Mozart a toujours été invité permanent du Festival d'Aix, qui a proposé dans un perpetuum mobile la série Don Giovanni, Le Nozze di Figaro, Cosi fan tutte, Die Zauberflöte, avec quelques incursions du côté de La Clemenza di Tito et plus rarement vers Idomeneo ou Mitridate. Le Requiem a déjà été donné en concert mais la proposition de Pierre Audi ne s'inscrivait pas dans la même logique. Certes, on a déjà vu des scénographies autour de cette œuvre, des ballets, mais ici, on restait dans une distribution classique : chœur, orchestre, solistes, et quelques figurants en prime. Comme un opéra donc. Aux commandes, deux personnalités passionnantes, le chef-musicologue Raphaël Pichon qui fait un travail formidable avec son ensemble Pygmalion et s'installe doucement comme invité permanent du Festival (après Zoroastre, Die Zauberflöte et plusieurs concerts), et Romeo Castellucci, sans doute un des plus captivants représentants de la scène italienne.
Un problème à résoudre : la durée de l'œuvre
Difficile de convaincre les spectateurs qu'ils auront droit, pour le prix de leur billet, à une petite heure de musique. On aurait pu associer le Requiem à une autre œuvre de Mozart mais Raphaël Pichon a opté pour une autre solution, entrelarder la pièce avec d'autres de Mozart, beaucoup moins connues. On pouvait compter sur le musicologue érudit pour dénicher des trésors, ce qui nous vaut des motets rares et même une vocalise écrite par Wolfgang à l'intention de sa femme Konstanze qui préfigure le magnifique Laudamus Te de la Messe K427.
Pas de scandale là-dedans, le Requiem est de toute façon inachevé et c'est l'élève de Mozart Süssmayr
qui l'a complété.
Un spectacle intense
Castellucci nous raconte bien une histoire ici. Au début, on voit une dame âgée dans une chambre délimitée sur scène vivre ses derniers instants, se coucher et mourir. Et disparaître complètement dans le lit. C'est bien ça, la mort : quelqu'un était là et il n'y est plus.
La musique commence, les poignantes notes d'un graduel, et on découvre que le noir qui entourait la chambre s'avérait des voiles noirs recouvrant les choristes. Ceux-ci s'animent progressivement et vont se livrer à des rituels funéraires, modernes ou très anciens (avec les feuilles de chêne, avec les cendres), réels ou inventés.
Sur le mur du fond est projetée une longue litanie de disparitions diverses, espèces végétales ou animales, monuments, langues… La mort sous toutes ses formes.
La mort proche se rappelle à nous avec une carcasse de voiture, apportée sur scène comme un totem, auprès de laquelle se rejouent des accidents tragiques.
A la fin du spectacle, après la longue liste des disparitions, ce sont les extinctions à venir qui s'égrènent. Et le spectacle disparaît lui-même : le sol se relève, devient mur pendant que la poudre colorée qu'on y a déposée tombe à terre. Les artistes eux-même finissent à terre.
Le mur est devenu tout à coup un tableau de Jackson Pollock. Aussi beau, aussi intense.
Le spectacle n'est qu'éphémère. Mais ce n'est pas grave.
Malgré tout, ce n'est pas la mort qui est rappelée mais la vie. On ne cesse de reculer dans l'âge de l'homme, et la dernière image est celle d'un bébé seul sur scène.
C'est un spectacle d'une beauté plastique sidérante et d'une intensité rare. Les rituels me rappellent le primitivisme du Sacre du Printemps et l'ensemble est empreint de quiétude et de douceur. La mort, certes, mais sans tourment, et du côté des vivants.
Extraordinaire. Car finalement toute la soirée n'est qu'une ode à l'art. A quoi sert-il ? A permettre aux vivants de vivre...
Je rajouterai que je devais amener mes élèves à la pré-générale (annulée pour cause de canicule) et qu'à ce titre, j'ai bénéficié de l'accompagnement de l'efficient service Passerelles du Festival. Dans le cadre de la préparation, j'avais demandé aux élèves de me faire une liste de ce qu'évoquait pour eux la mort, hormis celle des personnes. La liste obtenue n'était pas si éloignée de celle projetée ce soir.
Et, lors du travail graphique mené avec l'artiste Sabrina Kenifra, certains de mes élèves ont produit des réalisations ressemblant étonnamment à ce mur relevé.
Et musicalement…
Pareille fête pour les oreilles avec un ensemble d'une perfection rare. Le Chœur Pygmalion renouvelle son exploit de Mahagonny, avec l'absolue maîtrise de la synchronisation des voix, la beauté des couleurs, et en répondant en même temps aux nombreuses sollicitations de la mise en scène. Incroyable de voir ces choristes sauter joyeusement tout en chantant une partition exigeante, sans voir le chef et sans paraître le moins du monde essoufflés !
Les solistes sont impeccables : pureté de la soprano Siobhan Stagg, moelleux de la mezzo Sara Mingardo, élégance et superbes couleurs du ténor Martin Mitterrutzner (j'avais beaucoup aimé son Don Ottavio à Vienne) et autorité de la basse Luca Tittoto, auxquels se joint le jeune Chadi Lazreq à la voix cristalline.
L'orchestre accomplit un travail remarquable de précision, de teintes délicates, avec des cordes souples et des vents mordorés, un trombone péremptoire pour le Dies Irae.
Bravo à Raphaël Pichon, qui a si bien su donner vie à cette musique, lui donner un tel poids toute la soirée. Un maître d'œuvre, et je pèse mes mots.
Une soirée inoubliable donc. Avec le bouleversant Jakob Lenz, mes deux spectacles préférés du cru 2019.
Luca Tittoto |
Martin Mitterrutzner, Siobhan Stagg |
Raphaël Pichon |
What a beautiful show! It seems very accurate to Mozart's fine music.
RépondreSupprimerGreat article!
Annie
Thanks for your kind message, Annie!
SupprimerVisiblement une splendide représentation ! Je vais essayer de voir ce spectacle sur internet. Cel donne vraiment envie !
RépondreSupprimerMerci beaucoup.
Pierre
C'était absolument superbe. Vous me livrerez vos impressions, j'espère !
SupprimerMerci, Pierre.