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lundi 22 juillet 2019

Festival d'Aix : Tosca



Après les échappées, devenues rituelles, au Théâtre du Jeu de Paume pour Les Mille Endormis et au Grand Théâtre de Provence pour Mahagonny, Jakob Lenz, et le superbe concert Rihm / Mahler, je retrouve le lieu emblématique du Festival, le mythique théâtre emménagé chaque année dans la cour de l'Archevêché.







Cette année, le nouveau directeur a choisi de représenter, pour la première fois, un des musts du répertoire lyrique, Tosca. Un vrai défi.


Mettre Puccini en scène

Je considère que représenter les opéras de Puccini est un vrai challenge pour un metteur en scène. Par mettre en scène, comme je l'ai souvent exposé sur ce blog, j'entends révéler des aspects dissimulés de l'œuvre, lui donner un sens, proposer une vraie lecture. Je pense que le travail de mise en scène est une interprétation, au même titre que pour le comédien, le chanteur ou l'instrumentiste.

Cela n'a rien de commun avec le simple suivi des indications de l'œuvre, des didascalies, des décors ou des accessoires. Sous le fallacieux prétexte de respect de l'œuvre, terme bien mal compris à mon sens, certains se réfugient dans une navrante convention. Si je sors de la représentation sans avoir rien découvert, j'estime que le contrat n'est pas rempli.

Chez Puccini, la tâche est particulièrement complexe.

Certes, Turandot, fable extrêmement bien construite, possède suffisamment de matériau pour autoriser des lectures multiples ; encore que beaucoup de metteurs en scène se contentent du spectaculaire bric-à-brac orientaliste en évitant le vrai sujet, la peur d'une jeune fille de devenir femme.

Cependant, dans les autres œuvres les plus fameuses du compositeur, La Bohème, Manon Lescaut, Madama Butterfly et donc Tosca, c'est une autre affaire. Ces opéras campent des personnages bien dessinés, suscitent l'émotion chez le spectateur, mais leur structure me paraît plutôt horizontale ; c'est difficile d'y voir une multiplicité de strates. Leur qualité narrative vient de leur simplicité.

Malgré l'efficacité du livret, et Tosca est bien un formidable thriller à cet égard, nous sommes loin de l'épaisseur de certaines œuvres. J'ai bien conscience que je risque l'autodafé en écrivant cela, mais Victorien Sardou n'est pas Shakespeare…

Ce n'est donc pas surprenant si beaucoup de théâtres conservent à leur répertoire des productions simplement illustratives et bien anciennes, comme la Tosca de Margarita Wallman à Vienne, inaugurée en 1958, ou la Bohème de Zeffirelli, de 1963. Elles mettent des images sur le récit sans chercher à interpréter quoi que ce soit.

Avec Tosca, le sujet principal est le bouleversement de l'histoire d'un couple par la grande histoire. Une fois qu'on a éclairé le conflit révolutionnaire en déplaçant l'époque et / ou le lieu, qu'en faire ? J'ai vu des versions au début du XXe siècle, dans l'Allemagne du IIIe Reich, dans une vague guerre au Moyen-Orient. C'est très bien, mais le sujet a été épuisé depuis longtemps.

A presque ma centième représentation de cet opéra, j'ai aussi vu une Tosca complètement abstraite dans un décor de cubes, qui ne fonctionnait pas du tout, une version "polar" assez efficace, et assez souvent la production de Schroeter à l'Opéra Bastille, datant de 1994, qui finit par sombrer dans une routine désespérante.

Donc parvenir à proposer une nouvelle lecture, une des missions que s'est donné le Festival d'Aix depuis l'ère Lissner (sans doute sa marque de fabrique), est particulièrement ardu avec cet opéra. On ne vient pas ici pour voir le spectacle mille fois revu, avec ses passages obligés, le portrait avec les yeux de l'Attavanti, le Te Deum spectaculaire, le couteau sur la table et le saut de l'héroïne avec ou sans trempoline.

Je ne peux que féliciter Christophe Honoré de s'être lancé dans cette mission quasi-impossible, et de proposer un spectacle entièrement novateur. J'avais beaucoup apprécié son Cosi sur cette scène en 2016 !

La solution Honoré



L'idée de Christophe Honoré, c'est de tirer parti du statut de cantatrice de Floria Tosca pour mettre l'œuvre en abîme. L'action est incluse dans un cadre plus large, qui nous raconte la passation de flambeau entre une cantatrice de légende et sa jeune collègue.

Les décors, d'un réalisme stupéfiant, exploitent les rigides contraintes de la scène (en incluant même la sculpture murale, devenue une fontaine) pour recréer la villa d'une diva ; c'est elle le vrai personnage, l'héroïne d'un reportage qu'on vient tourner. De jeunes chanteurs viennent rencontrer la diva et se mesurer à la partition. Ce tableau de workshop est réussi et rappelle un peu l'équipe du premier acte de Ariadne auf Naxos.


Au second, le ténor s'enivre dans la cuisine et doit aller se coucher pour cuver, et c'est là qu'il s'époumenera pendant la scène de torture. Scarpia vit l'intense face-à-face avec Tosca sur le canapé. Pendant ce temps, la vénérable cantatrice s'agite en robe d'intérieur, bandeau assorti.
Lors du Vissi d'arte, les écrans au-dessus de la scène déroulent une galerie de grandes interprètes, Maria Callas, Régine Crespin ou Raina Kabaivanska, plus évidemment Catherine Malfitano.



