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Cosi fan tutte, acte I |
Festival Lyrique d’Aix en Provence
J’ai la chance d’habiter dans une région très riche en
festivals ; pendant longtemps je suis resté fidèle aux Chorégies d’Orange,
mais je trouve maintenant largement mon bonheur avec Aix et
Radio-France-Montpellier pour la musique, et Avignon pour le théâtre. Juillet
reste un mois très rempli en spectacles. Cette année est plutôt un bon cru,
particulièrement à Aix qui a réalisé un exceptionnel sans faute ; des
plateaux convaincants, de belles phalanges orchestrales dirigées avec esprit,
et des productions qui correspondent à ce que j’attends d’une mise en
scène : ne pas se contenter d’illustrer l’œuvre, mais exposer son
actualité et ouvrir des portes qui suscitent la réflexion.
Cosi fan tutte
J’ai eu la chance d’assister à deux représentations de ce
spectacle, la pré-générale où j’avais émis des réserves sur certains chanteurs
qui protégeaient visiblement leur voix, puis une de la série officielle.
J’avais entendu parler de ce déplacement de l’action dans l’Afrique coloniale
(en Erythrée pour être exact), et ça m’avait semblé pour le moins incongru. Ce
spectacle intense et bouleversant a levé mes doutes ; d’abord, la
direction d’acteurs de Christophe Honoré extrêmement fine révèle bien toutes
les failles de l’âme, mais cette production parvient à créer un vrai suspense
(incroyable dans une œuvre qu’on connaît par cœur, et qui fonctionnera jusqu’au
bout avec une Fiordiligi prête à se suicider). Lorsque Ferrando et Guglielmo se
travestissent, c’est en Noirs : pour une fois on comprend que les
demoiselles ne les reconnaissent pas ; le spectateur a bien du mal lui
aussi ! Et proposer à travers Cosi une réflexion sur le racisme, c’est
pertinent et logique avec le livret ; le regard des Blancs pour les Noirs
est-il si différent des Italiens pour les « Albanesi » du
livret ?
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Lenneke Ruiten et Kate Lindsay |
Les deux sœurs sont bouleversantes et admirables de beau
chant (Lenneke Ruiten avec une voix très unie et ductile, Kate Lindsay avec de
riches harmoniques), également émouvant et soigné pour les garçons (le sensible
Joel Prieto m’a semblé cependant un peu fatigué sur la fin des deux
représentations). Sandrine Piau utilise judicieusement une voix qui n’a jamais
été grande, propose de jolies variantes dans ses airs et compose une Despina
assez originale ; Rodney Gilfry campe avec aplomb un Don Alfonso
baroudeur, revenu de tout. Avec son physique de cinéma, il évoque une foule de
personnages de film. Le réalisateur Christophe Honoré avait-il cela en
tête ?
Entre les deux représentations, le Freiburger
Barockorchester a gagné en précision et la baguette souple de Louis Langrée est
un atout supplémentaire.
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avec Kate Lindsay |
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Joel Prieto |
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Rodney Gilfry |
Pelléas et
Mélisande
Un des grands moments de l’été. J’apprécie beaucoup cet
opéra et son mystère, qui réside souvent dans des phrases toutes simples dont
on cherche à creuser l’arrière-plan (Je
vais dire quelque chose à quelqu'un), et les mises en scène
proposent toujours un peu la même vision sombre et minimaliste. On ne voit
jamais de mauvaise production de Pelléas,
c’est déjà ça.
Katie Mitchell déborde d’idées et parvient à une
proposition vraiment originale : d’abord avec ce décor de pièces de
maisons de poupées, proche de ses deux productions précédentes (Written on Skin et Alcina) qui réussit à vraiment marquer la multiplicité des lieux,
ensuite avec le principe de centrer l’action sur Mélisande, qui rêve ce drame
comme le ferait Alice au Pays des Merveilles. Les rapports entre Pelléas, qui
semble vieilli avant l’âge, et un Golaud presque démoniaque, sont détaillés
avec minutie. Katie Mitchell réussit à la fois à mettre en lumière les détails
du livret et à exposer plusieurs niveaux de lecture. Et à jeter en pâture au
spectateur des images fortes ; je n’oublierai pas de sitôt cette scène où
Golaud force Yniold à regarder par la lucarne.
