La basilique de la Panaghia Ekatontapyliani ou Katapoliani, à Parikia, est une des plus grandes et des plus anciennes de tout l'Orient orthodoxe. Une église absolument exceptionnelle, et je pèse mes mots.
Deux noms pour une basilique paléochrétienne
L'église est entourée d'un long mur, de plus de deux cents mètres. L'enceinte abrite notamment l'évêché de Paronaxie, l'unité Paros-Naxos. C'est à l'intérieur, comme dans les structures des anciennes églises romaines, que se niche la basilique, un joyau exceptionnellement conservé, rarissime témoignage de la période paléochrétienne.
L'église porte deux noms qui ont également cours.
Ekatontapyliani, c'est la basilique aux cent (ékato) portes (pyliai) ; une légende prétend que l'église possèderait quatre-vingt dix-neuf portes apparentes et, lorsque la centième, une porte dissimulée, serait ouverte, Constantinople serait reconquise. Ca me paraît une hyperbole, vraie de vraie, et le nombre est trop parfait pour être réel.
Katopoliani, c'est celle qui se trouve en contrebas (kato) de la ville (polis), ce qui fait référence à sa position par rapport à la ville médiévale, enserrée dans ses remparts.
Quant au terme Panaghia ou Panagia, c'est une des désignations de la Vierge dans l'univers orthodoxe.
En 313, Constantin autorise officiellement le christianisme, qui se répand comme une traînée de poudre dans toute la Grèce. On transforme quelques temples en églises mais on détruit beaucoup, partout... En revanche, on construit avec tout autant d'ardeur, et il nous reste finalement très peu de témoignages de ces premiers siècles. Cette basilique de Parikia est exceptionnelle à plus d'un titre.
Son origine repose sur une légende : Hélène, la mère de Constantin, se rendait à Jérusalem en quête de retrouver la Croix de la Crucifixion. Lors d'une tempête, elle se serait arrêtée à Paros, dans une petite église et aurait fait le serment d'en édifier une plus grande si elle menait son projet à bien. Légende qui connaît des variantes, avec un rêve prémonitoire, mais qui se poursuit par le décès d'Hélène avant la construction de la basilique, qui doit être menée par Constantin. On parle aussi d'une construction dédiée par l'empereur Justinien. Autre version encore, c'est un élève de l'architecte de Sainte Sophie de Constantinople qui l'aurait construite, et l'élève et le maître seraient tombés depuis la galerie pendant un différent.
Finalement, les seules certitudes concernent les deux bâtiments les plus anciens, le baptistère et la chapelle Saint Nicolas, du IVe siècle. La basilique elle-même n'a pas été reconstruite avant le VIe siècle, ni après le IXe.
On sait également qu'on a réemployé massivement des constructions antiques : plus de deux mille cinq cents blocs, chapiteaux, futs de colonne et autres ont été réutilisés, souvent sans modifier leurs inscriptions.
La façade est percée de trois arcades qui donnent accès à l'exonarthex, cette zone de transition protégée avant de pénétrer dans la nef.
La fresque est partiellement conservée : c'est une Vierge Nikopoios (=de victoire), dont la tête touche presque le sommet. Elle présente sur sa poitrine un cercle, en fait une image du Christ.
La nef
L'église de l'époque de Constantin comprenait un toit en bois et une tour surmontée d'une dôme et fut reconstruite sous le règne de Justinien, le fameux empereur byzantin qu'on voit dans la mosaïque de San Vitale, à Ravenne.
L'actuelle entremêle deux plans connus : celui de la basilique en forme de croix avec un dôme et celui de l'église à plan centré, avec un dôme également.
Les Vénitiens, durant leur longue domination, avaient transformé l'intérieur selon les codes baroques. Au début des années 1960, le professeur Orlandos entreprit la restauration pour faire disparaître tout ce décor et retrouver l'édifice byzantin originel.
L'église présente donc des murs intérieurs peu ornés, presque austères, car les fresques n'ont pas résisté aux repeints et aux couches de chaux, atteignant trois centimètres d'épaisseur. On n'en voit que quelques fragments épars. Des séraphins parent les pendentifs de la coupole.
Les colonnes, traditionnelles dans la basilique, supportent une longue galerie qui court tout autour de la nef, et ne s'interrompt qu'au niveau de la chapelle axiale.
Je n'ai trouvé aucune information sur l'immense lustre de métal ouvragé, dont la facture me semble bien orientale.
L'iconostase est beaucoup plus tardive et date du XVIIe siècle, tout en réemployant des éléments antiques et notamment les colonnes. C'est une réalisation qui date de la période vénitienne, et qui a été conservée avec raison tant elle s'accorde avec la nef.
