville médiévale, dans un quartier nommé Juderia (entre autres versions selon les langues). Leur patronyme est hellénisé et ils parlent couramment grec mais le culte demeure en hébreu.
 
Lors des attaques des Ottomans, ils combattent aux côtés des Chevaliers, mais les relations se détériorent ensuite, à la fin du XVe siècle. Plusieurs décrets, sous l'influence de l'Inquisition toute-puissante, contraignent les Juifs à se convertir au christianisme ou à s'exiler.

Lorsque Soliman le Magnifique conquiert Rhodes en 1522, au terme d'un siège de six mois, il est chaleureusement ovationné par les Juifs qui sortent de la persécution des chevaliers. Les relations s'avèrent solides, si bien que les communautés musulmane et juive vivent en excellente entente.

 
Rhodes devient une sorte d'éden juif qui accueille les persécutés de toute l'Europe (ce qui correspondait à la vocation de l'île depuis plusieurs siècles). A nouveau les Séfarades affluent depuis l'Espagne. Cela ne va pas sans poser problème, car les Juifs de Rhodes sont romaniotes (les Juifs de Grèce) et ce sont eux qui seront progressivement assimilés par les Séfarades de la péninsule ibérique.

Sac pour le talet, le châle de prière.

Au XIXe siècle, la communauté florissante compte quatre mille personnes recensées.

Les Juifs entretiennent de vives traditions : une langue, le ladino, un dialecte du castillan comprenant des mots hébreux, grecs et turcs. L'assimilation a conduit ce langage jusqu'à l'alphabet grec.

Au milieu du XIXe siècle trois écoles fonctionnent dans le quartier et accueillent cent vingt élèves, uniquement des garçons. Le Baron de Rotschild fait de larges donations et ouvre des écoles pour garçons et d'autres pour filles dès 1902, gratuites pour les déshérités. Le haut niveau d'éducation attire les non-Juifs : Turcs et Français inscrivent leurs enfants. Je résume ici les panonceaux du musée, mais cette mention semble indiquer qu'il existait une communauté française à Rhodes qui n'était pas juive. Cela mériterait d'être approfondi !

Avant la période fasciste, le gouvernement italien crée le Collège Rabbinique qui forme religieux et enseignants d'école confessionnelle et cet établissement est rapidement renommé jusque dans les Balkans. L'arrivée de Mussolini provoque sa fermeture après seulement dix années d'existence.

Leur tradition s'enrichit d'une musique dont les mélodies, remontant parfois au XIIIe siècle, constituent un riche patrimoine. Ils publient plusieurs journaux, El Boletin, El Mundo, el Flambo... 
Ils sont administrés par un conseil de sept membres qui gère aussi bien les affaires religieuses que civiles, les taxes et les impôts. Sous le gouvernement ottoman, ils ont leurs propres représentants, les parnassim,  au sein des autorités. La solidarité s'exprime à travers des associations de charité, le Fundo Secreto, Ozer Dalim ou Bikur holim.

Le déclin de l'empire ottoman entraîne une profonde crise économique et se met en place une nouvelle diaspora, tout d'abord aux USA et en Afrique. Salisbury en Rhodésie est une destination privilégiée. 

Je fais une parenthèse car j'ai pu éviter une erreur par une vérification. Je croyais que la Rhodésie, aujourd'hui la Zambie et le Zimbabwe, avait un quelconque rapport avec Rhodes. Les Chevaliers dans l'hémisphère sud ? Franchement n'importe quoi ! J'ai bien fait de vérifier. Le nom de l'ancien pays provient de Cecil Rhodes, le fondateur de la British South Africa Company.

Je reviens à mes moutons. Les Juifs fuient également vers l'Europe. Plusieurs arrivent en France, ce qui explique dans la synagogue les inscriptions en français de leurs descendants.

Lorsque le gouvernement italien instaure en 1938 les lois anti-juives, l'émoi est grand et entraîne un nouvel exil. Il reste encore mille six cent soixante-treize personnes dans la communauté lorsque l’Italie délègue, en 1943, le contrôle de l'île aux Allemands du IIIe Reich. 

Le 23 juillet 1944, ils sont embarqués dans trois navires qui les emmènent en Grèce, au terme d'une traversée agitée de huit jours. Ils sont ensuite amenés au camp de concentration de Haidari, aujourd'hui dans la banlieue d'Athènes, et ensuite à Auschwitz. Cent cinquante d'entre eux seulement survivront.
 

