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samedi 20 juillet 2019

Festival d'Aix : Les Mille endormis


Une œuvre nouvelle



Le festival d'Aix a commandé au librettiste Yonathan Levy et au compositeur Adam Maor un opéra qui serait créé lors de cette édition 2019.

Ils ont choisi de nous raconter le présent sous forme de parabole, en puisant dans le contexte actuel mais en le détournant en utilisant le conte. Forme féconde dans la littérature comme dans le répertoire lyrique ; je pense notamment à Turandot ou à Zolotoy Petushok, Le Coq d'Or, un chef-d'œuvre trop rare dans nos contrées. Le titre avec son hyperbole mille, nombre mythique, ne saurait tromper le spectateur.



Mille détenus palestiniens se sont lancés dans une grève de la faim. Pour éviter d'attirer l'attention internationale sur cette situation "embarrassante", le premier ministre choisit de les endormir artificiellement. Cela provoque une conséquence inattendue : le peuple israélien devient victime d'insomnies. Qu'à cela ne tienne, le ministre enverra une émissaire dans l'univers des rêves. A la fin de la parabole, celle-ci redécouvre l'humanité. Dernière phrase : « Il n’est d’autre patrie que l’espace entre une âme et une autre. » Nous ne sommes plus dans le conflit ancré dans le présent, mais dans un récit qui s'encre de l'universalité, comme dans tout bon livret d'opéra.


La musique est extrêmement savante, avec une large partie électro-acoustique (merci à l'irremplaçable Ircam, partenaire fidèle de ces aventures-là), un petit ensemble instrumental très sollicité. L'écriture méticuleuse avec ses micro-intervalles  n'oublie pas l'Orient et ses mélismes, et la voix est utilisée de multiples manières, avec des effets de bouche fermée ou des sons non vocaliques. La tradition hébraïque est présente avec des psalmodies et une scène rappelle franchement les cantors.

L'ensemble crée une partition dont on mesure très vite l'exigence mais très intéressante, évocatrice, qui m'a captivé tout de suite.

Production maison



Le librettiste a aussi assuré la mise en scène. L'espace se déploie sur trois plans. A l'arrière, un dispositif vermillon accueille une vingtaine de figurants, les endormis. On m'avait proposé d'en être et j'aurais bien tenté l'expérience si j'avais eu une date de libre ! Mais plusieurs de mes amies en font partie, dont Marie-Claude ce soir.

Au centre, un plan incliné délimite le bureau du ministre, et son meuble principal servira à l'endormissement de Nourit, l'attachée du ministre promue en espionne des rêves. C'est à l'avant-scène que le cantor viendra déclamer sa mélopée. Ajoutons des références multiples, une lune rêveuse, des projections de film d'animation qui renvoient à la pop culture.

Les personnages, très individualisés par leur costume (Nourit porte évidemment un orange ici associé au sommeil), sont au début des créatures déshumanisées, comme automatisées. L'énergie puissante que l'œuvre dégage s'insinue peu à peu.


L'interprétation



La performance musicale est particulièrement méritoire. Un des musiciens m'a indiqué que la musique était encore modifiée à quelques jours de la première… Cela m'a rappelé tout de suite Mozart ou Rossini terminant l'écriture peu avant la représentation. Musiciens précis et probes, dirigés par Elena Schwarz, une ancienne de l'Académie comme tous les artistes présents ici, qui sculpte le son avec une direction méticuleuse.


La basse David Salsbery Fry frappe par son ancrage dans les graves et son émission impressionne par ses couleurs caverneuses.  De son côté, le ténor Benjamin Alunni interprète trois rôles en variant sans cesse les couleurs, et son interprétation en cantor est saisissante.


La soprano Gan-ya Ben-gur Akselrod, que j'avais entendue en Elvira au Capitole de Toulouse, utilise une voix qui ne me semble pas immense en tirant parti de ses couleurs et de la rondeur du timbre. Elle phrase avec beaucoup de précision la ligne vocale.


Tomasz Kumiega s'engage totalement dans son rôle de ministre, en n'hésitant pas à le caricaturer avec des frissons, un jeu de marionnette fébrile, et en lui prêtant ses magnifiques couleurs de baryton. Une vraie performance d'un artiste que je n'avais entendu que dans des petits rôles à l'Opéra Bastille, comme son Garde Forestier de la dernière Rusalka.


 Comme tous les spectateurs avec qui j'ai échangés en sortant, je sors enchanté de cette passionnante découverte. Longue vie à cette création !

Benjamin Alunni

Tomasz Kumięga

Gan-ya Ben-gur Akselrod

Yonatan Levy
David Salsbery Fry

4 commentaires:

  1. Great review by our favorite specialist!
    Congrats
    Annie

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    Réponses
    1. Specialist... Hmmm... Not really! But I am very proud of your comment, Annie!

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  2. Je m'inquiétais de ne pas voir vos habituelles chroniques de spectacle de juillet. Tout va bien donc !
    Cette représentation avait l'air très intéressante. J'espère une reprise parisienne !
    Merci pour votre analyse éclairée, comme toujours.
    Pierre

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le rythme soutenu m'a laissé peu de temps pour produire mes articles... Je cours sans cesse pour rattraper mon retard !
      Merci, Pierre.

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