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dimanche 13 octobre 2019

Lyon : Guillaume Tell à l'Opéra


Chic, un nouveau Guillaume Tell en France ! Et à Lyon en plus, une scène qui se caractérise par le haut niveau de ses spectacles. Je ne pouvais pas manquer ça. Me voici donc de retour à l'Opéra de Lyon, pour découvrir cette nouvelle production.




Production Tobias Kratzer

 Les productions de Guillaume Tell qu'on voit depuis quelques années évitent de trop se centrer sur le récit historique, qui risque de verser dans le folklore et d'ôter à l'oeuvre de sa puissance. Exit donc les présentations façon coucou suisse, que j'ai vues dans les années 1980.

Depuis, la dimension identitaire du livret a été élargie pour devenir plus largement un récit de lutte contre l'oppresseur, contextualisé ou non, comme l'an dernier au Theater an der Wien. L'originalité de l'idée de Tobias Kratzer est de dégager la problématique du cadre géographique : ce n'est plus la Suisse qui est à défendre, mais la musique classique.


L'idée apparaît avec force dès l'ouverture. Une figurante semble jouer au violoncelle le magnifique thème de l'ouverture, pendant qu'évoluent des danseurs à la chorégraphie créative ; ils associent un langage classique à des gestes et des postures inventifs. Soudain déboule sur scène une figure qui semble tout droit sortie d'A Clockwork Orange (Orange Mécanique, l'inoubliable film de Stanley Kubrick), dangereuse et agressive, qui finit par briser le violoncelle. Scène hautement expressive, d'autant plus que certains spectateurs semblent être persuadés que la violoncelliste solo de l'orchestre est réellement sur scène.



 L'idée se construit avec beaucoup de rigueur, notamment dans la sylbolique accordée aux costumes. Melcthal est un chef qui dirige choeur et orchestre, Jemmy est un jeune prodige du violon. Les opprimés ont revêtu la tenue noire de concert. Cet élément est brillamment mené : le seul motif qui pourrait rappeler la Suisse ici, c'est une grande image de montagnes alpestres qui se dresse en toile de fond ; au fur et à mesure des méfaits de l'oppresseur, l'infâme Gessler, le sang coule sur le fond, et c'est un sang noir.
Les méchants sont donc en blanc, avec chapeau melon noir. Mathilde, la soeur de Gessler, aime Arnold, le ténor de l'oeuvre. Pour se rapprocher de lui, elle enfile par-dessus la tenue blanche de son clan une robe de concert brillante. Mais, lorsque c'est Arnold qui semble être acquis à ses idées, avant que l'annonce de la mort de son père le pousse à faire volte-face, il adopte cette même tenue avec chapeau melon.

Quand les Suisses sont obligés d'honorer Gessler, ils doivent se débarrasser de leurs tenues de concert ; image bouleversante qui m'évoque, avec fulgurance, l'arrivée des déportés dans les camps. A la place, ils revêtent des tenues chamarrées, presque folkloriques.

Je trouve la rigueur de cette approche d'autant plus intéressante que c'est rare d'associer le blanc, couleur traditionnelle de l'innocence et de la pureté, au mal et à la violence.


Les méchants se comportent avec sauvagerie, brisent les jambes des danseurs pendant qu'ils évoluent, terrorisent les foules.


De leur côté, les résistants s'organisent. Ils utilisent instruments de musiques, entiers ou en fragments, pour fabriquer boucliers et armes. Et même la fameuse arbalète sera réalisée à partir d'une clarinette et d'éclisses de violon.

La rigueur de cette idée de base est développée dans une mise en place d'une grande précision et une direction d'acteur au petit point.  Aucun personnage n'est sacrifié, et le théâtre est sans cesse présent. On est bien loin du "septuor des artichauts" que redoutait Rossini, et malheureusement encore trop souvent visible.

Le seul point qui me fait tiquer est l'idée de dédoubler Jemmy, le fils de Tell, en deux personnages : un enfant, qui joue, et une soprano, qui chante le rôle. Même si cette dualité est bien exploitée lors de la scène de la pomme (la soprano vient jeter à terre la pomme sur la tête du petit garçon), je trouve l'idée bien saugrenue.

En fait, un des chanteurs me donne la clef de l'énigme. Kratzer ne voulait pas d'un soprano travesti, mais souhaitait que l'enfant mimât les paroles pendant que la chanteuse était placée à l'orchestre. Mais impossible d'obternir cela avec un enfant aussi petit. C'est pourquoi le metteur en scène a retenu cette solution intermédiaire. La dernière image de l'opéra, Jemmy se coiffant du chapeau melon, est bien inquiétante, et laisse à penser qu'on n'est jamais débarrassé du mal.