On retrouve les personnages traditionnels de la Crucifixion, ici séparés : la Vierge et Saint Jean encadrent la Croix, supportant le Christ, version Christus dolens (le Christ mort).
L'iconostase présente une série d'icônes du XVIIe siècle, recouvertes d'argent au XVIIIe siècle par Nikolaos Mavrogenis. Ce dernier, né à Paros, devint souverain de Valachie (la Roumanie actuelle), amena l'eau potable à Bucarest, fut enlevé par les Autrichiens et finalement décapité par les Ottomans, ses protecteurs, pour trahison !
L'iconostase vénitienne est d'une remarquable finesse. Le terme de dentelle de pierre paraît s'appliquer parfaitement.
C'est une incroyable série de variations autour du végétal, avec feuillage, fleurs, grappes de vigne...
L'Annonciation occupe la place coutumière, sur les vantaux des portes. Je repère un net souci de réalisme avec une mise en perspective (certes inversée par rapport à notre vision courante) et une représentation de bâtiments.
A l'arrière, on a dressé un second crucifix.
Un véritable trône !
Le lendemain, mon billet au Musée Byzantin me donne accès à la galerie, ce qui me procure une autre regard sur la nef. L'entrée est curieusement extérieure au bâtiment.
La première partie se trouve au-dessus de l'exonarthex et ses fenêtres à gauche sont donc celles de la façade.
Les fragments de fresques sont vraiment réduits à bien peu.
Je visitais la veille au soir, me voici au matin. L'éclairage est différent et ne met pas les mêmes détails en valeur.
On peut voir depuis la galerie l'arrière de l'iconostase ; je n'avais pas du tout repéré ces fresques hier. Elles détaillent un cycle de la Vierge, ce qui est logique puisque la basilique est dédiée à la Dormition de la Vierge.
C'est l'occasion, vraiment rarissime, de voir ce qui est toujours caché, et c'est bien étonnant. Les personnages découpés se dressent sur des piques pour être visibles depuis la nef. Cette structure en demi-cercle, comme celle d'un théâtre antique, est encore plus inattendue. C'est l'équivalent des stalles, un lieu de prière pour les religieux : le synthronon, où siège l'évêque.
Et voilà un côté "service" pour les préparatifs du culte.
Vue d'en haut, voici une cérémonie qui se tient, étrangement, juste à l'entrée.
La chapelle Saint Nicolas
La partie la plus ancienne est cette chapelle, qui date de la construction constantinienne et donc des années 313-326.
C'est le véritable plan basilical qui est employé ici, sans doute une des plus anciennes conservées de la Chrétienté, qu'on retrouve dans les premières églises romaines comme San Giorgio in Velabro. Trois nefs séparées par les colonnes doriques, un réemploi manifeste.
L'iconostase date du XVe siècle ; pour une fois, pas d'Annonciation sur la porte, finement découpée, mais un trio d'icônes, une Vierge à l'Enfant, un Christ Pantocrator et un Saint Nicolas.
La galerie m'offre une autre vue rare, sur la structure de soutien de la Crucifixion.
Même s'il n'a pas cent portes, le bâtiment est multiple et, autour de la structure principale, s'ouvrent plusieurs chapelles.
Le Baptistère
A l'époque où les non-baptisés n'avaient pas le droit de pénétrer dans l'église, il fallait un baptistère extérieur, comme on peut en voir à Florence ou à Saint Jean de Latran, à Rome.
En outre, le baptême construit la symbolique de la mort (par immersion) et de la résurrection, sous la forme d'un Chrétien. Il était donc courant que les tout premiers baptistères fussent construits sur les lieux d'un martyre, ce qui fut le cas ici.
Voilà la photo de ma seconde visite, lorsque le soleil matinal tombe sur les fonts baptismaux et les met superbement en valeur.
Il s'agit d'un rarissime exemplaire du IVe siècle, à l'époque où les fidèles devaient s'immerger totalement. Le centre est donc creusé dans le sol.
Il ne s'agit pas de fleurs mais de croix, c'est la fameuse histoire du positif/négatif !
Ici, et c'est une surprise, ce sont des pilastres et non des colonnes qui supportent le linteau.
J'ignore totalement si ce linteau décoratif est d'origine et incomplet, ou si on a placé là un bloc d'une autre provenance.
Il me faut ressortir et faire tout le tour de l'ensemble pour avoir une vue sur les chevets, bien séduisante avec les volumes multiples et les toits de tuiles.
C'est vraiment un ensemble rare, qu'on a la chance d'admirer dans un état remarquable. Ça vaut bien la visite à Paros, et je ne peux que recommander vivement de se rendre dans cette exceptionnelle basilique !
Passionnante visite d'une très belle basilique !
RépondreSupprimerRaphaëlle
Merci beaucoup, Raphaëlle, pour ce chaleureux commentaire !
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