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Stéphane Degout et Barbara Hannigan |
Elle bénéficie de chanteurs remarquables qui jouent tout
aussi admirablement ; Barbara Hannigan, comme toujours prodigieuse, se
sert de son corps comme une gymnaste et sa gamme de regards est à elle seule
une leçon de théâtre. Stéphane Degout fait de son dernier Pelléas un monument
et Laurent Naouri, qui sert lui aussi Golaud depuis de longues années, est
extraordinaire de vérité. Le grand Franz-Josef Selig est un immense Arkel, et
Chloé Briot et Thomas Dear, de parfaits Yniold et Médecin. Ce jour-là, Sylvie
Brunet me semble avoir un peu de mal avec les notes de passage mais elle
compose une touchante et affectueuse Geneviève.
J’attendais beaucoup d’Esa-Pekka Salonen. J’ai découvert
dans le programme que c’était le premier opéra qu’il avait écouté (!!!) mais
qu’il avait finalement eu peu d’occasions pour le diriger. C’est incroyable de
voir combien il obtient de son orchestre, le Philharmonia, une flexibilité et
un profond ressenti du drame, toujours à l’unisson de ce qui se passe sur
scène. Du grand art.
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Sylvie
Brunet |
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Stéphane Degout |
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Franz-Josef Selig |
Il Trionfo del
Tempo e del Disinganno
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Il Trionfo del
Tempo e del Disinganno
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Malgré mon amour pour les œuvres de Haendel, je n’ai
entendu en live le Trionfo qu’une fois, et encore en version de concert. Je suis très
curieux de savoir ce que va faire Warlikowski de ce livret moralisateur, typique
de la Contre-Réforme, rédigé par le Cardinal Pamphili (celui du palais à Rome,
via del Corso).
Les productions récentes de Bieito et Jurgen Flimm ont
ouvert la voie aux productions scéniques. Donc, va pour le Trionfo version opéra !
Warlikowski diffuse pendant la représentation un extrait
d’une conversation de Derrida sur les fantômes. C’est une clef renvoyant à une
autre séquence filmée où Piacere persuade Bellezza de se donner à lui ; la
fête sera si excessive qu’elle causera la mort d’un jeune énamouré. Sur scène,
de mornes jeunes filles viennent s'asseoir sur les rangées de fauteuils. Au
centre, un volume de plexiglas figure apparemment l'entrée aux Enfers où on
retrouve l’éphèbe amoureux. Tempo et Disinganno (la Désillusion), porte-parole
du cardinal librettiste, délivrent leur sermon moralisateur : le plaisir,
c’est pas bien, c’est dangereux, etc… Effet fatal : après un air
bouleversant, Tu del ciel ministro eletto, la jeune Beauté s’ouvre les veines.
Bravo donc à Warlikowski d’avoir montré que l’émotion
n’était pas que dans la musique et à avoir créé une vraie narration dans un
livret qui n’est finalement qu’un bla-bla assommant et théorique.
C’est un tour de force pareil à celui de Haendel pour
créer une des plus belles musiques qui soient, extraordinairement variée, si
sensible et si riche. Et avec trente airs, l’auditeur est gâté !
Et ce soir, les oreilles sont à la fête : Sara
Mingardo utilise sa voix de miel pour ciseler la partition, Franco Fagioli,
prodigieux virtuose, ensorcelle l’auditoire ; le solide Michael Spyres (qui
chante La Juive ou Guillaume Tell, c’est tout dire),
remarquable interprète, montre que le ténor haendélien n’est pas une affaire de
demi-voix. Sabine Devieilhe réussit son Haendel autant que son Delibes (c’est
sans doute la meilleure Lakmé actuelle) : longueur du souffle, variété des
colorations, aisance des vocalises. Et quelle actrice !
Emmanuelle Haïm fait extraordinairement sonner son
Concert d'Astrée tout en créant toujours le drame à partir de l’orchestre.
Exceptionnel !
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Franco Fagioli |
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Michael Spyres |
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Emmanuelle Haïm |
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Sabine Devieilhe |
Kalila wa Dimna
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Kalila
wa Dimna |
C’est par curiosité que j’ai pris un billet pour cette
création mondiale : un opéra en arabe, ce sera pour moi une première. Je
connaissais un tout petit peu le Kalila
wa Dimna dont j’avais jadis fait étudier des extraits à des élèves de
sixièmes.
Ce n’est pas la révélation d’une œuvre qui va bouleverser
l’histoire de l’art, mais un très élégant et fructueux spectacle qui s’insère
idéalement dans le cadre intimiste du Théâtre du Jeu de Paume, un vrai conte
qui séduit aussi bien les enfants (assez nombreux dans la salle) que les
adultes. Et, comme un vrai conte, il offre plusieurs niveaux de lecture ;
les questions du chœur final Que s'est-il passé pour ceux avec qui nous
avons grandi ? Que s'est-il passé pour ce monde que nous avons cru
connaître ? peuvent renvoyer
à une inquiétante actualité.
