Itinéraire matinal pour me rendre vers cette fameuse villa Art Nouveau que je n'ai pas pu visiter dimanche. Quelle merveille !
Dans le quartier les demeures spectaculaires ne manquent pas.
Me voilà arrivé ! Je refais le tour de la maison pour trouver l'entrée, qui n'est plus la principale mais celle de service, sur le côté.
La grille annonce la couleur : règne de la courbe et de l'ondulation.
On voit immédiatement un travail d'architecte dans une bâtisse qui déstructure le bloc et créant des volumes qui avancent, des hauteurs multiples, une variation dans la fenêtre.
La ferronnerie est un modèle d'Art Nouveau, avec ces arabesques spiralées.
Le Routard parle d'un musée gratuit, mais c'est une époque révolue. 400 RUB, un peu plus de six euros. A ce tarif, on a le droit de photographier. Me voici dans la place !
Maksim (Maxime) Gorki
A notre époque aussi réductrice que simplificatrice, où on met dans le même sac Trotsky, Lenine, Staline et Gorki, il me paraît nécessaire de lui consacrer quelques mots. C'est vrai que c'est un écrivain "de gauche", opposé au tsarisme et au servage. Il a rédigé un texte élogieux sur un canal construit par le régime stalinien et, après la visite du goulag des îles Solovki, "arrangé" pour la circonstance en camp modèle (je pense à la même histoire pour Terezin, déguisé pour la visite de la Croix Rouge et pour le tournage d'un film de propagande), un texte en hommage au goulag. On ne peut nier aussi que c'est un compagnon des premiers temps du bolchevisme.
Je pense que c'est surtout un écrivain d'une grande authenticité. A dix ans, ses deux parents étaient décédés, il fut élevé par un grand-père féroce et une grand-mère aimante, conteuse de talent qu'il adorait et qui exerça une influence sur sa propre littérature. Son grand-père lui fit quitter de force l'école à douze ans et il dut pratiquer divers petits métiers au milieu de pauvres gens, qui deviendront le vrai sujet de son œuvre. Il s'essaya au journalisme et prit plusieurs pseudonymes, dont celui de Gorki, "amer". Son premier ouvrage, Esquisses et récits, traçait un portrait de gens misérables, mais sans misérabilisme, en montrant au contraire leur humanité. Il reçut un accueil triomphal et lança sa carrière d'écrivain.
A cause de ses idées anti-tsaristes, l'empereur Nicolas II annula son élection à l'Académie, malgré le soutien d'Anton Tchekhov. Il poursuivit malgré tout ses écrits sur les mêmes thématiques sociales, dont sa grande pièce Les Bas-Fonds (lue à l'université, mais que je n'ai jamais vu représenter) et fut incarcéré à plusieurs reprises, notamment à la forteresse Pierre et Paul de Saint Petersbourg.
Soutien des travailleurs, il apporta son aide au parti ouvrier et lorsque la manifestation pour demander une réforme sociale fut brutalement réprimée (le Dimanche Rouge), il se rapprocha des personnalités bolcheviques qui l'envoyèrent ensuite lever des fonds aux Etats-Unis, période pendant laquelle il écrivit son célèbre roman La Mère, histoire d'une ouvrière qui devient une révolutionnaire. Un texte assez extraordinaire qui évite le sujet politique en parlant plutôt de convictions, de fidélité à ses idéaux, de réaction devant l'injustice. Le livre est évidemment très engagé et il joua un rôle de propagande, mais il vaut bien mieux que ce à quoi on pourrait le réduire.
Dès la Révolution de 1918, il prit ses distances et écrivit : « Lénine et Trotsky n'ont aucune idée de la liberté et des droits de l'homme, et ils sont déjà corrompus par le sale poison du pouvoir ». Déçu par ce qu'il appelait "la perversion des idéaux", il quitta rapidement la Russie, voyagea dans des villes thermales en Allemagne et en Italie où il se fixa finalement à Sorrente.
Son retour en Russie, en 1932, reste une énigme : problème d'argent ? mal du pays ? désir de juger de plus près Staline ? En tout cas, c'est à ce moment qu'est organisée la visite du goulag, suivie du fameux article que Gorki déclarera avoir dû rédiger sous la contrainte.
