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lundi 30 septembre 2019

Paris : Les Indes Galantes (Opéra Bastille)



Les Indes Galantes de retour






Même si on entend davantage de Rameau de nos jours, Les Indes Galantes n'est pas l'œuvre que j'ai vue le plus (septième représentation ce soir à mon compteur) même s'il s'agit d'un des titres les plus fameux de l'opéra baroque français.

Pour les lecteurs qui n'en connaîtraient rien, il s'agit d'une œuvre originale, avec non seulement un prologue mais aussi quatre tableaux entièrement indépendants les uns des autres. Tous n'ont comme point commun que les Indes, telles qu'on les connaît à l'époque : orientales (Turquie, Perse) ou occidentales (Amériques avec l'empire des Incas et l'Amérique du Nord). Grand thème du merveilleux exotique, de l'étrange étranger, un des axes majeurs de notre Siècle des Lumières, dont l'exotisme produit aussi bien Zadig que Paul et Virginie.


Les tableaux sont extrêmement contrastés, le premier semblant un accéléré de L'Enlèvement au Sérail, avec la clémence du Turc, et celui des Incas offrant un grand spectacle haut en couleur.

Nouvelle production : Clément Cogitore





L'idée directrice de Clément Cogitore, le créateur de cette production, est que la mondialisation a aplani les différences, que l'étranger n'est plus au bout du monde, mais qu'il faudrait plutôt le chercher ici même, dans la ville. Le choix des danses s'est donc porté sur les styles urbains, en déclinant apparemment toute la gamme, avec une chorégraphe spécialiste de ce genre-là, Bintou Dembélé. Je ne suis absolument pas connaisseur et n'ai pu identifier les différentes formes présentées ici.




Le dispositif scénique présente, sur un sombre plateau nu, un cercle central évidé, parfois couvert d'un plateau. Une grue articulée y plonge parfois, notamment pour en extraire une carcasse de bateau avec des migrants inspectés en détail. Un manège en surgira aussi, où s'installeront les enfants de la maîtrise. Dans le tableau des Sauvages, il s'agit alors d'une prison fermée par des néons.


La lumière dessine parfois des carrés où sont disposés des cubes, transportés (bruyamment) à vue, à fonction multiple. A la place du soleil auquel s'adresse l'hommage de la foule, une immense dalle de LED surplombe un bal improvisé.

Le peuple indien devient des figures urbaines, CRS, filles dénudées dans des vitrines rougeoyantes (pour le sérail), modèles d'un défilé de mode. Les Indiennes d'Amérique sont devenues des cheerleaders (pom-pom girls) dans de scintillantes tenues dorées.

L'idée générale me semble intéressante et pertinente. On sait bien qu'au XVIIIe siècle, ce goût pour l'exotisme permit surtout d'interroger notre Occident, comme le fit magistralement Montesquieu dans les Lettres Persanes.


Remplacer les danses du XVIIIe par des évolutions de danse urbaine, pourquoi pas ? Surtout que les danseurs de la Compagnie Rualité sont doués et montrent de saisissantes performances de hip-hop (je ne garantis pas que ce soit le terme exact, ma voisine m'a parlé de Krump et j'ignore totalement de quoi il s'agit). Pour moi, le regret est surtout que plusieurs scènes m'ont paru être seulement l'occasion de déplacements, et que j'ai ressenti finalement une pénurie de danse. Cet opéra-ballet comporte une importante partie de ballet, comme son nom l'indique, et il me semble important de le montrer. Les modèles dans leurs robes de créateurs sont très statiques, et il m'a paru que le mime se substituait parfois à la chorégraphie. Dans un autre genre contemporain, j'ai vu une production réglée comme une comédie musicale, et j'ai le sentiment que cela fonctionnait beaucoup mieux.

Un atout majeur à ce choix cependant : le spectacle a visiblement attiré un large public venu pour la danse et non pour la musique, et cette foule enthousiaste s'est réjouie tout au long de la soirée, culminant dans des saluts chaleureux et démonstratifs à la fin de la représentation.


"Entendre" du baroque à l'Opéra-Bastille



Comme beaucoup de spectateurs, j'avais une crainte bien précise : l'opéra baroque a toujours été programmé dans l'écrin flatteur de l'Opéra Garnier, et proposer cet immense vaisseau à un orchestre sur instruments anciens et à des voix habituées à ce répertoire semblait une gageure.

Un violon à cordes de boyau, une flûte en bois, une guitare résonneront forcément moins que des instruments "classiques". Pendant les premières années du renouveau baroque, beaucoup de chanteurs se spécialisèrent dans ce répertoire et je pense pouvoir affirmer sans méchanceté que leur atout était davantage l'ornementation (les vocalises entre autres) que le volume. Aujourd'hui, c'est plus rarement le cas, et tous les chanteurs de la distribution se caractérisent par leur éclectisme.

Le son de la représentation est donc la première (bonne) surprise. Leonardo Garcia Alarcon a certes surdimensionné sa Cappella Mediterranea (55 musiciens, m'a-t-il dit), mais j'ai très bien entendu la guitare, par exemple, sans avoir à tendre l'oreille. Il faut dire que j'étais placé au second balcon, bien plus confortable pour l'acoustique que le parterre.