 
La communauté ottomane apporte cependant un soutien qui pourrait nous étonner alors que notre passé récent fait état de relations difficiles entre Juifs et Musulmans. 
 
Les synagogues possèdent de précieux trésors, dont plusieurs torah en parchemin.

Les rabbins savent qu'elles ne résisteront pas aux envahisseurs nazis et demandent à leurs voisins turcs de les cacher. Le grand mufti Seyh Suleyman Kaslioglu accepte de grand cœur et les dissimule dans le pupitre de la mosquée Morad Reis, suffisamment éloignée pour être à l'abri des bombardements.
 
En 1971, le grand mufti déclare :" Un des plus grands moments de ma vie a été celui où j'ai pu embrasser la torah, la transporter et la cacher dans le pupitre - car nous savions qu'aucun Allemand ne  croirait que des Torahs puissent être conservées dans une mosquée." Effectivement, je n'avais moi-même jamais entendu semblable histoire.

 

Selahattin Ülkümen était consul général de Turquie à Rhodes pendant la seconde guerre mondiale. Il "mouilla sa chemise" pour sauver plusieurs dizaines de Juifs et est honoré aujourd'hui parmi les Justes ; ceux qui ignorent le sens de ce mot devraient visionner Schindler's List, La Liste de Schindler.

Aujourd'hui, la communauté juive n'a pas regagné Rhodes. Cette synagogue est la seule à avoir échappé aux destructions et il demeure six familles juives sur toute l'île.

La synagogue


Tout d'abord un petit point sur son nom. La synagogue se nomme Kahal Shalom, version courte, ou Kahal Kadosh Shalom, version complète.
 
Au vu de mes infimes connaissances en hébreu, j'ai sollicité l'aide d'un expert. Mon ami Zvi Netanel m'a répondu avec autant de célérité que de gentillesse et je livre ses explications.
KAHAL signifie public, comme un public qui s'assemble pour un spectacle ou notamment pour prier. KADOSH signifie saint. Ainsi KAHAL KADOSH c'est le saint public, plutôt le cher public et c'est une expression très connue en hébreu. SHALOM signifie la paix. KAHAL SHALOM, c'est le public qui s'assemble en paix, ou qui voudrait poursuivre la paix.
Voilà donc, merci beaucoup Zvi !

Six synagogues existaient donc à Rhodes. La plus ancienne, Kahal Kadosh Gadol, datait du XIVe siècle et elle fut détruite lors des bombardements de la seconde guerre mondiale.

 

Celle-ci est la seule encore debout. Construite en 1575, elle est la plus ancienne de la Grèce entière.


C'est le style séfarade qui la caractérise. Des piliers reliant les arches scindent l'espace en trois nefs. Je ne sais pas si c'est spécifiquement séfarade, mais je trouve le principe très proche des divisions dans le Palais des Grands Maîtres.


Le Bemah, l'espace pour lire la Torah, est placé sur une estrade, au centre. Je pense que ce n'est pas exceptionnel, en tout cas on le retrouve par exemple dans les synagogues de Prague.


Je me demande si ces décorations étaient telles quelles ou si tous les murs étaient couverts de fresques. Si c'était le cas, l'intérieur devait un peu ressembler à la rutilante Synagogue de Jérusalem, à Prague.

A l'opposé du mur d'entrée, est creusé un Ehal, une niche qui renferme et dissimule la Torah.


Le sol est décoré de galets, matériau local. On l'a souvent exploité pour orner les fausses grottes dès la Renaissance et plusieurs édifices de la vieille Rhodes l'ont mis à profit.

Femmes et hommes sont soigneusement séparés pendant le culte.

Comme je l'écrivais précédemment, c'est avec surprise qu'on découvre ici majoritairement des inscriptions en français.


La synagogue a conservé le mikveh, le bain rituel. il était traditionnellement utilisé pour les femmes après les menstruations, que les religions ont généralement associé à une forme d'impureté, mais aussi pour la purification des ustensiles du culte. Concernant les conversions au judaïsme, il était d'usage d'immerger le corps entier à trois reprises, une image de mort et de renouveau. C'est de cette coutume que dérive le baptême.

4 commentaires:

  1. Un article captivant, riche en images et en textes passionnants. Merci pour votre remarquable publication sur une communauté peu connue.
    Rachel

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    Réponses
    1. Merci beaucoup Rachel ! La méconnaissance de cette communauté et de son histoire m'a effectivement amené à développer un peu mes textes.

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  2. Très intéressant ! Riche publications.
    Samuel

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