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mardi 9 avril 2019

Paris : Otello (Opéra Bastille)


Cette année, l'Opéra de Paris a reprogrammé Otello, un spectacle qui a beaucoup servi. Roberto Alagna a assuré les premières représentations et Aleksandrs Antonenko devait se charger des trois dernières. Mais ce dernier, un des solides titulaires du rôle ces dernières années, traverse actuellement une phase difficile comme cela arrive parfois aux chanteurs. Il s'est retiré après une première représentation houleuse. Qui vais-je donc entendre aujourd'hui ?



L'Opéra a fait appel à Gregory Kunde, qui l'a incarné à plusieurs reprises depuis sa prise de rôle à Venise en 2012.
C'est un chanteur que j'entends depuis mes presque débuts de spectateur. Dans le sud de la France, je l'ai souvent applaudi dans le répertoire de bel canto et d'opéra français qui a constitué sa première partie de carrière, de Nemorino au Comte Ory, en passant par Tonio (avec la dernière Marie d'Edita Gruberova), de Nadir à Des Grieux ou, je crois, son unique Hoffmann.
Dans sa seconde partie de carrière, j'ai été époustouflé par la maîtrise de sa reconversion  et son Manrico ou son des Grieux, version Puccini, m'ont saisi.

Cependant, Otello, ça reste un des emplois les plus exigeants de tout le répertoire, et George Gagnidze, que j'ai croisé hier soir, m'a assuré que Gregory arrivait tard dans la soirée et qu'ils se rencontreraient sur scène. Un raccord est prévu avec le chef, c'est tout.
Tout cela augure d'une représentation sous haute tension, où tout peut arriver, notamment des décalages dans les ensembles.

Production Andrei Serban


Je me rappelle avoir été séduit à la première série, avec Vladimir Galouzine, Barbara Frittoli, et un certain Jonas Kaufmann qui chantait Cassio, par ce décor clair et épuré et de bonnes idées (le ring formé pour la beuverie de Cassio, les plumes de corbeau jetées par Otello autour du lit de Desdemona).

Une quinzaine d'années après, l'esprit de la production a beaucoup vieilli. Ce qui saute aux yeux, c'est le statisme des chœurs et le manque de lecture approfondie. Aujourd'hui  j'espère sortir d'une représentation en ayant découvert un point sur l'œuvre que je n'avais pas remarqué. Ou en ayant été attiré par l'actualité d'une problématique. Rien de tout cela ici.
Je pense que l'heure est venue d'une nouvelle production !

Quel plateau ! 




Les seconds rôles sont extrêmement importants dans Otello qui demande une distribution équilibrée plus que certains. Roderigo ou Cassio, cela n'a rien à voir avec Ceprano ou Ruiz !

Thomas Dear m'a semblé un peu engorgé cet après-midi, moins à l'aise qu'à l'accoutumée en Montano, alors que Marie Gautrot montre beaucoup de projection, de présence vocale et scénique en Emilia. J'ai trouvé aussi Paul Gay moyennement investi en Lodovico, alors que j'ai apprécié ce chanteur dans des rôles plus importants. Il apporte cependant beaucoup d'élégance (sa silhouette de golfeur n'y est pas étrangère) à un personnage parfois confiné aux basses bougonnes.

Frédéric Antoun joue très bien Cassio, personnage délicat qui peut être vite caricaturé, mais j'ai trouvé son registre aigu un peu étouffé cet après midi. C'est tout de même un chanteur que j'ai entendu en Tonio ou Lindoro, où il affichait des aigus rayonnants !

En revanche, j'ai beaucoup apprécié le remarquable Roderigo d'Alessandro Liberatore, excellemment incarné, vocalement très présent.

George Gagnidze est un chanteur probe, qui chante vraiment la partition avec tous les détails, même ceux qui sont souvent négligés. Il incarne un Iago tout d'une pièce, un bloc monolithique dans sa concrétisation du mal. Sa voix, moins sombre que d'autres interprètes, s'accorde bien  avec le timbre de Kunde, et tous deux se renvoient une énergie et un magnétisme enthousiasmants dans un duo d'anthologie.


Hinla Gerzmava gratifie le public d'un grand soprano verdien, à l'aise dans toute la dynamique (puissance et piani de velours) et dans toute la tessiture, de la cave au grenier. Le timbre est toujours superbe et elle sait ce que chanter Verdi veut dire. C'est magnifique de bout en bout. Elle culmine évidemment dans le dernier acte, où la chanson du saule est aussi émouvante que la prière.



Ce qui frappe d'emblée chez Gregory Kunde, c'est la préservation d'un timbre très identifiable et la santé vocale. Le grave est un peu plus discret, comme chez la majorité de ses collègues dans le rôle, mais l'aigu est large, puissant et ardent, le vibrato maîtrisé. La science belcantiste accumulée durant sa carrière variée lui autorise une extrême probité face à la partition. On ne perd pas un grupetto, ce qui est rarissime.

 Il expose une très large palette de couleurs qui lui servent à composer un personnage complexe, jusqu'à un Niun mi tema poignant comme rarement.

Ce qui m'a paru le plus extraordinaire, c'est à la fois sa capacité à interagir avec ses partenaires (les scènes avec Desdemona sont du vrai théâtre) mais encore plus à proposer une conception personnelle. Lorsque Otello répète le Che ascondo in cor, signore? de Iago, il le parodie en reprenant la même inflexion, mais en la caricaturant. Il change de couleur vocale selon les destinataires et permet de mesurer de bout en bout l'évolution de ses pensées.

Et quel acteur ! On peut suivre sur son visage la progression de sa réflexion pendant que Iago tisse sa toile. C'est du grand art. Bien mieux que tout ce que j'ai vu dans cette production !

J'ai entendu une dame dans les escaliers qui objectait qu'il n'avait pas la voix du rôle. C'est certain, Gregory Kunde n'est ni Del Monaco, ni Atlantov, ni Domingo, ni Galouzine... Mais Tamagno, le créateur du rôle, avait aussi Arnold et Manrico dans son bagage  et ce n'était pas une si grosse voix.
Je salue sans réserve l'intelligence d'une carrière menée avec sagesse, de la gestion du rôle exemplaire, de la probité d'une incarnation. Et franchement, c'est un des plus émouvants interprètes du rôle qu'il m'ait été donné de voir. A soixante-cinq ans, cela force l'admiration.

Sa dernière venue à l'Opéra de Paris, c'était dans Louise, il y a une bonne quinzaine d'années. Je ne peux m'empêcher de penser que la maison est passée à côté d'un excellent chanteur !


Je pense que ces conditions exceptionnelles ne permettent pas d'apprécier totalement le travail de Bertrand de Billy. J'ai trouvé sa direction un peu linéaire, mais avec un remplacement de dernière minute le chef doit s'occuper en priorité de maintenir le cap et éviter les accidents. Et, effectivement, le navire est mené à bon port, avec un vrai compagnonnage avec les chanteurs.

A la sortie des artistes, je discute avec Marie-Hélène qui a vu les trois Otello différents et m'assure que c'est cette représentation-ci qu'elle a préférée !

Paul Gay

Alessandro Liberatore 

Marie Gautrot

Bertrand de Billy

Hibla Gerzmava 

George Gagnidze 

Gregory Kunde 

16 commentaires:

  1. I remember Placido Domingo as Otello! I don't know Gregory Kunde but I should. I will browse upon internet!
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    Annie

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  2. Excellente critique bien argumentée. Je regrette d'avoir choisi un autre jour.
    Michel

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