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jeudi 18 octobre 2018

Paris : La Traviata à l'Opéra Bastille


Traviata, c'est un incontournable du répertoire, l'opéra de Verdi que j'ai vu le plus avec Rigoletto. Plus de cent au compteur ! Je ne programme pas de déplacement exprès pour cette oeuvre mais je le vois volontiers si je le case avec d'autres.



Surtout que maintenant, les représentations de Traviata sont généralement d'un bon niveau. Il y a vingt ans, c'était un peu le creux de la vague et beaucoup de soirées étaient inégales.



Avec le nombre de représentations vues, j'ai pu avoir un large éventail de productions variées, avec des options diverses. Pendant longtemps, des versions archi-classiques, avec toujours un peu le même décor, la seule interrogation avant la représentation portait sur la vision de la maison à la campagne, acte II. La surcharge du décor constituait une redoutable récurrence ; même avec des scènes miniatures comme à Avignon ou à Reims. La production historique de l'Opéra de Vienne relève de la même esthétique.

Puis sont venues les transpositions, avec le lit d'hôpital à l'acte III devenu inévitable. Les scènes se sont souvent vidées de décor, comme à Berlin où j'ai vu des productions intéressantes (Götz Friedrich au Deustche Oper) ou plus navrantes (au Staatsoper).
Aujourd'hui toutes les tendances se côtoient, avec un regain de tradition (Richard Eyre à Covent Garden et la nouvelle de Michael Mayer au Met paraît de la même eau) ; pourtant de véritables analyses sont encore visibles telles la percutante vision de Willy Decker, étrennée à Salzburg.

Pour moi, la problématique essentielle de l’œuvre est la fragilité de l'individu (Violetta) face à la société bien-pensante qui broie tout sur son passage, et le point culminant me semble l'affrontement entre Germont papa et l'héroïne, à l'acte II. Le III est poignant de bout en bout, et je compte bien qu'on n'en rajoute pas trop dans la mise en scène. Il ne faut pas sucrer le sucre, comme disait Stravinsky.

Je compte donc que le metteur en scène veille à analyser ce point-là, sans se concentrer sur les inévitables scènes décoratives (le Brindisi, la fête chez Flora).

La production de Benoît Jacquot  

     

Aleksandra Kurzak

Voici quatre ans que cette production a vu le jour, et on a déjà beaucoup écrit dessus. Beaucoup de mal, en général. Tout n'y est pas réussi, mais elle a évolué depuis ses débuts, en mieux.

Le point principal est de préciser l'image de la courtisane, en plaçant au-dessus d'un lit immense une reproduction de l'Olympia de Manet. Pour expliquer l'analogie, Annina, présente dès l'acte I, est une Noire vêtue comme la servante du tableau.

La masse des choristes, tout de noir vêtus, d'une inquiétante immobilité, me paraît un bon choix pour cette image d'une société écrasante que j'évoquais précédemment. Si le statisme a une fin dramatique, cela peut être un atout et non un problème.

Les scènes du tableau de la campagne semblent se dérouler au crépuscule, ce qui n'est pas courant. Un atout pour autant ? Même si on voit un symbole pas très finaud (ombre sur le destin de Violetta !!!), l'inconvénient d'un plateau dans la pénombre n'est pas mince.

Dans le ballet, rôles inversés : hommes pour les bohémiennes, femmes pour les matadors. Est-ce vraiment un atout ? A moins qu'on cherche à souligner le traitement réservé à la femme dans la société.

Et surtout, hormis ces points, une direction d'acteurs plutôt consensuelle, qui repose beaucoup sur les talents dramatiques des interprètes.

Bref, une mise en scène meilleure qu'à ses débuts, mais qui ne retrouve pas l'excellence du Werther de ce même Benoît Jacquot.

Le plateau du jour


Aleksandra Kurzak et George Gagnidze

Giacomo Sagripanti me paraît souvent un chef intéressant, qui a le sens du discours et beaucoup d'idées d'interprétation. Je retrouve ici les qualités que j'avais appréciées dans son Ballo in Maschera de Moscou, mais j'aurais peut-être préféré un peu plus de retenue dans les tempi (deuxième tableau de l'acte III notamment). Faut-il lui imputer les décalages minimes dans les parties chorales, au premier acte ? En tout cas, j'ai apprécié son soin à dynamiser le discours orchestral par une mise en valeur des parties secondaires.
L'orchestre est somptueux ; moelleux, équilibré, avec des solistes de haut vol. Agnès Crepel, le violon solo de cet après-midi, joue avec une sensibilité bouleversante.

Pour qu'une Traviata soit réussie, il ne suffit pas d'avoir trois interprètes de qualité, il faut une vraie troupe avec des gens engagés et de bonne voix. C'est le cas ici.

Après Rigoletto et Don Carlos Julien Dran peaufine son Gastone. Il a chanté avec talent nombre de premiers rôles et celui-ci n'est pour lui qu'une formalité. Mais on peut apprécier la précision de la projection comme la qualité d'un timbre de plus en plus coloré, même dans ce rôle mineur. 
Igor Gnidii assure en Barone Douphol, même si j'ai vu le chanteur moldave plus marquant ailleurs.

Christophe Gay, également présent dans Rigoletto,  est un excellent Marchese d'Obigny avec une projection percutante.
Le Dottore Grenvil de Luc Bertin-Hugault (entendu cet été dans Kassya) expose comme il se doit des couleurs chaudes rassurantes.