En 1934, on le nomma président de l'Union des Ecrivains Soviétiques (dont le siège était situé dans le quartier) et on lui attribua cette prestigieuse demeure. Il était assigné à résidence, les gardes surveillaient ses moindres faits et gestes et pour recevoir des amis, il devait d'abord en faire la demande écrite. Il parlait, à juste titre, d'une "prison dorée". Sa mort subite reste mystérieuse.
On peut parler d'une grande figure littéraire complètement récupérée par le régime, jusqu'au bout. On renomma sa ville natale, Nizhni-Novgorod, Gorki, un avion Tupolev porta également son nom et Staline fut un des porteurs du cercueil.
La villa Riabouchinsky
Avant d'être la villa Gorki, elle fut construite à la demande de Stepan Riabouchinsky, un jeune membre d'une richissime famille, mécène de nombreux artistes. Il en passa la commande à Feodor Chekhtel, prolifique architecte à qui on doit le Théâtre Maiakovsky, le palais Morozov. Ce dernier se chargea d'une partie de la décoration intérieure, en laissant l'autre à Mikhaïl Vrubel, un bouillonnant créateur dont les œuvres à la Galerie Tretyakov, mi-symbolisme mi-Art Nouveau, m'avaient rappelé Victor Prouvé.
Le grand escalier, séparé de l'entrée par un vitrail, donne le ton : une décoration minutieuse où tout cherche à créer une harmonie stylistique.
La chambre
La pièce sent encore l'intimité ; photo de la grand-mère bien-aimée, paysage de Sorrente peint par son ami Benua lorsqu'il vint lui rendre visite en Campanie.
Le petit meuble japonais révèle la passion secrète de Gorki pour l'Extrême-Orient, et je dois dire un secret bien gardé ! Je n'en ai jamais entendu parler.
A l'intérieur, quelques objets orientaux mais aussi des personnages de ses œuvres, sculptés par ses amis.
Le bureau
C'est dans cette pièce que Gorki passait la moitié de la journée, de 9:00 à 14:00 invariablement. C'est la seule pièce où il put réellement apporter sa personnalité dans cette villa construite pour d'autres, et non choisie.
Gorki adorait particulièrement les sculptures japonaises et on lui en offrit beaucoup tout au long de sa carrière. Ivanov contribua largement à l'enrichissement de la collection ! A. Tolstoï, le fils de l'écrivain, en offrit beaucoup aussi.
La table de travail fut aussi un ajout personnel. Les témoignages relatent que Gorki transportait son nécessaire partout où il vivait et que, quelle que soit sa maison, son bureau demeurait identique.
La collection de crayons était particulièrement précieuse car Gorki lisait beaucoup et annotait autant.
Pour une fois, les objets sont ceux de l'écrivain, pieusement conservés après sa mort.
Les Korin, père et fils, ont peint cette copie de la Madonne Litta de Léonard de Vinci et un charmant paysage de Sorrente. Je ne sais pourquoi ma photo a disparu, mais sur un des murs est accroché un portrait de Stendhal, un des écrivains favoris de Gorki.
Franchement, je pense que ce bureau doit être une énorme surprise pour les visiteurs qui n'ont que le bolchevisme en tête en pensant à Gorki !
Le grand hall
Les visiteurs passaient d'abord un sas, étape indispensable pour protéger du froid, et sans doute pour secouer leurs bottes, avant de pénétrer dans ce hall qui donnait immédiatement une idée de la maison. D'un côté, une boiserie occupe totalement le mur, mettant en valeur les audacieuses ferronneries.
Le vestiaire conserve les vêtements de l'écrivain.
Mais surtout, les visiteurs voyaient ce grand vitrail, remarquable création de Vinogradov sur un dessin de Chekhtel.
La bibliothèque
Pour pouvoir ranger ses 12 000 volumes, Gorki obtint l'autorisation de faire fabriquer 44 bibliothèques, majoritairement dans cette pièce mais aussi dans l'escalier.
Le plafond est un des plus originaux que j'ai vus : stucs et fresques, couleur et volume, sans surcharge pour autant.
La bibliothèque contient un peu de tout, des ouvrages scientifiques, historiques, beaucoup de romans, des contes, du folklore russe… Presque 3000 sont annotés avec les fameux crayons de couleur, et tous ceux des auteurs récents sont dédicacés. Gorki voyageait partout avec les neuf tomes signés par Tchekhov. Je peux comprendre qu'il ne voulait pas s'en séparer mais neuf tomes, tout de même, c'est bien encombrant en voyage !
