Translate

mardi 9 avril 2019

Paris : Lady Macbeth de Mzensk (Opéra Bastille)


J'ai vu à plusieurs reprises Lady Macbeth de Mzensk dans les pays germaniques (jamais en Russie, hélas) mais c'est à l'Opéra de Paris que je dois le plus de représentations de cette œuvre formidable : dans la production d'André Engel avec la direction Chung, inoubliable coup de poing de cette musique et incroyable démonstration des possibilités techniques d'un théâtre  Puis avec Eva-Maria Westbroek, remarquable interprète de Katerina, dans une intelligente mise en scène de Martin Kusej. Je suis ravi de le retrouver dans une nouvelle production de Warlikowski, metteur en scène que j'apprécie beaucoup. Beaucoup plus que de nombreux spectateurs qui huent copieusement ses spectacles !



Nouvelle production signée Warlikowski



Le dispositif fonctionne sur le même principe que le recent Z Mrtvého Domu, De la Maison des Morts : un grand espace fermé sur trois côtés avec un plus petit qui crée un volume intime. Ici, c'est une structure montée sur roues, qui représente d'abord l'appartement de Katerina, qui se déplacera et tournoiera même par la magie de la technique.

A gauche, le magasin des Ismailov est une boucherie industrielle. L'espace nu au début s'emplit progressivement : des carcasses de bœuf entrent en coulissant, suspendues à un rail, et les ouvriers les dépècent sur des tables métalliques. Au troisième acte, le cabaret du mariage reprend ces mêmes tables et au dernier, la structure métallique s'encastre au centre de la cour. C'est là que Katerina poussera sa rivale.
Les projections video complètent le dispositif dès le début, où on voit deux corps voguant dans l'eau, les deux femmes noyées à la fin.
J'ai trouvé énormément d'excellentes idées dans ce spectacle, comme celle de faire relever Boris pendant sa procession mortuaire  ce qui permet de comprendre immédiatement pourquoi son fantôme viendra hanter Katerina. Le meurtre du mari est glaçant, comme dans un film policier hyper-réaliste. Je dois ajouter que la direction d'acteurs est impeccable, extrêmement individualisée, ne négligeant aucun personnage, les faisant interagir sans cesse. Le jeu est tel que les chanteurs donnent l'impression de ne jamais fixer le chef. On y croit de bout en bout. Les scènes d'amour, torrides, sont aussi crédibles que celles de violence, féroces. Du théâtre. Et du bon théâtre.  Évidemment,  ce parti pris de se centrer sur les relations entre les personnages évacue un peu la critique de la société, mais c'est le point le plus couramment montré ; je ne regrette pas un nouvel ancrage.

Et pour une fois, l'équipe de mise en scène ne reçoit que des applaudissements en venant saluer.


Une distribution *****



C'est un opéra de troupe, bien adapté aux théâtres qui disposent d'un "ensemble" comme on dit dans les contrées germaniques, et on peut féliciter la maison d'avoir réuni une telle distribution exceptionnelle. Un certain nombre de choristes sont sollicités dans des rôles épisodiques, et aucun ne démérite.  Sava Vemić montre une solide voix de basse, colorée et puissante  en Officier. Alexander Tsymbalyuk, très sobre dans sa double incarnation du vieux bagnard et surtout du chef de police (rôle souvent plus démonstratif), a également une grande présence vocale, grâce à la richesse de son timbre.


Andrey Popov, vrai spécialiste de ces rôles de ténor de caractère, est idéal en maître d'école tandis que Krzysztof Baczyk campe un impayable Pope visiblement alcoolisé. Deux chanteurs qui côtoyaient Aušrinė Stundytė cet été dans Ognenny Angel, L'Ange de Feu, au Festival d'Aix.

Oksana Volkova, que j'avais entendue au Met en Maddalena, est également très investie pour incarner Sonietka, la bagnarde rivale. Sofija Petrovic projette parfaitement sa voix dans cette grande salle pour composer une Aksinia de haute volée.


Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, l'AEgisth de Vienne, m'a semblé plus en méforme ce soir, et malgré son numéro de balourd miteux, on retient surtout qu'il a eu des difficultés à bien projeter sa voix. Ce n'est pas le cas de John Daszak, dont la projection demeure impressionnante, et qui incarne parfaitement (avec gourmandise, même !) un mari cocu falot. Autre grand succès, le Boris de Dmitry Ulyanov, toujours une remarquable basse (je l'ai entendu plusieurs fois à Marseille), pourtant aux prises avec un rôle particulièrement retors qui réclame de grandes capacités vocales. Exceptionnel sur tous les plans.


C'est également une excellente idée de d'avoir engagé Pavel Černoch. Non seulement il est doté de la voix du rôle, avec une voix puissante et des aigus vaillants et clairs, mais il a le physique du rôle. La mise en scène met d'ailleurs bien en valeur ce personnage de Don Juan de village, et on y croit.


Aušrinė Stundytė est tout aussi phénoménale en Katerina qu'en Renata. Non seulement elle ne recule devant aucune des difficultés de la partition, qu'elle chante avec beaucoup de précision (je pense que c'est la plus respectueuse de la partition de toutes les Katerina que j'ai entendues), avec une endurance impressionnante, mais elle se livre à une incarnation incroyable de théâtre, de vérité, avec rage et passion. Stupéfiante de bout en bout.


La direction d'Ingo Metzmacher, fin connaisseur de la musique du XXe siècle, apporte son lot de surprises. Cette musique de Chostakovitch est surtout connue pour son ironie grinçante, parfois plus proche du théâtre que de la musique  ; d'ailleurs de nombreux bruitages sont intégrés dans la partition, qui parfois commente avec sarcasmes l'action scénique, ou en révèle la signification. Le passage où le sexe masculin redevient flaccide est souligné directement, c'est un moment célèbre.
Metzmacher a choisi de souligner davantage la musique pure, avec des timbres chatoyants, des vents mis en avant, et on trouve finalement beaucoup de lyrisme ici. C'est un choix assez rare pour être relevé !

Il bénéficie des forces maison en grande forme, des cordes de velours, des vents puissants, des percussions musicales, et des chœurs impressionnants d'homogénéité et de puissance.

Un spectacle que je n'oublierai pas de sitôt !

Pavel Černoch


Andrey Popov


avec John Daszak

Ingo Metzmacher

Krzysztof Baczyk

Alexander Tsymbalyuk

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke

Krzysztof Warlikowski

Oksana Volkova

avec Sava Vemic (j'ai l'air d'un nain !)

avec Sofija Petrovic

Aušrinė Stundytė

Le lendemain, Alexander Tsymbalyuk faisant ses courses sur le marché...

6 commentaires:

  1. Unknown opera, once again. But your post is excellent, clever and detailed.
    Congrats!
    Annie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. It is a major piece of the XXth century! Scarcely played in US, not so often in France.
      Thanks Annie !

      Supprimer
  2. Votre article, complet et argumenté, fait regretter de n'avoir pas été là ! Je ne connais pas cette œuvre qui semble peu commune mais passionnante.
    Pierre

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne peux que renchérir, Pierre. J'espère que ce spectacle sera repris lors d'une prochaine saison...
      Merci pour votre chaleureux commentaire !

      Supprimer
  3. Great article ! Thanks for these texts and artists' pictures !
    Congrats
    Sophia

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Thznk you very much, Sophia, for your lovely comment !

      Supprimer

Un grand merci de prendre le temps de laisser un commentaire. Je promets de le lire aussi vite que possible.
N'hésitez pas à signer votre message, ce sera encore mieux : je n'ai AUCUN moyen de connaître votre nom, votre e-mail, ou votre blog.
Si vous préférez que vos coordonnées n'apparaissent pas, mais que je vous réponde en privé, utilisez le formulaire de contact, accessible sur la version web du blog.