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samedi 20 juillet 2019

Festival d'Aix : Das Lied von den Erde (Le Chant de la Terre)


Double programme pour ce concert qui voit revenir à Aix l'Orchestre de Paris, un fidèle de ces dernières années.



Première partie : Rihm


La première partie me permet une continuité avec le formidable Jakob Lenz de la veille. Cette œuvre du même Wolfgang Rihm a été commandée pour les 300 ans de Karlsruhe. Le programme cite le compositeur : ce serait une œuvre qui insisterait sur le thème du linéaire (lignes, lignes de vie, croissance à partir d'une cellule germinale), d'où son titre Über die Linie VIII, Au-delà de la ligne VIII. Je pensais que le titre avait quelque rapport avec le livre d'Ernst Jünger mais on n'en fait état nulle part.
Je n'ai jamais entendu cette pièce assez développée (une trentaine de minutes) et complexe, immédiatement séduisante. Il me faudrait la réentendre pour mieux en apprécier l'architecture et l'écriture.
Sous la baguette experte d'Ingo Metzmacher, l'orchestre a monté cette pièce en un temps record, m'assurent deux musiciens de l'orchestre, alors qu'il ne l'avait jamais jouée. Je ne peux que saluer cet exploit, car non seulement l'exécution est très propre mais très expressive. Les climats ne cessent de varier, avec une large palette de sonorités, et les instruments solistes y brillent. Mention spéciale au violon solo, Roland Daugareil, qui délivre avec sensibilité une délicate mélodie.

Deuxième partie : Mahler



Me voici en terre connue pour la seconde partie avec une œuvre que j'affectionne particulièrement, mais que je n'ai pas entendue en concert aussi souvent que je l'aurais aimé. J'apprécie beaucoup la musique de Mahler, ces cycles de Lieder notamment, et je ne pouvais rater l'occasion d'écouter ce bijou qu'est le Chant de la Terre.




Mahler a écrit ce cycle à la toute fin de sa vie, et il le concevait davantage comme une symphonie. Les textes sont tirés de poèmes chinois de la période Tang, dont les thèmes rejoignent le romantisme allemand (nature, passage du temps). Les six Lieder qui le composent alternent ténor et mezzo-soprano sans que les deux ne chantent jamais ensemble. Il existe aussi une version ténor / baryton, dont j'ai un enregistrement et que j'ai entendue une fois en concert, mais j'ai une préférence pour la distribution traditionnelle.


L'œuvre est d'une incroyable difficulté, qui sollicite un orchestre riche et nombreux (avec mandoline, glockenspiel, gong entre autres) et demande des solistes de haut vol ; une mezzo à la voix longue, un ténor capable d'héroïsme et de douceur, un chef attentif à la moindre nuance et qui doit veiller amoureusement sur ses chanteurs pour éviter que la masse orchestrale ne les étouffe. Les écueils de cette œuvre sont nombreux ; la souveraine beauté et l'émotion qu'elle dégage ne peuvent naître que s'ils sont passés avec brio.


L'exécution de ce soir me paraît proche de l'idéal. Andreas Schager, mon Lohengrin viennois mais sans doute un des Siegfried du moment, s'avère parfait ici. Souffle prodigieux, attaques franches, quinte aigüe solide, endurante et sans dureté, diction d'une parfaite netteté, phrasé élégant, c'est sans doute le meilleur interprète que j'ai entendu en direct dans cette œuvre.


Je craignais qu'avec ses soucis de santé, une remplaçante vienne chanter la partie de mezzo, mais Sarah Connolly est bien là. Je connais la mezzo britannique depuis vingt ans et j'ai pu apprécier l'évolution constante de sa voix, d'une interprète qui a su garder à son répertoire Haendel et Wagner (dans le récent Tristan de Barcelona par exemple).

Son interprétation recueillie du Einsame im Herbst, Le Solitaire en automne, est très expressive, mais c'est dans le Lied final, le magnifique Abschied, l'Adieu, que je l'ai trouvée particulièrement poignante, tout en mesure et en retenue.


Ingo Metzmacher offre une interprétation majuscule avec un orchestre en état de grâce, faisant circuler sans cesse les thèmes dans les pupitres, ce qui rend perceptibles les contrechamps si importants ici. Le soin du détail, parfois minutieusement ciselé, n'est jamais au détriment de la ligne et l'architecture est toujours clairement exposée.


L'orchestre étincelle, fier de ses couleurs comme de ses solistes. Outre les splendeurs des cordes et à la qualité des graves, si importantes dans le dernier mouvement, j'ai été particulièrement impressionné par la flûte de Vincent Lucas et le hautbois de Michel Bénet, absolument enchanteurs.


Vraiment une magnifique soirée !

Dame Sarah Connolly

Andreas Schager

 Ingo Metzmacher

4 commentaires:

  1. Lovely article, full of details, with your critical precision. Greatly written!
    Annie

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  2. Belle analyse. Vous nous communiquez votre enthousiasme ! Toujours passionnant.
    Pierre

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