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lundi 28 octobre 2019

Vienne : La Clemenza di Tito (La Clémence de Titus, Theater an der Wien)


La Clemenza est un de mes opéras de Mozart favoris, et je suis très heureux d'avoir pu le glisser dans le programme de ce séjour viennois.

C'est le Theater an der Wien qui s'y colle et en profite pour proposer à la fois une version sur instruments anciens et une mise en scène contemporaine. La première option est une des spécialités de ce théâtre, et la seconde a longtemps été la seule possibilité viennoise  de voir des productions théâtrales quand le Staatsoper était centré sur son répertoire avec des productions "historiques" .

J'y suis venu quasiment à chaque séjour, et parfois plusieurs fois. Assister à une représentation dans cette salle emblématique, où Beethoven a dirigé, est déjà un plaisir.

Nouvelle production signée Sam Brown



Le metteur en scène a choisi un contexte contemporain dans lequel il place clairement les enjeux. On voit Bérénice, la femme aimée de Titus, danser à l'arrière-plan. Et les personnages ne cessent de se refléter sur les vitres, créant un jeu de miroirs intéressant dans une œuvre où la notion de perception est essentielle : ils ne sont jamais ce qu'ils paraissent.


Le décor, constitué de successions de cadres lumineux d'intensité et de couleurs variables, est suffisamment anonyme et permet d'y voir la localisation qu'on souhaite. Ajoutons un jeu très travaillé qui construit avec minutie chacun des protagonistes.


Le decor forme un triangle  dont le centre sert de contrepoint à l'action, parfois avec des projections, parfois en y montrant des personnages ou l'incendie. Plutôt une bonne idée.


Le problème, c'est que la scène du Theater an der Wien comporte une large tournette, qui séduit énormément les metteurs en scène, qui n'hésitent pas à en abuser. Ainsi on voit rarement les personnages arriver, c'est tout le décor qui se déplace. Comme souvent, l'excès de tournette donne le tournis. Dommage.

La distribution du soir


On assiste à une Clemenza sur instruments anciens et je présume que ce choix a impulsé des voix moins grandes que ce qu'on a l'habitude d'entendre ici. En revanche, on a privilégié des chanteurs aux voix souples et ductiles, aux vocalises virtuoses, et cela modifie complètement la perspective.


Stina Quagebeur, la chorégraphe, danse aussi le personnage de Bérénice, ce qu'elle fait fort bien.


Publio, c'est Jonathan Lemalu, et sa voix de basse est sans doute la plus large de toute la distribution. Je l'avais préféré en Leporello, mais c'est un Publio très probe et plus sombre qu'à l'ordinaire.


On attend de Servilia fraîcheur, jeunesse et charme, et c'est exactement ce qu'apporte Mari Eriksmoen, une habituée des lieux, également connue pour sa Pamina aixoise.

La vraie surprise, c'est de retrouver en Annio et Sesto deux contre-ténors. La direction a cependant opté pour deux timbres différents. Kangmin Justin Kim interprète le premier avec beaucoup de fougue, et sa voix très projetée réussit bien au personnage. Une interprétation réussie.


Le rôle crucial de Sesto est tenu par l'Australien David Hansen, voix puissante et virtuose, qui fascine notamment par les vocalises finales de Parto, parto, absolument ébouriffantes. J'aurais apprécié un grave plus présent et davantage de variété de couleurs, ce dont on est souvent gratifié avec Sesto. Mais c'est tout de même une expérience intéressante que de découvrir des timbres semblables dans ces deux rôles. 


L'Américaine Nicole Chevalier n'est pas naturellement équipée pour le rôle terrifiant de Vitellia. Il lui manque les couleurs des graves, et son médium pourrait avoir plus de poids.

Et c'est regrettable, car c'est une interprète passionnante, qui donne un sens à chaque note, et dont l'intelligence, la conviction de la composition forcent le respect. Son Non più di fiori est une grande scène de tragédienne !


Jeremy Ovenden (que j'avais entendu en tout début de carrière) a une jolie voix de ténor et il se tire de Se all'impero avec les honneurs. J'aimerais bien l'entendre dans une Passion de Bach, tiens !

A-t-il pour autant le format requis pour Tito ? C'est moins sûr. La projection est correcte, mais la voix demeure pas immense, et l'autorité du personnage ne me semble pas, ce soir, suffisamment soulignée. Je trouve ce Tito-là trop gentil et effacé sur l'ensemble de la représentation.


Le grand vainqueur est pour moi le chef Stefan Gottfried, qui propose une version passionnante. Les ornementations demandées aux chanteurs, les variations des reprises, l'intelligence de l'accompagnement des récitatifs (alternativement au clavecin et au pianoforte, ce dernier intervenant aussi dans l'orchestre) placent l'œuvre dans une perspective différente et tracent une continuité avec des opéras de jeunesse comme Mitridate ou Lucio Silla.

En outre, son orchestre, c'est le Concentus Musicus, la Rolls des orchestres baroques, extraordinaire de texture et de virtuosité (des cors fabuleux, entre autres). L'orchestre de Nikolaus Harnoncourt (que j'ai vus ensemble plusieurs fois au Musikverein) est dans de bonnes mains !

L'un et l'autre s'entendent pour faire naître l'action de la fosse, avec une vie remarquable. Les accords tranchants donnent l'impression de coups d'épée, et ils savent se métamorphoser en orchestre de l'Olympe d'une ineffable suavité. En terme de textures, de palette, c'est exceptionnel, et tout cela vibre avec passion.

Le Arnold Schoenberg Chor, autre habitué de cette scène, est toujours impeccable, quoi qu'on lui demande de faire. Ici il montre souplesse et couleurs et on a l'impression d'un chœur authentiquement baroque.


En dépit de quelques réserves, il s'agit d'une représentation passionnante, que je suis très heureux d'avoir suivie.






Jonathan Lemalu

Jeremy Ovenden

Mari Eriksmoen

Kangmin Justin Kim

Stefan Gottfried 

avec Nicole Chevalier 

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