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dimanche 28 octobre 2018

Vienne : Guillaume Tell, Theater an der Wien

Remarquable représentation de Guillaume Tell de Rossini au Theater an der Wien de Vienne avec un trio exceptionnel, John Osborn, Christoph Pohl et Jane Archibald.


 Me voici de retour dans cette salle historique qu'est le Theater an der Wien, construit par Schikaneder (le librettiste de Zauberflöte, la Flûte Enchantée), et où Beethoven dirigea des concerts et créa Fidelio.


 La dernière fois, c'était pour Don Giovanni. J'aurais bien écouté un opéra de Haendel, ce théâtre en programme chaque année et je n'en ai pas tant que ça à me mettre sous la dent.


 J'ai tout de même de la chance. J'ai l'occasion de voir Guillaume Tell, un opéra que j'adore, et dont ma dernière représentation au Met avait été écourtée !


 Et encore mieux, le calendrier me permet d'avoir trois exemples de grand opéra français très différents, en moins d'un mois (après Les Huguenots parisiens et Les Troyens d'hier).

Nouvelle production de Torsten Fischer


Le duo d'Arnold et de Mathilde

 Le livret de Guillaume Tell (de Jouy et Bis) inspiré de la pièce de Schiller est simple, l'histoire d'une libération contre l'oppresseur. L'essentiel me semble de décontextualiser pour éviter le folklore, sortir l'histoire de la Suisse médiévale.

Les mêmes en résistants

 Fischer replace le récit dans une époque récente, sans localisation géographique précise, avec des costumes de militaires actuels et fait d'Arnold un résistant. Il n'est pas avare en images puissantes, comme cette scène pendant l'ouverture où, de la neige répandue sur tout le plateau, émerge peu à peu tout un peuple. Ou encore la descente du tyran Gessler sur une plate-forme aussi large que la scène, qui écrase, au sens propre, les opprimés.
Il utilise une tournette gigantesque, parfois très rapide (un sacré casse-gueule qui manque de faire tomber Guillaume Tell puis Hedwige !), qui permet de mettre en avant Arnold dans son grand air sans lui faire quitter le milieu de la scène.
L'intérêt de sa vision est de montrer qu'un héros n'est pas forcément parfait et peut dissimuler ses propres zones d'ombre, voire être doté d'une moralité douteuse. On est loin du super-héros. C'est très intéressant de montrer ainsi l'imperfection du résistant, pourtant adulé par la foule.

La descente de Gessler sur Melcthal

Excellente direction d'acteurs par ailleurs, extrêmement fouillée, qui expose les affects des personnages. On a rarement un théâtre aussi précis dans cet opéra.

La scène de la pomme

Enfin, Fischer exploite un écran à cristaux liquides, parfois transparents, qui lui permet d'intelligents effets pour restituer la magie du théâtre. Dans la scène de la pomme, la flèche est visualisée en gros plan sur l'écran, ce qui évite l'ancien truc de la ficelle qui tire la cible en arrière au moment de l'impact !

 

Remarquable distribution



 Les jeunes voix du Arnold Schoenberg Chor sont des fidèles de longue date du Theater an der Wien, c'est presque toujours elles que j'ai entendues ici. Beaucoup de fraîcheur et de couleur, même si j'aurais préféré des timbres plus mûrs pour les voix d'hommes.



Les Wiener Symphoniker sont aussi des habitués des lieux, et leurs valeureux vents solistes, si importants chez Rossini, prouvent leur grande qualité. Le chef Diego Matheuz, un vénézuélien sorti du Sistema, impose sa battue minutieuse et un phrasé ample.


Grand opéra à la française signifie distribution nombreuse, avec deux ténors légers outre le rôle meurtrier d'Arnold, quatre basses, un mezzo, un soprano léger et un plus lyrique, et un vrai baryton dans un des premiers rôles-titres pour cette tessiture.


 Les seconds ténors, Ruodi et Rodolphe, sont respectivement tenus par un Anton Rositskiy à la voix déjà charnue et un Sam Furness aux couleurs plus mozartiennes (on sent le Tamino dans sa voix).


