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lundi 1 août 2016

Juillet 2016 à Aix en Provence : un mois de festivalier (1)

Cosi fan tutte, acte I


Festival Lyrique d’Aix en Provence


J’ai la chance d’habiter dans une région très riche en festivals ; pendant longtemps je suis resté fidèle aux Chorégies d’Orange, mais je trouve maintenant largement mon bonheur avec Aix et Radio-France-Montpellier pour la musique, et Avignon pour le théâtre. Juillet reste un mois très rempli en spectacles. Cette année est plutôt un bon cru, particulièrement à Aix qui a réalisé un exceptionnel sans faute ; des plateaux convaincants, de belles phalanges orchestrales dirigées avec esprit, et des productions qui correspondent à ce que j’attends d’une mise en scène : ne pas se contenter d’illustrer l’œuvre, mais exposer son actualité et ouvrir des portes qui suscitent la réflexion.



Cosi fan tutte


J’ai eu la chance d’assister à deux représentations de ce spectacle, la pré-générale où j’avais émis des réserves sur certains chanteurs qui protégeaient visiblement leur voix, puis une de la série officielle. J’avais entendu parler de ce déplacement de l’action dans l’Afrique coloniale (en Erythrée pour être exact), et ça m’avait semblé pour le moins incongru. Ce spectacle intense et bouleversant a levé mes doutes ; d’abord, la direction d’acteurs de Christophe Honoré extrêmement fine révèle bien toutes les failles de l’âme, mais cette production parvient à créer un vrai suspense (incroyable dans une œuvre qu’on connaît par cœur, et qui fonctionnera jusqu’au bout avec une Fiordiligi prête à se suicider). Lorsque Ferrando et Guglielmo se travestissent, c’est en Noirs : pour une fois on comprend que les demoiselles ne les reconnaissent pas ; le spectateur a bien du mal lui aussi ! Et proposer à travers Cosi une réflexion sur le racisme, c’est pertinent et logique avec le livret ; le regard des Blancs pour les Noirs est-il si différent des Italiens pour les « Albanesi » du livret ?
Lenneke Ruiten et Kate Lindsay

Les deux sœurs sont bouleversantes et admirables de beau chant (Lenneke Ruiten avec une voix très unie et ductile, Kate Lindsay avec de riches harmoniques), également émouvant et soigné pour les garçons (le sensible Joel Prieto m’a semblé cependant un peu fatigué sur la fin des deux représentations). Sandrine Piau utilise judicieusement une voix qui n’a jamais été grande, propose de jolies variantes dans ses airs et compose une Despina assez originale ; Rodney Gilfry campe avec aplomb un Don Alfonso baroudeur, revenu de tout. Avec son physique de cinéma, il évoque une foule de personnages de film. Le réalisateur Christophe Honoré avait-il cela en tête ?
Entre les deux représentations, le Freiburger Barockorchester a gagné en précision et la baguette souple de Louis Langrée est un atout supplémentaire.

avec Kate Lindsay

Joel Prieto

Rodney Gilfry

Pelléas et Mélisande





Un des grands moments de l’été. J’apprécie beaucoup cet opéra et son mystère, qui réside souvent dans des phrases toutes simples dont on cherche à creuser l’arrière-plan (Je vais dire quelque chose à quelqu'un), et les mises en scène proposent toujours un peu la même vision sombre et minimaliste. On ne voit jamais de mauvaise production de Pelléas, c’est déjà ça.
Katie Mitchell déborde d’idées et parvient à une proposition vraiment originale : d’abord avec ce décor de pièces de maisons de poupées, proche de ses deux productions précédentes (Written on Skin et Alcina) qui réussit à vraiment marquer la multiplicité des lieux, ensuite avec le principe de centrer l’action sur Mélisande, qui rêve ce drame comme le ferait Alice au Pays des Merveilles. Les rapports entre Pelléas, qui semble vieilli avant l’âge, et un Golaud presque démoniaque, sont détaillés avec minutie. Katie Mitchell réussit à la fois à mettre en lumière les détails du livret et à exposer plusieurs niveaux de lecture. Et à jeter en pâture au spectateur des images fortes ; je n’oublierai pas de sitôt cette scène où Golaud force Yniold à regarder par la lucarne.
Stéphane Degout et Barbara Hannigan
Elle bénéficie de chanteurs remarquables qui jouent tout aussi admirablement ; Barbara Hannigan, comme toujours prodigieuse, se sert de son corps comme une gymnaste et sa gamme de regards est à elle seule une leçon de théâtre. Stéphane Degout fait de son dernier Pelléas un monument et Laurent Naouri, qui sert lui aussi Golaud depuis de longues années, est extraordinaire de vérité. Le grand Franz-Josef Selig est un immense Arkel, et Chloé Briot et Thomas Dear, de parfaits Yniold et Médecin. Ce jour-là, Sylvie Brunet me semble avoir un peu de mal avec les notes de passage mais elle compose une touchante et affectueuse Geneviève.
J’attendais beaucoup d’Esa-Pekka Salonen. J’ai découvert dans le programme que c’était le premier opéra qu’il avait écouté (!!!) mais qu’il avait finalement eu peu d’occasions pour le diriger. C’est incroyable de voir combien il obtient de son orchestre, le Philharmonia, une flexibilité et un profond ressenti du drame, toujours à l’unisson de ce qui se passe sur scène. Du grand art.