Grand succès des femmes, avec deux "grandes" voix de Virginie Verrez ( Flora Bervoix) et Cornelia Oncioiu (Annina), magnifiques de timbre, de style, de présence.


La dernière fois que j'ai entendu George Gagnidze, il chantait Pagliacci au Met. Je l'avais beaucoup apprécié dans Khovanchina, moins dans le Rigoletto aixois. En Giorgio Germont, il est bouleversant, avec une voix réchauffée d'harmoniques et une superbe ligne vocale.

JeanFrançois Borras et Aleksandra Kurzak

L’Alfredo Germont de JeanFrançois Borras est également le fruit d'un beau travail : souffle très maîtrisé, ligne de chant élégante, splendides piani. Ma voisine s'est émue qu'il ne donne pas d'aigu à la fin de la cabalette, ça me semble vraiment accessoire dans le rôle. J'ai bien plus apprécié son Parigi o cara entamé sur le souffle, avec une palette de couleur argentées, très émouvant.

J'ai toujours trouvé des qualités à Aleksandra Kurzak, dans le Turco in Italia, dans Maria Stuarda, et sa Vitellia m'avait heureusement surpris. Elle interprète Violetta Valéry depuis huit ans, et je pense que sa fréquentation de rôles demandant des graves bien présents a enrichi son interprétation. Les Violetta rossignols ne sont jamais très intéressantes, celles qui ont des voix un peu plus dramatiques, et parfois avec des fêlures, m'ont toujours interpellé davantage.

Aleksandra Kurzak, donc, est prodigieuse de bout en bout. Non seulement l'époustouflante maîtrise du souffle s'impose dès le début, avec des aigus en place, cristallins et apparemment faciles, mais elle s'impose de faire évoluer le timbre tout au long de la représentation, avec une incroyable palette de couleurs, des mediums chauds et des graves riches. Tout aussi phénoménale est la dynamique, avec piani et forte distribués partout, sans jamais de gratuité. C'est peut-être ce souci premier de la vérité dramatique, au service de laquelle la cantatrice met sa voix, que j'ai le plus admiré.

Du coup, je la mets dans mon Top 5 des meilleures Violetta vues sur scène !

Bravo, Madame.

Cornelia Oncioiu et Julien Dran


Julien Dran, Virginie Verrez, JeanFrançois Borras

Aleksandra Kurzak

Virginie Verrez, Aleksandra Kurzak, George Gagnidze,
Igor Gnidii

George Gagnidze, Igor Gnidii, Christophe Gay, Luc Bertin-Hugault

Virginie Verrez, JeanFrançois Borras, Giacomo Sagripanti, Aleksandra Kurzak, George Gagnidze,
Igor Gnidii

Cornelia Oncioiu, Julien Dran, Virginie Verrez, JeanFrançois Borras, Giacomo Sagripanti

Julien Dran, JeanFrançois Borras

Virginie Verrez

Christophe Gay



avec Giacomo Sagripanti

Aleksandra Kurzak


avec George Gagnidze

Feuillages incandescents au bord du Bassin de l'Arsenal

30 commentaires:

  1. Encore un article ! Nous sommes gâtés ! Passionnant compte-rendu Je crois ue vais regarder s'il reste des places...
    Merci.
    Pierre

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    1. Merci pour votre fidélité, bravo pour votre rapidité. Vous êtes le premier à me laisser un commentaire. J'espère que vous pourrez assister à une de ces magnifiques représentations.
      Merci à vous !

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  2. That's great! I've seen Traviata on screen. Awesome post!
    Annie

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  3. Si j'avais su que ce serait aussi, je serais venue !
    Michèle

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  4. Top quality post! Great text, amazing pics! I've been in Lyric Opera for Traviata.
    Tom

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    1. Wow, a reader from Chicago! Great! Thanks for your nice message.

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  5. Très belle photo en noir et blanc, au debut de l'article. Mais qu'est ce que c'est ?
    Céline

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    1. Le plafond du balcon ! Et la photo n'est pas en noir et blanc !
      Merci beaucoup Céline.

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  6. J'ai vu une des représentations, magnifique comme vous l'écrivez en détail.
    Bravo Alexandra Kurzak !
    Claire

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  9. Un article écrit par un spécialiste, apparemment !
    Merci beaucoup.
    Henry

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    1. Merci pour ce compliment très flatteur et pour votre fidélité, Henry !

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  10. Bel article, félicitations !
    Michel

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  11. Bravo pour votre analyse pointue ! Cordialement
    Christophe

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  12. Votre article rend justice aux interprètes, félicitations.

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  13. Grand plaisir de lire ton article élogieux pour cette magnifique Traviata.
    Bisous. Mam.

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  14. A great post on a top-quality blog, with amazing pics and clever texts. Congrats.

    Annemarie

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  15. 2022!! Qui sont tes 4 autres Traviata préférées?stp ?

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    1. Horreur ! Je réponds bien tardivement mais le temps me fait actuellement cruellement défaut et le blog est en souffrance... Je dirais Kabaivanska, Devia, Fleming, Stoyanova pour celles que j'ai entendues. Et il ne faudrait pas oublier Ciofi et Cassello, très très émouvantes !

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