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lundi 13 septembre 2021

Paros : le Musée Byzantin

 

Le Musée Byzantin de Paros présente, à côté de la basilique Panaghia Ekatontapyliani, une petite collection de magnifiques icônes, parfois surprenantes. Quelques détails au passage sur l'iconographie de Saint Georges, que je voulais glisser depuis un bon moment dans un article...


Sans prétendre égaler la richesse du Musée Byzantin d'Athènes,  les quelques petites salles contiennent une collection tout à fait respectable qui mérite la visite !

Iconostase et éléments de procession

La grande iconostase en bois est un peu déconcertante ; elle semble mêler un art populaire dans les encadrements et les frises à un art de l'icône guère traditionnel.

Sur les vantaux de la porte, l'Annonciation coutumière a fait place à un Christ, sans doute accompagné d'une Vierge disparue. La peinture est assez rudimentaire dans les vêtements ou la main alors que le visage présente  un modelé plus soigné qui apporte beaucoup de douceur.

Cette Vierge de la Passion provient du monastère de Charalambos et date du XVIIIe siècle. Elle obéit à une structure canonique très précise. Une sandale pend du pied de l'Enfant qui se détourne vers la droite ; au-dessus, un ange présente la Croix, symbole de la Passion.

Présente dans le Livre de Ruth, la coutume hébraïque consistait à donner sa sandale pour conclure un marché. Ici il s'agit de la rédemption, synonyme de rachat. Par la Passion, Jésus rachète donc l'humanité perdue. Il agrippe la main de la Vierge mais il se retourne vers l'importance de la mission. Il m'a fallu quelques recherches pour trouver le sens de cette sandale qui me turlupinait !

Même époque et même provenance pour cette icône qui représente les populaires saints soigneurs, Cosme et Damien. Ces deux Arabes pratiquaient bénévolement la médecine et étaient très respectés de leur vivant, et ils furent victimes du préfet de Cilicie lors des persécutions de Dioclétien. Ils sont patrons de la chirurgie et de la médecine.

Une Vierge en trône du XVIIIe siècle, avec Jésus sur les genoux. Les carnations semblent presque noires mais je suppose que les coloris se sont assombris. Le trône et le coussin sont représentés avec un grand luxe de détails.

Une image de procession qui crée une sortie du cadre comme je les aime. C'est évidemment la Résurrection, avec les soldats endormis et le Christ qui jaillit du sarcophage et se dresse au-delà de l'encadrement doré, suscitant l'émoi du chefaillon à droite prompt à dégainer l'épée.

Cette image semble faire la paire avec la précédente mais est parvenue en moins bon état. La mise en valeur du Christ est réalisée avec le même principe de la silhouette découpée.


Christ Pantocrator du XVIIIe siècle, dont la partie basse a souffert. Il reste assez pour mesurer cependant la qualité de la peinture. Ce Christ un peu étriqué, un peu modeste, montre cependant un visage concentré et déterminé.

Ce Christ Pantocrator date de la même époque mais il est complètement différent : trône en panneaux de marbre coloré, Christ beaucoup plus ample, large et majestueux. La présence du tétragramme, les quatre symboles des Évangélistes, me semble assez rare dans la tradition de cette image.

Christ en gloire, toujours de la même époque. Les très beaux visages (du Christ et des Séraphins au-dessous, de part et d'autre) me paraissent renvoyer à la peinture européenne.

Trio d'icônes dans un état imparfait ; Nativité, Vierge à l'Enfant, Saint (e ?) que je n'identifie pas.

Deux vantaux d'une iconostase et quelques croix peintes, avec une indéniable unité stylistique.

Malgré une certaine gaucherie, l'artiste a tenu à souligner la splendeur des tissus. La robe brodée de fleurs, au premier plan, n'est pas moins riche que les étoles aux fils d'or.

Le cartel se contente de parler d'une Vierge avec huit saints du XVIIIe siècle. Je peux au moins identifier Saint Georges à gauche et Saint Démétrios (Dimitri) à droite, deux cavaliers spécialistes du coup de lance. Je reviendrai sur ces deux personnages... 

L'artiste a joué du contraste de la partie centrale pour mettre en valeur les éléments dorés et cela marche magnifiquement, alors que les visages sont bien mieux peints que le trône.

Saint Georges, histoire d'une légende

Un Saint Georges du début du XVIe siècle, à terre pour une fois, qui a pris position sur le monstre fraîchement abattu.

