Un passionnant Lohengrin m'attend au Staatsoper...
Tapisserie de la Flûte Enchantée |
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La représentation commence tôt, comme avec toutes les œuvres d'une certaine durée. Mais comme je suis en avance, j'ai encore le temps de me promener un peu dans les espaces du bâtiment.
Le buste de Wagner dans une petite salle. |
Aujourd'hui, la photo s'impose !
Galeries des statues au-dessus du grand escalier. |
J'ai l'impression de voir un sosie de Poutine jeune !
Passionnante production d'Andreas Homoki
On peut voir plusieurs portes d'entrée pour mettre en scène Lohengrin : le super-héros sauveur (à la Superman ou Spiderman, références qui, à ma connaissance, n'ont jamais été utilisées), le problème du miracle et éventuellement de la magie. On peut centrer sur le personnage d'Elsa, sans doute celui qui subit l'évolution la plus captivante de l'œuvre. Ou encore, plus largement, sur la situation de la femme, dans l'opéra entièrement dépendante de l'homme.
Homoki a retenu ce qui me paraît le point central, le rapport à la société. Il place l'action dans la salle de bois d'une brasserie en Bavière, à la fin du XIXe siècle. Pourquoi une brasserie ? Sans doute le lieu de confluence de toute une population. En Bavière ? Vraisemblablement parce que c'est la région allemande la plus connue, celle dont les costumes sont les plus identifiables, idéale pour symboliser l'Allemagne entière. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque de l'écriture de l'œuvre, l'Allemagne n'est pas encore un pays, et beaucoup de textes, pièces et opéras, travaillent activement à la réalisation d'un art national. Et le texte fait clairement référence à la défense contre l'attaque par les troupes venues de l'Est. Je ne m'interdis pas de penser que Homoki a aussi en tête les dérives nationalistes, et que la Bavière participa activement à la montée du nazisme.
Homoki a toujours eu un grand sens de l'espace et sait exploiter les ressources de son décor. Lieu fermé, étouffant, avec pour unique décoration une image pieuse (trouvée dans une église tyrolienne, paraît-il). Un univers clos, replié sur lui-même, où tout est observé, et qui crée des rapports sociaux conflictuels. Les tables deviennent un ring, ou créent des cachettes où se dissimulent Telramund et Ortrud à l'acte II. Pas de chambre, évidemment. A l'acte III, la taverne est le lieu de la noce, et c'est logiquement dans cet espace de représentation qu'Elsa vient questionner Lohengrin, afin d'avoir un mari comme tout le monde.
Le choix des costumes va dans le même sens. Tenue traditionnelle pour tout le monde : Lederhose (la culotte de peau) pour les messieurs, Dirndl (vêtement mondialement connu grâce à Blanche-Neige) pour les dames.
Et Homoki l'exploite comme symbole dramatique. Au début, tout le monde porte ces vêtements-là, sauf Elsa, l'exclue. Lorsque Lohengrin arrive, c'est un faible qui apparaît couché sur le sol, en position fœtale. Tous deux sont vêtus de chemise de nuit. Après le combat avec Telramund et la victoire du chevalier au cygne, Lohengrin et Elsa sont autorisés à porter les tenues nationales. C'est Ortrud et Telramund qui se retrouvent en tenue de nuit. Lorsqu'Elsa vient au secours d'Ortrud, elle est si émue par ses plaintes qu'elle lui apporte un Dirndl écarlate. Le statut de cette dernière est recouvré et elle ne le quittera plus. Au contraire, Telramund a perdu à jamais sa position et même toute aristocratie. Il erre, condamné à se dissimuler dans l'ombre, en blouse ample, les cheveux en bataille. Un looser pathétique, presque un clochard. Avec sa tenue, il a tout perdu. Il est dégénéré au sens propre.
Dans ce contexte, le Héraut n'est qu'un porteur de serviette, et même le Roi semble un fonctionnaire local de peu d'impact face à la masse des villageois (cent cinquante choristes, ça remplit l'espace).
Wagner a toujours eu soin de placer des récits en flash-back (ceux dans le Ring sont célèbres, récit des épisodes précédents pour ceux qui auraient manqué le début) et c'est ce que montre Homoki pendant le prélude : décès du père d'Elsa, mariage raté avec Telramund, fuite et mise à l'écart d'Elsa.
La peinture avec les deux cœurs enflammés est ici la représentation de l'amour. C'est ce que détruit Ortrud mais que Lohengrin tente de réparer dans le duo de la chambre.
Il paraît qu'à sa création en 2014, la mise en scène fut copieusement huée. Vu l'intelligence du propos, ça me semble inimaginable.
Le plateau du jour
Clemens Unterreiner, Heerrufer Kwangchul Youn, König Heinrich |
Petra Lang, Evgeny Nikitin |
Après Adrian Eröd, c'est Clemens Unterreiner qui interprète le Heerrufer. Solide, diction péremptoire.
Kwangchul Youn, Elza van den Heever, Andreas Schager |
Kwangchul Youn, König Heinrich |
Kwangchul Youn a souvent chanté König Heinrich ; son vibrato s'est un peu élargi avec les années, mais c'est toujours un magnifique chanteur, stylé et noble. Je l'ai vu très souvent dans les opéras de Wagner, en particulier à Bayreuth, mais aussi dans le répertoire italien (Rigoletto, Trovatore, Luisa Miller, et même dans du belcanto, Maria Stuarda) et il ne m'a jamais déçu.