Ce samedi soir, les interprètes donnent leur troisième soirée d'affilée. C'est épuisant et la fatigue semble en avoir touché certains plus que d'autres ; le chant met en jeu un nombre considérable de muscles, cela use. Je pense que, pour une des chanteuses en particulier, un autre jour permettra d'épanouir la voix plus largement. Je ne peux m'empêcher d'écrire ici le plaisir à remarquer la projection de Mathias Vidal, dont la voix, pas la plus grande du monde, traverse toute la salle comme une flèche. Percutant, je ne trouve pas d'autre mot.


La distribution














Leonardo García Alarcón


J'ai entendu de grands chefs baroques diriger les Indes, Christie et Niquet notamment, mais je dois dire que le chef argentin me paraît donner une version absolument superlative. Le voir diriger cette œuvre, c'est assister à un spectacle de danse tant sa gestuelle trace une calligraphie chorégraphique (et, à mon avis, souvent plus expressive que celle montrée sur scène). Variété, précision, sens de la couleur, du discours, empathie avec les chanteurs... C'est absolument fabuleux et ses complices habituels, la Cappella Mediterranea, frémissante, variant sans cesse les couleurs, et le Chœur de Chambre de Namur, impeccable de précision et de diction, méritent de semblables compliments.

Le premier triomphateur de la soirée, c'est bien le chef.

Chacun des chanteurs hérite de deux rôles dans deux tableaux différents, et même de trois pour Sabine Devieilhe. Il faut souligner la qualité d'une distribution entièrement francophone, et d'une diction impeccable pour chacun de ses membres, ce qui ne va pas forcément de pair.

Edwin Crossley-Mercer

Edwin Crossley-Mercer, que j'entends depuis ses débuts (et la dernière fois dans Guillaume Tell à Vienne), montre les qualités de son timbre sombre et surprend par la largeur de la voix.

Alexandre Duhamel

Alexandre Duhamel hérite de Don Alvar et surtout de Huascar dans lequel il fait forte impression. Voix large et timbrée sur toute la tessiture, caractérisation poussée, interprétation intense, il est mémorable dans l'acte des Incas. 

Florian Sempey

Je n'avais encore jamais entendu Florian Sempey, le comte de Nevers des Huguenots, dans ce répertoire-là. En Bellone et surtout en Adario, il nous gratifie d'une interprétation dense et animée, avec une voix solide et vibrante.

Stanislas de Barbeyrac

Stanislas de Barbeyrac, Don Carlos et Damon, semble un peu éprouvé par le rythme des représentations et est contraint à durcir ses aigus pour les assurer. Il n'en demeure pas moins un très bel artiste, alternant élégance et vigueur, et sa caractérisation très poussée des deux rôles est un vrai plaisir.


Mathias Vidal

Mathias Vidal est époustouflant de tenue, de présence vocale, de variété de la palette dans son double rôle. Il assure aussi bien en Tacmas qu'en Valère, où le costume de travesti en aurait paralysé plus d'un.



Sabine Devieilhe

La star Sabine Devieilhe hérite de trois rôles (Hébé, Phani et Zima), elle est enceinte, elle subit comme les autres le rythme des représentations. Je pense que la fatigue explique quelques suraigus serrés, qu'elle compense largement par un engagement admirable, un style impeccable et une intelligence du chant sans cesse perceptible.

Julie Fuchs
Julie Fuchs, Emilie et Fatime, chante à ravir ; elle non plus, je ne l'ai jamais entendue dans ce répertoire-là, et je suis heureusement surpris de vérifier sa maîtrise du chant baroque. Belle palette de couleurs, talents de danseuse en prime, on est gâté par autant de qualités.

Jodie Devos

Jodie Devos, tout auréolée des succès de son disque Offenbach colorature, est aussi extraordinaire en Amour qu'en Zaïre. Musicalité, timbre délicat, frais et fleuri, spiritualité, c'est une merveille de bout en bout.

Un dernier mot pour saluer le dynamisme des chanteurs-acteurs devenus, à la fin, également danseurs, qui font un travail remarquable. A quelques réserves près, c'est une belle réussite.

17 commentaires:

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  8. Magnifique article. Cela donne tout à fait l'impression d'y avoir été ! Je vais voir ce spectacle au cinéma.

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    1. Régalez-vous, cher Anonyme. Vous bénéficierez sans doute de gros plans supplémentaires !
      Grand merci.

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  9. Je n’ai jamais vu les Indes Galantes et je crois que j’aurais été perdue face à tant de personnages. Je pense qu’il faut connaître l’œuvre. Mais tu défends une mise en scène très réfléchie, un grand Chef et des chanteurs à la hauteur. C’est donc une très belle soirée.
    Merci de me la faire partager. Bisous. Mam.

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    1. Je crois que que tu l'as vu une fois, mais il y a longtemps ! Le spectacle devrait passer à la télé, il faut surveiller les programmes.
      Grand merci, gros bisous !

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