Ce Georges-là est un personnage historique, né en Asie Mineure (en Cappadoce plus exactement) vers 280, qui fit carrière dans l'armée romaine. Dioclétien le promut responsable de sa garde personnelle et même préfet. A Lydda, il combattit et tua un brigand perse, Nafr, qui terrorisait la région en attaquant les soldats romains et en imposant aux habitants une taxe exorbitante de deux brebis par jour. Il fut cependant condamné par le persécuteur Dioclétien pour sa foi chrétienne et soumis à de nombreux supplices, sans doute développés par l'hagiographie. Il fut finalement décapité à l'âge de vingt-deux ans.

Il est vénéré presque aussitôt et son culte passe des Chrétiens d'Orient à ceux d'Occident. Clovis fonde un monastère de Saint Georges dès le Ve siècle ! C'est un des saints dont le culte est le plus ancien donc.

Le nom du brigand, Nafr, signifiait " dragon ", ce qui explique la scène la plus fameuse de son iconographie. La Légende dorée a enrichi le récit avec la princesse, ce qui nous a offert de merveilleuses peintures, comme celle, fabuleuse, de Pisanello à Sant'Anastasia de Vérone.


Évidences et mystères

Nativité du XVIe siècle avec de grands aplats colorés qui privilégient les masses au détriment des détails. La scène du bain, en bas à droite, me semble une variante de l'ordinaire. On dirait que la dame se fait verser de l'eau sur la main, comme pour se purifier.

Si on regarde trop vite, on confond Démétrios (Dimitri) avec Georges, deux cavaliers en tenue de combat à l'antique qui donnent un coup de lance. Mais dans l'iconographie, Démétrios de Thessalonique pourfend un soldat, souvent un soldat romain, parfois le gladiateur Lyaeos responsable de la mort de plusieurs chrétiens. Sa biographie semble également enrichie de détails fantaisistes mais il s'agit encore d'un personnage historique, vénéré tout de suite après sa mort sur les lieux de son martyre.

Il me semble me rappeler aussi que le destrier de Georges est tourné vers la droite et celui de Démétrios vers la gauche !

Saint Jean Baptiste, sur cette icône du XVIIe siècle, porte bien la toison (on la repère bien aux genoux) mais la robe brune semble le parer comme un ange ailé ; c'est sans doute l'intention de l'artiste et je ne connais pas cette tradition picturale. 

Autour de lui, des scènes de sa vie dont le Banquet d'Hérode, en haut à gauche. Mais, ô surprise, impossible de trouver ici le Baptême. Ça, c'est une première  dans un cycle consacré à ce saint !

Ce Saint Basile du XVIIe siècle provenait de la Panaghia Ekatontapyliani. Il s'agit de Basile de Césarée, qui fonda un monastère en Asie Mineure. La règle qu'il créa fut reprise par Saint Benoît, mais ce fut aussi un personnage proche des pauvres, impliqué dans l'amélioration de la vie des civils.

Icône du début du XVIIIe siècle à deux registres. En haut, deux personnages s'ajoutent à la Vierge et à Saint Jean, apparemment une femme et un soldat. Au-dessous, la Vierge en trône s'entoure également de deux saints. Ni le cartel ni moi ne parvenons à une identification !

Autour de Dieu dans sa nuée, deux saints du monde orthodoxe, deux Romains ; on reconnaît Démétrios, à droite (personnage mort, cheval vers la gauche) et celui de gauche n'est pas Georges mais Artemios (Artème d'Antioche), qui se débarrasse d'un diable. 

Ce général romain fut exécuté sous le règne de Julien. C'est un des rares Ariens à être fêté : l'arianisme, théorie qui sépare Dieu de Jésus, fut vigoureusement combattu et considéré comme une hérésie.

Il reste également connu comme un  destructeur d'idoles, et son zèle à brûler les statues et à dévaster les mithraea (les lieux où on vénérait Mithra) demeure un élément majeur de sa biographie. Apparemment cette représentation serait une rareté. Mais c'était un proche de Saint Georges, ce qui est peut-être le trait mis en valeur ici. 

Un Saint Georges du XVIIe siècle agrémenté de deux minuscules personnages, l'un sur la croupe et l'autre sous la tête du cheval.

Bien curieuse version de la Nativité de la Vierge, de la fin du XVIIe siècle. On assiste au bain, au premier plan, où l'eau versée forme des volutes. Le bébé est tenu par une servante en robe rouge. A gauche, serait-ce Marie un peu plus grande ou une servante ?

Au second plan, le personnage en vermillon serait logiquement sa mère, Anne, peut-être sur un lit qui aurait posé des problèmes au peintre... Les tentures pourpres, le coussin vert pourraient correspondre.

Plus étrange est encore cette table dressée qui prolonge le "lit" ; aucune représentation semblable ne me vient à l'esprit pour cette scène.