Hormis cette réserve, je m'incline devant la qualité exceptionnelle de cette mise en scène, son originalité, sa précision. Et s'inquiéter pour la musique classique en danger, quel amateur d'opéra refuserait cette proposition ?

Brillante interprétation




Comme toujours, les choeurs de l'Opéra de Lyon séduisent par la qualité de leur travail, et notamment ici par une diction impeccable. L'orchestre fait également merveille, sous la baguette précieuse de Daniele Rustioni. Le chef titulaire fascine par la précision de sa direction et les couleurs qu'il diffuse tout au long, en ne cessant de varier les climats, en respectant toujours les contraintes du plateau. Je pense aussi qu'il faut le féliciter pour le minimum de coupures de ces représentations, c'est fréquent que l'oeuvre soit davantage défigurée. Un travail de grand chef.


Malgré le nombre de solistes requis (et donc une distribution coûteuse), l'Opéra de Lyon a rassemblé une distribution brillante. Les deux solistes du choeur, Antoine Saint-Espes (Leuthold) et Kwang Soun Kim (le chasseur) n'y déméritent pas.

Philippe Talbot ouvre le bal en Ruodi, avec une diction parfaite (qualité présente chez quasiment tous les chanteurs) et une émission insolente. L'aigu et le suraigu sont bien gérés, lumineux, et la longueur du souffle lui permet de belles phrases musicales, souples et colorées.

Grégoire Mour incarne  Rodolphe avec beaucoup de présence, et sa voix marquante, un brin nasale, sert sa composition d'un tyran au petit pied.

Guillaume Tell, c'est aussi un trio de basses indispensable, et nous sommes gâtés ici avec trois chanteurs francophones impeccables : Tomislav Lavoie, émouvant Melcthal, Patrick Bolleire, pénétrant Walter Furst (composition réussie pour ce chanteur habitué à Melcthal), et Jean Teitgen, sadique Gessler. Trois timbres bien différents, trois remarquables chanteurs.


Dans la famille Tell, on trouve Jennifer Courcier, dont la voix pure et limpide permet d'incarner un charmant Jemmy, à l'opposé du mezzo opulent d'Enkelejda Shkoza (ou Shkosa, les deux versions existent). J'ai entendu cette chanteuse à la voix généreuse en Amneris et en Azucena, c'est dire qu'elle ne fait qu'une bouchée de Hedwige.



Nicola Alaimo est remarquable dans le rôle titre, avec un chant stylé, bien ancré avec un solide registre grave. Le legato de l'air Sois immobile est absolument admirable. Et surtout il sait interpréter un personnage complexe, un héros vaillant qui est d'abord un homme du peuple. La bonté et la gentillesse du chanteur (je pense toujours à l'expression "bon comme le bon pain" quand je le rencontre) transparaissent dans sa composition aussi intelligente que précise, bouleversante d'humanité.



Après sa prise de rôle l'an dernier à Vienne, Jane Archibald a approfondi son interprétation de Mathilde, et y déploie avec brio sa science du bel canto ; elle est aussi à l'aise dans les passages les plus virtuoses que dans un superbe Sombre forêt, et la lumière du timbre comme les éclats lunaires et les ombres rendent son interprétation passionnante. Ajoutons l'engagement de l'actrice, et voilà une des plus belles interprètes du rôle.





Je me réjouissais de réentendre le fabuleux Arnold de John Osborn, ténor enchanteur qui unit vaillance d'une voix solide et infinie palette de nuances.

Je ne suis pas déçu. C'est une impressionnante leçon de bel canto, basée sur une maîtrise technique confondante et une voix incroyablement longue. La diction, l'articulation sont toujours parfaites, le chant est d'une infinie musicalité ; non content d'alléger sa phrase, il parvient à changer les couleurs à plusieurs reprises sur la même note tenue. Et toujours au service de la musicalité et de la construction du personnage. Asile héréditaire est phénoménal d'émotion diffuse, de beauté de la ligne. La virtuosité au service de l'interprétation.

Absolument remarquable. Je me dis, à chaque fois que j'entends ce chanteur exceptionnel, que j'ai bien de la chance d'avoir assisté à la représentation.


Un grand merci à l'Opéra de Lyon pour cette excellente soirée, et un grand bravo à tous les interprètes !




Philippe Talbot

Jane Archibald

Daniele Rustioni

Enkelejda Shkoza

Patrick Bolleire

Jean Teitgen

avec John Osborn

Tomislav Lavoie

Nicola Alaimo

Avec Nicola Alaimo et John Osborn.
Deux personnes d'une immense gentillesse !

6 commentaires:

  1. Un excellent article, qui décortique ce spectacle et permet de mieux l'apprécier. Votre analyse très fine m'a permis de comprendre la mise en scène. Et pour la distribution, je suis de votre avis, mais je n'aurais pas su si bien le dire.
    Merci.
    Claire

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    Congrats
    Annie

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