Une porte délicatement ouvragée (vraiment aucun détail n'est laissé au hasard) mène à la grande pièce de réception.
La salle à manger
Le service à thé est disposé à la place qu'occupait toujours Gorki, seul, avec sa femme ou lors des réceptions. Les écrivains venaient en nombre et faisaient de cette maison une sorte de club littéraire. George Bernard Shaw, Romain Rolland y furent aussi accueillis au prix d'autorisation spéciale.
Les grands musiciens du moment venaient aussi visiter cette gloire locale. La collection de disques de Gorki montre son ouverture : aux côtés du patrimoine russe (Tchaikovsky, Borodine), on trouve les géants européens (Beethoven, Chopin, Brahms), et même les modernes Chostakovitch ou Gershwin.
L'escalier
Cette pièce maîtresse de la maison est réellement très spectaculaire, avec sa rampe à la Gaudi, sa colonne avec un chapiteau de serpents et un luminaire qui semble coiffé d'une méduse.
Je n'ai pas pu trancher si c'était une réalisation de Chekhtel, de Vrubel, ou des deux, même si cette dernière hypothèse me paraît la plus vraisemblable.
L'étage
Les pièces de l'étage, c'était le domaine de madame, mais rien n'y a été conservé. On y a installé une petite exposition de documents divers, dessins, photographies, affiches…
Cette photographie d'un Amérindien fut prise par Gorki lors de son séjour aux Etats-Unis.
Une collection de caricatures et de dessins de Maria Andreieva Pechkova. Je pense qu'il s'agit de la maîtresse de Gorki, avec laquelle il voyagea aux Etats-Unis, créant ainsi un scandale général. Elle fut aussi la maîtresse de Wells, se fixa à Londres où elle serait devenue agent double.
Cette fois, c'est l'épouse qui est évoquée, Ekaterina Pavlovna.
Toute une vitrine est consacrée à la rencontre avec Romain Rolland. Les deux écrivains avaient une estime réciproque et correspondirent pendant de longues années, et finirent par se rencontrer lors d'un voyage tardif du français. Ce dernier relatera cette rencontre dans un Voyage à Moscou.
Dans le grenier
On présente d'abord la famille Riabouchinsky, créateur de la première fabrique d'automobiles en Russie. Grands mécènes comme je l'ai écrit plus haut, c'étaient aussi des collectionneurs d'icônes, saisies par le gouvernement pour être dispersées dans plusieurs musées, notamment la Galerie Tretyakov. Ils s'exileront précipitamment en Italie tandis que toutes leurs villas et palais seront confisqués. Celle-ci devint entre autres un institut de psychanalyse avant d'être affectée à la résidence surveillée de Gorki.
Nikolay, le frère de Stepan, n'était pas un homme d'affaire mais un artiste très intéressé par cet Art Nouveau. C'est sans doute lui qui influa pour la commande de cette maison. Il dirigeait une revue d'art, La Toison d'Or.
Les Riabouchinsky faisaient partie d'une grande famille de Vieux Croyants, frange de la religion orthodoxe qui avait refusé les réformes du patriarche Nikon. Ce sont ces religieux qui sont présentés dans l'opéra de Moussorgsky La Khovantchina. Ils étaient pourchassés et leur culte interdit.
Les Riabouchinsky prévirent donc une pièce secrète dans le grenier, une chapelle indiscernable, mais dont la décoration obéissait aux mêmes principes que le reste de la maison.
Dans les pendentifs de la coupole, des cercles contiennent les symboles des évangélistes.
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SupprimerC'est génial, cette maison. Ca me fait beaucoup penser au palais Guell à Barcelone !
RépondreSupprimerMoi qui n'ai pas ton immense culture, je croyais que Gorki était un bolchevik à la tête du pays… J'ose à peine l'écrire ! Je ne vais plus oser ouvrir la bouche dans les soirées cultivées !
Heureusement que je lis ton blog pour combler les failles de mes connaissances…
Super article, en tout cas !
Bises
Michèle
Rassure-toi, je parie que beaucoup de gens ignorent même le nom de Gorki. Ou le croient polonais ou serbe !
RépondreSupprimerCa me fait plaisir de te compter à nouveau parmi mes fidèles lectrices. J'espère que tu te remets doucement de tes mois africains…
Gros bisous
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