Quatre personnages à l'arrière-plan, dont un entrant juste par la porte. A gauche, une sorte de caisse, légèrement ornée, retient l'attention du personnage en rose. Un berceau me semble peu probable ; la forme rappelle un cercueil mais je ne vois vraiment pas ce qu'il ferait ici. Les ornements se retrouvent sur les côtés de la table, mais je pense qu'il s'agit surtout d'une unité stylistique plus que d'une signification particulière.

Qui est l'homme en robe ocre, plus grand que tous les autres personnages ? Joachim, le mari d'Anne ?

En général, la scène est fixée sur le texte du Protévangile de Jacques, un texte apocryphe du IIe siècle qui aurait été écrit par un frère de Jésus, et elle varie peu. Ici, c'est une série de mystères...


Icône du début du XVIIIe siècle, la Présentation de la Vierge au Temple. Encore une scène tirée du Protévangile de Jacques, qui a largement comblé les béances de la vie de Marie. Anne et Joachim amènent leur fillette au Temple de Jérusalem, où elle restera jusqu'à l'âge de douze ans.

On voit ici les deux scènes : l'arrivée de Marie, sitôt bénie par le grand-prêtre, et nous la retrouvons seule dans le temple, tout en haut.

Ici le prêtre est auréolé alors que les représentations occidentales l'ont souvent représenté avec des attributs juifs, principalement le chapeau caractéristique.

Icône du XVIIIe siècle, Basile avec trois hiérarques, de hauts dignitaires de l'église, portraiturés en haut. Signe distinctif, il tient toujours un livre à la main. La Bible vraisemblablement, peut-être le texte de sa règle.

Une icône structurée en plusieurs scènes : méditation dans la grotte, rôle dans le monastère et finalement deux issues contrastées : précipitations dans l'Enfer provoquée par des diablotins ailés et accueil dans le firmament au sommet de l'échelle céleste. Palette vive et lumineuse dans ce traitement d'un riche thème de l'imaginaire médiéval.

Un Christ Pantocrator de la première moitié du XVIIe siècle,  réalisé avec beaucoup de soin. Le traitement bien dosé de l'ombre et de la lumière apporte évidemment beaucoup de relief, et l'emploi de complémentaires (vert/rouge par exemple) fait éclater le chromatisme.

Icône tardive, de 1833, où la Vierge est comparée à une rose qui ne fane pas. Le style me rappelle beaucoup plus le XVe allemand que le XIXe siècle, mais c'est un beau travail avec des couleurs rayonnantes, bien contrastées.

La Vierge à la rose est un thème récurrent également en Occident, souvent pour rappeler l'amour universel. On l'a aussi associée au buisson de roses ; je pense notamment aux gothiques allemands et à un splendide retable de Botticelli aux Offices.

Saint Georges encore et son coup de lance fatal dans cette icône de la seconde moitié du XVIIIe siècle. On voit combien la représentation est codée, les positions, le geste, et même le mouvement de la cape.

Magnifique Annonciation, exécutée aux alentours de 1600. Le peintre conserve les codes en usage mais s'efforce d'apporter du mouvement à l'ange Gabriel, du volume à ses tissus, de l'éclat à la palette. On n'est pas loin des grandes icônes russes.

Comme dans la religion grecque, on a conservé l'usage des offrandes votives. Le cœur ardent (Sacré-Cœur) côtoie personnages sommaires et même des animaux.

Architectures en miniature

Les objets liturgiques de grand format, réservés au culte ou aux processions, reproduisaient souvent des églises avec leur coupole. Avec l'or généreusement dispensé et la peinture de saints, on reste proche de l'art de l'icône. 

Si un lecteur érudit peut m'aider à résoudre les mystères, ce sera avec grand plaisir ! 

6 commentaires:

  1. Article passionnant, une fois de plus.
    Irremplaçable blog, érudit et cultivé, qui nous emmène parmi les merveilles des musées du monde.
    Merci et bravo.
    Alexis

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    1. Merci infiniment, Alexis, pour ce message enthousiaste et chaleureux !

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  2. Belles icônes et commentaires passionnants !

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  3. Très belles icônes. Vous dites que vous ne savez pas grand chose mais vous en connaissez un rayon ! En tout cas, ça éclaire ma compréhension de ces oeuvres.
    Merci et bravo !
    Guyliane, Bruxelles

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    1. C'est très gentil à vous et tout à fait immérité, mais je vous en remercie, Guyliane. Je tente toujours de faire de mon mieux avec le peu (hélas, mais c'est vrai !) que je connais.

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