Le compositeur (mais aussi chanteur et joueur de oud) Moneim
Adwan a créé une partition intéressante, qui rend hommage à la musique arabe et
particulièrement au maqâm
(système mélodique oriental).
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Kalila
wa Dimna |
Si la musique
est orientale, la mise en scène d’Olivier Letellier renvoie plus au théâtre européen,
notamment dans sa manière d’envisager l’espace : direction d’acteur
précise dans un décor élégant et astucieux évoquant un jeu de construction.
Les interprètes
n’ont pas vraiment des voix lyriques (l’un d’eux est le gagnant de la Star Ac
de son pays) mais des timbres bien identifiables, que le petit ensemble
oriental sur scène ne couvre pas.
Œdipus Rex / Symphonie
de Psaumes
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Œdipus
Rex |
Trilogie
Stravinsky, deuxième opus. Celui-ci a été confié comme l’an dernier à Peter
Sellars, qui va encore plus loin dans l’épure : sol blanc, mur blanc.
Quelques fauteuils africains apparemment en matériaux de récupération pour Œdipus
Rex, et seul un carré lumineux au sol pour la Symphonie. Difficile de faire
plus sobre. Dégagé de toute scorie visuelle, le regard se focalise sur les
personnages, tous poignants (acteurs, danseurs, choristes, solistes, figurants
sont également impliqués).
La proposition
de Peter Sellars s’appuie sur la paire originale de ce spectacle, faisant de la
Symphonie la continuité dramatique d’Œdipus Rex. Un ballet, une tragédie
antique, un culte religieux, on ne sait plus très bien ce qu’on voit mais on
est sincèrement ému. Tout aussi à l’aise qu’avec Pelléas, Salonen montre
son affinité et sa profonde compréhension de cette musique (il l’avait choisi
pour ses adieux au L.A. Philharmonic).
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Œdipus
Rex |
Pauline
Cheviller, Antigone, et Laurel Jenkins, Ismene, sont parfaites ; Joshua
Stewart montre un timbre juvénile et léger dans le berger. Willard White
compense un certain engorgement par une grande dignité mais Violeta Urmana,
excellente Isolde, ne peut éviter des raideurs et des tensions dans Jocaste.
Joseph Kaiser, malade (il n’a pas chanté la générale et évite de parler en
sortant ; il aurait dû demander une annonce), a du mal à projeter la voix,
même si l’interprète scrupuleux dévoile un style très soigné.
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Joseph Kaiser |
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Willard White |
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Peter
Sellars |
Zoroastre
Les occasions de
redécouvrir le génie de Rameau ne sont pas si nombreuses et je suis ravi de
réentendre (à défaut de revoir, c’est une version concert) Zoroastre, ce
chef-d’œuvre qui annonce la Flûte Enchantée par bien des aspects et s’avère une
sacrée révolution pour l’époque. Le livret campe des personnages forts (tels
que le fanatique Abramane, grand-prêtre haut en couleurs), et la rivalité aussi
bien religieuse qu’amoureuse (d’où les deux rôles féminins centraux, ce qui
choqua à l’époque puisqu’aucun des deux ne se détachait vraiment) crée
réellement le drame. Cette version concert nomade, qui passe aussi par Beaune
et Montpellier, offre de bien beaux moments. Les chanteurs sont concernés et
campent de vrais personnages, ce qui n’est pas toujours évident en version
concert : Nicolas Courjal, un Abramane passionné et autoritaire, Emmanuelle de Negri, qui se régale dans
un rôle de méchante, Reinoud van
Mechelen, un Zoroastre plein de douceur, Katherine Watson, une Amélite remarquable par la variété des
accents (et cette Anglaise ne démérite pas sur la diction). Christian Immler est efficace dans ses deux
rôles, La Vengeance et Oromasès, mais la voix sonne parfois un peu
creuse. Raphaël Pichon est à son
affaire avec son Ensemble Pygmalion et choisit souvent des tempis assez animés.
Mon voisin lui reprochait de faire plus entendre les cordes que les vents, cela
ne m’a pas gêné. J’ai surtout retenu sa capacité à faire vivre le drame à l’orchestre,
et cette vraie théâtralité est pour moi un atout majeur.
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Reinoud van
Mechelen |
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Katherine Watson, Nicolas Courjal |
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Nicolas Courjal |
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Katherine Watson |
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