Stupeur au troisième acte : l'orchestre est passé sur scène, et nous assistons à une version de concert. Après avoir interprété la partition du pastore derrière une maquette du Château Saint-Ange, la diva grimpe au-dessus de la scène et s'effondre, morte. Le flambeau est passé à son élève, elle a joué son rôle et n'a plus rien à apporter.

Alors, le verdict ? Le gros problème que je vois ici est que cette lecture dégage une thématique finalement très secondaire de l'œuvre, la dimension artistique, en écartant la vraie problématique. La dimension révolutionnaire est totalement expulsée, et la relation de Tosca avec les deux hommes change de perspective. Si elle est jalouse de Mario, c'est ici parce qu'il s'intéresse plus à la diva du passé, et le duo avec Scarpia fait davantage songer à une scène de harcèlement à porter devant les tribunaux. Les personnages en sortent réduits et privés de leur statut.

Les péripéties du livret sont également évacuées (pas de peinture mais un éventail subitement déniché) et le troisième acte perd toute narration. On comprend pourquoi Honoré a choisi cette solution, mais franchement, c'est bien faire peu de cas de l'artiste lyrique que de lui donner comme finalité la version concert. Dans cette perspective, il aurait été plus logique de nous montrer un décor à l'ancienne avec des toiles peintes. La diva avait bien remis à son élève une robe façon Callas 1965...

Une mise en abîme qui rappelle un peu la Bohème dans l'espace de Guth, mais qui renonce à tous les enjeux de l'œuvre. J'admire l'originalité du propos, mais à aucun moment il ne me convainc. Je sors sans avoir eu l'impression d'avoir assisté à une représentation de Tosca.

La distribution du soir



On prend plaisir à la qualité des seconds rôles. Si Michael Smalwood campe un Spoletta hors norme avec une voix un peu  nasale et un accent exotique, on ne peut que féliciter le franc Carceriere de Virgile Ancely et le Sciarrone solide de Jean-Gabriel Saint-Martin.


L'excellent Sagrestano de Leonardo Galeazzi, truculent comme il se doit, côtoie Simon Shibambu, dont la basse ronde et sonore m'a marqué ce soir (alors que je ne l'avais pas spécialement repéré dans la Adriana Lecouvreur de Covent Garden).

Belle équipe donc.


J'étais assez étonné de voir Alexey Markov, magnifique baryton du Mariinsky (un splendide Oniegin notamment) distribué en Scarpia. J'attends dans ce rôle une autre vocalité, avec une autre assise grave et beaucoup de noirceur dans la voix.
Pas de surprise. Un excellent chanteur mais pas un Scarpia, à qui il manque ici le mordant nécessaire.


Même étonnement avec Joseph Calleja. Encore un splendide artiste, prince des demi-teintes, souverain de la ligne menée tout en legato, et un chanteur à l'opposé de ces brailleurs qui se sont trop souvent illustrés dans le rôle ; mais est-ce un Mario ? Je n'en suis pas convaincu, d'autant plus que ce soir, les aigus partent à l'arrière et le souffle manque de longueur.


La Mimi d'Angel Blue m'avait semblé très intéressante, et j'étais très curieux de voir comment elle allait s'emparer du rôle.
C'est une chanteuse très prometteuse, avec une voix riche et longue, qui sait gérer avec une technique solide les problèmes du rôle. Mais je reste persuadé que cette prise de rôle intervient beaucoup trop tôt dans sa carrière. La caractérisation, l'accentuation, la déclamation font défaut.
A réentendre dans une dizaine d'années !


Après tant de déceptions, j'ai heureusement apprécié l'orchestre, racé et éclatant, et encore plus la baguette de son chef Daniele Rustioni, le seul à maintenir le drame. Sans cesse il relance le discours, ne lâche jamais la tension, fait miroiter les solistes. Un vrai travail de maestro.

Un dernier mot pour le choix de la diva, ici omniprésente. C'est une curieuse option d'avoir engagé Catherine Malfitano, que j'ai entendue une dizaine de fois et qui était tellement peu diva. C'est vrai que précédemment une autre avait été pressentie, mais elle s'est retirée par crainte de la mise en scène. Mais c'est un plaisir de la voir aussi heureuse d'être là, fêtée et saluée par tous. Et évidemment, je suis enchanté de la rencontrer de nouveau.

Simon Shibambu

Leonardo Galeazzi et madame

Virgile Ancely

Daniele Rustioni

Angel Blue

Michael Smallwood

Jean-Gabriel Saint Martin

Catherine Malfitano

4 commentaires:

  1. A strange performance. But your article is more captivating, because you explain your choices. The first part is really excellent!
    Annie

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  2. Vous ouvrez là un débat passionnant sur la mise en scène, plus captivant que la critique elle-même.
    Vous semblez vraiment aimer la discussion, la vraie, avec échange argumentatif.
    Merci pour cette richesse intellectuelle !
    Pierre

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    Réponses
    1. Je pense que discuter un point est finalement plus riche que faire valoir son point de vue. L'esprit y gagne toujours ! Merci, Pierre, pour ce chaleureux commentaire.

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