 Lukas Jakobski met ses couleurs noires au service d'un Leuthold éructant ; Jérôme Varnier exploite sa voix profonde et sa haute stature pour composer un saisissant Melcthal. L'énorme voix d'Ante Jerkunica, un ancien du Deutsche Oper, alliée à une composition autoritaire mais nuancée, lui permet de tracer un portrait frappant du méchant de l'histoire, Gessler. J'ai entendu à plusieurs reprises Edwin Crossley-Mercer (la première fois dans un Cosi aixois et la dernière, dans La Damnation de Faust aux côtés de Jonas Kaufmann) et je suis très heureusement surpris par l'évolution de sa voix, très richement timbrée, la qualité de la projection, le soin mis à la phrase musicale.


Marie-Claude Chappuis est souffrante et joue un rôle muet tandis que Monika Walerowicz est venue en catastrophe la doubler pour le chant. Je n'ai jamais entendu parler de cette dernière, et je présume que ce n'est pas la meilleure condition pour l'apprécier, mais l'égalité et la beauté de ce mezzo-soprano sont audibles sans difficulté. Encore quelqu'un à réentendre.


 Une autre inconnue, Anita Rosati, est parfaite pour Jemmy : fraîcheur de la voix, puissance des aigus qui dominent d'amples ensembles, engagement scénique pour incarner le bouillant Tell junior. Impeccable.







 J'ai toujours apprécié Jane Archibald depuis une lointaine Konstanze marseillaise, le rôle où je l'ai le plus souvent entendue. Elle avait incarné ici une belle Donna Anna en décembre 2016. Depuis, la voix s'est élargie, mais elle a conservé la technique qui lui permet de stupéfiantes vocalises et de superbes aigus. Toujours un chant intelligent et un jeu engagé. Quelqu'un qui ne déçoit jamais.


 Christoph Pohl n'est pas très connu en France. Je l'avais découvert dans un Capriccio lyonnais où il était venu assurer un remplacement, puis réentendu ici dans les deux Iphigénie. Rien de ses grands rôles de baryton (Posa, Oniegin, Wolfram), qui puisse me laisser présager de son Guillaume Tell.
Voilà aujourd'hui un superbe chanteur à la voix moelleuse, puissante et caressante, qui fait de son grand air Sois immobile un magnifique moment.


 Après cinq représentations précédentes, et un aller-retour en Allemagne pour aller chanter Arturo des Puritani (rien d'une promenade de santé !), je redoutais d'entendre un John Osborn fatigué, et ç'aurait été bien explicable.
Dès les phrases du duo avec Guillaume Tell qui grimpent dangereusement vers les aigus (Idole de mon âme), on sait qu'il n'en sera rien. Toujours un chanteur éblouissant au sommet d'une technique qui lui permet de tout oser, des pianissimi imperceptibles aux forte vaillants, avec une tessiture où toutes les notes sont assurées, de la cave au grenier. Un français parfait et une pureté stylistique de grand musicien, qui nous vaut un Asile héréditaire d'anthologie. Et toujours un comédien convaincant dans toutes ses scènes, qui utilise toute la palette coloriste pour servir le théâtre, de pastels élégiaques aux teintes vives les plus intenses. Il précise ainsi la trajectoire du personnage, du doute à la confirmation. Il est servi par la conception du metteur en scène, qui voit le couple Arnold-Mathilde comme seul élément véritablement positif. Chapeau bas.

Sam Furness

Diego Matheusz

Ante Jerkunica

Anita Rosati

avec John Osborn

Edwin Crossley-Mercer

Marie-Claude Chappuis

avec Jane Archibald

Jérôme Varnier

avec Christoph Pohl
 L'heure tourne ! Les derniers chanteurs sortent de la réception fort tard !
Lukas Jakobski

Je rentre par la Hofburg… C'est une porte que j'ai très rarement traversée !

8 commentaires:

  1. I remember your review of the performance at the Met. The staging seems different, but you say it is a fine performance.
    You are handsome with your favorite singers!
    Great post again.
    Annie

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  2. Passionnant compte-rendu. Je vais finir par m'intéresser à l'opéra !
    Encore merci pour votre rythme soutenu de publications d'une telle qualité.
    Pierre

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  3. Un spectacle extraordinaire, semble-t-il. Ce John Osborn qui pose la main sur ton bras (il a l'al'air de bien te connaître) semble la gentillesse même.
    Bises
    Michèle

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    1. C'est vrai, j'ai eu la chance de le rencontrer souvent et il est aussi chaleureux que talentueux. Merci Michèle !

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  4. J'ai vu que Osborn était programmé dans la Damnation de Faust. A la lecture de votre article, je vais prendre des places !

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    1. J'en suis ravi. Régalez-vous bien !
      Merci, cher Anonyme.

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