Sylvie Brunet

Stéphane Degout

Franz-Josef Selig

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno

Malgré mon amour pour les œuvres de Haendel, je n’ai entendu en live le Trionfo qu’une fois, et encore en version de concert. Je suis très curieux de savoir ce que va faire Warlikowski de ce livret moralisateur, typique de la Contre-Réforme, rédigé par le Cardinal Pamphili (celui du palais à Rome, via del Corso).
Les productions récentes de Bieito et Jurgen Flimm ont ouvert la voie aux productions scéniques. Donc, va pour le Trionfo version opéra !
Warlikowski diffuse pendant la représentation un extrait d’une conversation de Derrida sur les fantômes. C’est une clef renvoyant à une autre séquence filmée où Piacere persuade Bellezza de se donner à lui ; la fête sera si excessive qu’elle causera la mort d’un jeune énamouré. Sur scène, de mornes jeunes filles viennent s'asseoir sur les rangées de fauteuils. Au centre, un volume de plexiglas figure apparemment l'entrée aux Enfers où on retrouve l’éphèbe amoureux. Tempo et Disinganno (la Désillusion), porte-parole du cardinal librettiste, délivrent leur sermon moralisateur : le plaisir, c’est pas bien, c’est dangereux, etc… Effet fatal : après un air bouleversant, Tu del ciel ministro eletto, la jeune Beauté s’ouvre les veines.
Bravo donc à Warlikowski d’avoir montré que l’émotion n’était pas que dans la musique et à avoir créé une vraie narration dans un livret qui n’est finalement qu’un bla-bla assommant et théorique.
C’est un tour de force pareil à celui de Haendel pour créer une des plus belles musiques qui soient, extraordinairement variée, si sensible et si riche. Et avec trente airs, l’auditeur est gâté !

Et ce soir, les oreilles sont à la fête : Sara Mingardo utilise sa voix de miel pour ciseler la partition, Franco Fagioli, prodigieux virtuose, ensorcelle l’auditoire ; le solide Michael Spyres (qui chante La Juive ou Guillaume Tell, c’est tout dire), remarquable interprète, montre que le ténor haendélien n’est pas une affaire de demi-voix. Sabine Devieilhe réussit son Haendel autant que son Delibes (c’est sans doute la meilleure Lakmé actuelle) : longueur du souffle, variété des colorations, aisance des vocalises. Et quelle actrice !
Emmanuelle Haïm fait extraordinairement sonner son Concert d'Astrée tout en créant toujours le drame à partir de l’orchestre. Exceptionnel !

Franco Fagioli

Michael Spyres
Emmanuelle Haïm
Sabine Devieilhe


Kalila wa Dimna

Kalila wa Dimna


C’est par curiosité que j’ai pris un billet pour cette création mondiale : un opéra en arabe, ce sera pour moi une première. Je connaissais un tout petit peu le Kalila wa Dimna dont j’avais jadis fait étudier des extraits à des élèves de sixièmes.
Ce n’est pas la révélation d’une œuvre qui va bouleverser l’histoire de l’art, mais un très élégant et fructueux spectacle qui s’insère idéalement dans le cadre intimiste du Théâtre du Jeu de Paume, un vrai conte qui séduit aussi bien les enfants (assez nombreux dans la salle) que les adultes. Et, comme un vrai conte, il offre plusieurs niveaux de lecture ; les questions du chœur final Que s'est-il passé pour ceux avec qui nous avons grandi ? Que s'est-il passé pour ce monde que nous avons cru connaître ? peuvent renvoyer à une inquiétante actualité.
Le compositeur (mais aussi chanteur et joueur de oud) Moneim Adwan a créé une partition intéressante, qui rend hommage à la musique arabe et particulièrement au maqâm (système mélodique oriental).
Kalila wa Dimna