Evgeny Nikitin, Telramund |
La composition d'Evgeny Nikitin en Telramund est saisissante ; il montre à merveille la souffrance du personnage, la honte devant l'humiliation, et se transforme en bloc de douleur, ce qu'on voit rarement dans le rôle. Et je suis ravi d'entendre pour la première fois ce très sympathique chanteur dans Lohengrin, après l'avoir applaudi dans une foule d'opéras de Wagner (Parsifal, Tristan, Holländer), dans Boris Godunov, Don Giovanni, des concerts... Une méforme passagère me semble cependant avoir affecté sa projection et même terni son timbre. Ce sont des choses qui arrivent, les chanteurs ne sont pas des robots. Le public ne lui en tient pas rigueur et l'applaudit chaleureusement, reconnaissant la valeur de son engagement et la puissance de l'incarnation.
Petra Lang, Ortrud et Evgeny Nikitin, Telramund |
Ortrud, c'est le rôle où j'ai le plus entendu Petra Lang. Rien que cette année, c'est la quatrième fois ! A Marseille, en mai, elle s'était assuré un triomphe avec une sorcière vipérine, qu'elle reproduit aujourd'hui en mégère de village, aussi calculatrice que mesquine. Composition vraiment différente, efficacité tout aussi éclatante. C'est évident qu'elle n'a plus les aigus de ses vingt ans, mais la puissance de l'incarnation emporte tout sur son passage.
Kwangchul Youn, König Heinrich et Elza van den Heever, Elsa |
Elza van den Heever est un phénomène. Je l'ai entendue dans des répertoires variés (Maria Stuarda et Elektra au Met) et chaque fois, elle m'a convaincu qu'elle était idéale dans le rôle. Ici, je me dis encore une fois qu'elle possède les couleurs exactes pour interpréter Elsa, ce qu'elle fait avec une musicalité parfaite, une maîtrise du souffle, une souplesse dans les passages, qui me laissent pantois. Toute la beauté du chant est au service de l'incarnation, et elle sait faire évoluer les couleurs de la voix pour passer de la naïve créature de l'acte I à l'épouse véhémente du III. Elle habite sans cesse le rôle, avec une présence de vrai théâtre. Splendide.
Andreas Schager, Lohengrin |
J'avais découvert Andreas Schager, encore inconnu, dans un Rienzi berlinois où il remplaçait au pied levé Torsten Kerl. Je me rappelle que le directeur m'avait confié qu'il l'avait auditionné, sans coup de foudre particulier, et c'est cette soirée, fruit d'un remplacement providentiel, qui a donné un coup de pouce à sa carrière. Depuis, il a fait bien du chemin. Je l'ai réentendu, impressionnant, en Apollo de Daphne à Toulouse, et il se sortait magnifiquement de ce rôle inchantable. J'ai hélas été privé de son Parsifal à Bastille, les problèmes du rideau de scène ayant conduit la maison à annuler une série de représentations. Il chante des rôles bien lourds aujourd'hui, alignant Tannhäuser et Max, mais aussi Tristan et les deux Siegfried ! Sans parler de séries de Parsifal, bien sûr. Un tel régime bodybuildé fait évidemment évoluer la voix. Un Heldentenor, un vrai !
Il met toutes ses forces au service d'un Lohengrin puissant et valeureux, et ses moyens me rappellent qu'il y a tout de même quelques similitudes (et d'énormes différences, je n'y reviendrai pas) entre Lohengrin et Siegfried ! Andreas Schager produit un travail assez stupéfiant d'énergie, de projection, de diction impeccable, et d'un souffle phénoménal qui lui permet de tenir ce rôle épuisant. Ce n'est pas In fernem Land qu'il réussit le mieux, c'est assez logique dans cette conception, mais les scènes d'affrontement sont saisissantes. Pour sa prise de rôle, Schager se met sans cesse en danger en faisant preuve d'un abattage et d'un rayonnement incroyables, incarnant une sorte de tigre blessé.
Blessé, mais tigre tout de même, qui avale tout sur son passage, avec un impact prodigieux. Très impressionnant.
Simone Young |
Simone Young et Andreas Schager, Lohengrin |
Petra Lang, Ortrud et Evgeny Nikitin, Telramund |
Clemens Unterreiner |
Simone Young |
Kwangchul Youn |
Avec Elza van den Heever |
Petra Lang |
avec Evgeny Nikitin |
Andreas Schager |
Passionnant, à lire ta passionnante analyse de la mise en scène.
RépondreSupprimerMerci ! Je me sens plus intelligente après t'avoir lu !
Bises
Michèle
C'est également passionnant dd lire un semblable commentaire.
SupprimerMerci Michèle.
Bisous.
Très intéressant, grâce à votre fine analyse qui met en relief les enjeux de cet opéra que vous semblez connaître à fond !
RépondreSupprimerPierre
C'est, à nouveau un très chaleureux commentaire de votre part.
SupprimerMerci Pierre !
A clever post!captivating!!!
RépondreSupprimerThank you, I would like to see this opera once. I've ordered a DVD.
Annie
That's great Congratulations Annie !
SupprimerC'est passionnant. En particulier votre analyse de la mise en scène.
RépondreSupprimerLouise
Merci beaucoup Louise !
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