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mardi 1 octobre 2019

Paris : I Puritani (Les Puritains) à l'Opéra Bastille


Chic, I Puritani sont de retour à l'Opéra Bastille ! Je pense que, plus encore que Norma, c'est bien là mon opéra favori de Bellini. Pas tant pour le livret, que je persiste à trouver inabouti, mais pour la musique enchanteresse qui m'emplit la tête depuis tant d'années. J'ai de la chance, après les splendides représentations du Liceu (Yende / Camarena puis Moreno / Albelo), j'entends en 2019 trois versions différentes.



La production de Laurent Pelly



Je tiens Laurent Pelly pour un honnête homme, avisé et plein d'idées, et c'est un des metteurs en scène dont les productions m'intéressent le plus.

Comme je l'écrivais plus haut, je pense que malheureusement I Puritani ne bénéficie pas d'un livret de première qualité. L'aspect historique y joue plus un rôle décoratif qu'un véritable soutien dramatique, et se limite à une opposition entre partisans qui n'est pas vraiment documentée. Les conflits entre politique et amour  auraient pu être creusés, par exemple avec le moment où Riccardo constate que le devoir d'Arturo d'accompagner Enrichetta peut lui être favorable. Mais I Puritani, ce n'est pas Don Carlos, et c'est bien difficile d'exploiter ce filon-là.

Laurent Pelly s'est donc concentré sur la partie la plus significative de l'opéra, la folie d'Elvira, en faisant passer l'essentiel de l'œuvre à travers son point de vue. D'où des costumes stylisés et sévères, et ce fameux château de fer forgé partout ajouré. Et surtout une analyse pertinente de la structuration de la folie, et des réactions qu'elle suscite dans l'entourage.


Tout cela est scéniquement intelligent, mais malheureusement sa réalisation se heurte toujours au même problème : le plateau se retrouve bien grand pour des voix belcantistes, sans offrir l'écrin confortable d'une scénographie plus réduite. Je le regrette à chaque fois que j'assiste à une représentation dans cette mise en scène ;  car, hormis ce point (capital !), elle reste la plus satisfaisante que j'ai vue.


La distribution : confirmation et découverte


Gemma Ní Bhriain, Enrichetta
 Les comprimari défendent leur partie avec les honneurs : efficient Luc Bertin-Hugault en Walton, probe Jean-François Marras, qui étonne par la maturité du timbre, en Robertson. Gemma Ní Bhriain incarne vraiment Enrichetta, en lui offrant un dramatisme inaccoutumé. Elle serait cependant davantage valorisée par une acoustique plus confortable car sa voix se perd quelque peu dans la salle.


Nicolas Testé

En début de représentation, je suis circonspect devant la prestation de Nicolas Testé ; legato impeccable mais quelques sons mats et un timbre que je préfèrerais plus clair. Son évolution me séduit, et il interprète avec ferveur un personnage émouvant. Le Cinta di fiori, très tenu, est construit avec intelligence et le duo Suoni la tromba (le premier duo patriotique de l'histoire !) déchaîne l'enthousiasme à juste titre.
Igor Golovatenko (Riccardo) et Gemma Ní Bhriain (Enrichetta)

On sent à la vocalise de Ah per sempre qu'Igor Golovatenko n'interprète pas que des rôles belcantistes. Cette valeur sûre du Bolchoi (un magnifique Oniegin, entre autres) offre une voix puissante, cuivrée, bourrée d'harmoniques, et il montre une énergie qui convient parfaitement à l'ombrageux Riccardo. 

J'ai entendu beaucoup de chanteurs de l'Est en Riccardo (Dmitri Hvorostovsky, Mariusz Kwiecien, Alexey Markov, Rodion Pogossov, Adam Plachetka...) et en voici un autre superbe interprète !

Javier Camarena, Arturo

Je retrouve avec plaisir l'irrésistible Arturo de Javier Camarena, à mon avis un des deux ou trois meilleurs du moment, qui ravit le public avec sa leçon de belcanto. Souplesse de la ligne, polychromie de la palette, élégance du style, vaillance des suraigus, c'est un enchantement permanent. Ensoleillée, moirée, d'une longueur de souffle impressionnante, la voix du ténor mexicain nous offre un festival de beau chant. Aussi fabuleux que son Tonio au Met

Elsa Dreisig, Elvira
 Je n'ai plus entendu Elsa Dreisig depuis sa Micaëla aixoise et j'étais plutôt surpris de la voir engagée pour Elvira. Je ne l'ai jamais vue programmée dans ce répertoire (ce qu'elle me confirme à la sortie des artistes), et Elvira n'est pas spécialement le rôle rêvé pour débuter dans le belcanto ! Si je ne m'abuse, Mariella Devia a entendu jusqu'à presque quarante ans pour s'emparer du rôle.

C'est donc un sacré défi de se lancer dans un emploi aussi exigeant, lourd, long, tendu, et qui demande de maîtriser nombre de techniques spécifiques.

La première chose qui ressort de cette prise de rôle n'est pas vocale :  c'est la qualité, vraiment exceptionnelle, de l'engagement dramatique. Elsa ne recule devant aucun sacrifice, quitte à parcourir le plateau en courant, à gravir les marches d'un trait, performance impressionnante compte tenu du souffle requis dans sa partition. Elle habite Elvira comme rarement, en offrant une vision pleine de passion et de vie.

Sur le plan vocal, je suis très impressionné par la qualité du chant pour cette première incursion dans le bel canto, par le soin à chanter toutes les notes, par la qualité du phrasé, par la précision des nuances. Et la qualité de la projection nous permet de tout entendre dans son chant.

Tout cela emporte mes réserves : quelques verdeurs dans le bas médium au premier acte, quelques aigus un peu courts (celui de Vieni fra queste braccia, hélas). Je suis certain qu'elle gravira d'autres marches (symboliques, celles-là) à travers d'autres rôles belcantistes.


Riccardo Frizza

Grand maître d'œuvre de la représentation, Riccardo Frizza dont j'apprécie de plus en plus l'expertise dans ce répertoire. Un chef en symbiose avec son plateau, qui respire avec ses chanteurs, les accompagne de bout en bout. L'orchestre de Bellini, de toute façon, me semble réclamer surtout cela.


Un petit regret, à nouveau, devant les coupures de la partition. Certes, c'est un opéra long, épuisant pour les chanteurs, mais les amoureux de l'œuvre sont quelque peu frustrés par ces coups de ciseaux !

Néanmoins une bien belle représentation, finalement pleine de surprises.

Riccardo Frizza

Igor Golovatenko

Nicolas Testé

Elsa Dreisig

Javier Camarena

4 commentaires:

  1. Great post. I have bought Camarena 's CD, Contrabandista, and he is astonishing.
    My friend Peg tells me I will be an opera specialist, because of your many posts!
    I need to thank you.
    Annie

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    1. I am sure you are, if you buy this CD!
      I have it, it is a very unusual choice of arias and you are true, Camarena is just great.
      Thanks to you, dearest Annie!

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  2. I know quite all the singers but not the soprano. Elvira at 28,what a challenge! I would like to hear!
    Hope to see you at the Met. We stay in touch.
    Christopher

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    Réponses
    1. Thanks Christopher. Of course, I hope to see you at the Met. I will be in NYC in next April.
      All the best!

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