Si la musique est orientale, la mise en scène d’Olivier Letellier renvoie plus au théâtre européen, notamment dans sa manière d’envisager l’espace : direction d’acteur précise dans un décor élégant et astucieux évoquant un jeu de construction.
Les interprètes n’ont pas vraiment des voix lyriques (l’un d’eux est le gagnant de la Star Ac de son pays) mais des timbres bien identifiables, que le petit ensemble oriental sur scène ne couvre pas.

Œdipus Rex / Symphonie de Psaumes


Œdipus Rex

Trilogie Stravinsky, deuxième opus. Celui-ci a été confié comme l’an dernier à Peter Sellars, qui va encore plus loin dans l’épure : sol blanc, mur blanc. Quelques fauteuils africains apparemment en matériaux de récupération pour Œdipus Rex, et seul un carré lumineux au sol pour la Symphonie. Difficile de faire plus sobre. Dégagé de toute scorie visuelle, le regard se focalise sur les personnages, tous poignants (acteurs, danseurs, choristes, solistes, figurants sont également impliqués).
La proposition de Peter Sellars s’appuie sur la paire originale de ce spectacle, faisant de la Symphonie la continuité dramatique d’Œdipus Rex. Un ballet, une tragédie antique, un culte religieux, on ne sait plus très bien ce qu’on voit mais on est sincèrement ému. Tout aussi à l’aise qu’avec Pelléas, Salonen montre son affinité et sa profonde compréhension de cette musique (il l’avait choisi pour ses adieux au L.A. Philharmonic).
Œdipus Rex

Pauline Cheviller, Antigone, et Laurel Jenkins, Ismene, sont parfaites ; Joshua Stewart montre un timbre juvénile et léger dans le berger. Willard White compense un certain engorgement par une grande dignité mais Violeta Urmana, excellente Isolde, ne peut éviter des raideurs et des tensions dans Jocaste. Joseph Kaiser, malade (il n’a pas chanté la générale et évite de parler en sortant ; il aurait dû demander une annonce), a du mal à projeter la voix, même si l’interprète scrupuleux dévoile un style très soigné.

Joseph Kaiser


Willard White
Peter Sellars

Zoroastre

Les occasions de redécouvrir le génie de Rameau ne sont pas si nombreuses et je suis ravi de réentendre (à défaut de revoir, c’est une version concert) Zoroastre, ce chef-d’œuvre qui annonce la Flûte Enchantée par bien des aspects et s’avère une sacrée révolution pour l’époque. Le livret campe des personnages forts (tels que le fanatique Abramane, grand-prêtre haut en couleurs), et la rivalité aussi bien religieuse qu’amoureuse (d’où les deux rôles féminins centraux, ce qui choqua à l’époque puisqu’aucun des deux ne se détachait vraiment) crée réellement le drame. Cette version concert nomade, qui passe aussi par Beaune et Montpellier, offre de bien beaux moments. Les chanteurs sont concernés et campent de vrais personnages, ce qui n’est pas toujours évident en version concert :  Nicolas Courjal, un Abramane passionné et autoritaire, Emmanuelle de Negri, qui se régale dans un rôle de méchante, Reinoud van Mechelen, un Zoroastre plein de douceur, Katherine Watson, une Amélite remarquable par la variété des accents (et cette Anglaise ne démérite pas sur la diction). Christian Immler est efficace dans ses deux rôles, La Vengeance et Oromasès, mais la voix sonne parfois un peu creuse. Raphaël Pichon est à son affaire avec son Ensemble Pygmalion et choisit souvent des tempis assez animés. Mon voisin lui reprochait de faire plus entendre les cordes que les vents, cela ne m’a pas gêné. J’ai surtout retenu sa capacité à faire vivre le drame à l’orchestre, et cette vraie théâtralité est pour moi un atout majeur.
Reinoud van Mechelen
Katherine Watson, Nicolas Courjal

Nicolas Courjal
Katherine Watson


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