L'Helikon-Opera a fait plusieurs tournées en France et j'ai pu assister à plusieurs de leurs spectacles. A l'époque, Dmitry Bertman, le metteur en scène-directeur de l'opéra, était l'enfant terrible de la mise en scène lyrique russe (depuis, ce titre lui a été ravi par Tcherniakov) et ce fut ma première
Carmen "hors-normes" laquelle j'ai assisté.
Pikovaya Dama,
Les Contes d'Hoffmann,
Maddalena (un rare Prokofiev) sont des souvenirs marquants. Je comptais bien voir une représentation in loco mais l'an dernier, aucune date ne me faisait l'affaire. Cette année, deux d'un coup. Je reviens dans quelques jours pour une nouvelle représentation de
Pikovaya Dama.
La salle donne l'impression d'un opéra en plein air ! Elle est aménagée dans une cour de palais, ce qui lui confère un aspect assez inhabituel. La forme en auditorium assure une bonne visibilité partout, et les place sont plus qu'abordables. Je suis au troisième rang pour 1400 RUB !
J'ai souvent écrit sur ce blog combien j'adorais les opéras de Janacek, ne serait-ce que parce que sa musique (et pas seulement lyrique) me file droit au cœur, et parce qu'il n'a travaillé que sur d'excellents livrets. Ici, Věc Makropulos ou L'Affaire Makroupoulos en français, c'est l'histoire d'une femme qui vit trois cents ans après avoir ingurgité un élixir de longue vie. Elle change d'identité selon les âges et a connu un homme dont on cherche le testament au premier acte. Elle gravite au milieu d'une galaxie d'hommes attirés par elle, d'âges divers, et même d'une femme, Kristina. Elle meurt à la fin de l'opéra.
Je n'ai que d'excellents souvenirs de représentations de cet opéra, qui réclame une artiste lyrique hors pair pour interpréter un des plus beaux personnages qui soit. Raina Kabaivanska, Lisbeth Balslev (la dernière fois que je l'ai vue), Anja Silja (à Aix, avec Rattle au pupitre), Nadja Michael, Amanda Roocroft à l'ENO m'ont particulièrement marqué.
Production du maître des lieux
Dmitry Bertman a avant tout cherché à traiter le problème de l'immortalité. Le décor est une toile percée de silhouettes, sans doute celles de tous les personnages qui ont cerné Emilia Marty, avec une galerie dissimulée derrière. Les spectateurs de l'opéra (puisqu'Emilia est une cantatrice, la représentation se tient derrière) et surtout des fantômes intégralement blancs s'y tiennent. L'héroïne les rejoindra à la fin. Le plateau est recouvert de papiers, parmi lesquels on cherche le testament, et la recette de longue vie, finalement brûlée (image d'embrasement de la scène oblige), est encore une histoire de papier.
Je m'attendais à plus d'audace de la part d'un metteur en scène sulfureux ; l'attirance et même le sexe sont tout de même au centre de l'œuvre, et ici cela reste très sage. Mais son dispositif fonctionne bien et contribue à la lisibilité de l'œuvre. Par ailleurs, la direction d'acteurs est excellente et chacun est investi dans son rôle.
Distribution russe
|
Alexander Borodovsky, Marina Karpechenko |
A Moscou, on a tendance à donner ces œuvres en russe et c'est méritoire pour une distribution 100 % russophone de chanter en tchèque !
Un personnage additionnel, la femme de Hauk Šendorf, est interprété sur un mode comique par Alexander Borodovsky. Marina Karpechenko, la femme de ménage, est excellente avec beaucoup de gouaille. Très correcte aussi, la suivante d'Ekaterina Oblezova, qui apparaît pendant l'ouverture comme une prémonition de la mort. Marina Kalinina se sert d'un timbre de voix particulier pour composer une Kristina plus acide qu'à l'accoutumée.
|
Marina Karpechenko, Ekaterina Oblezova |
|
Andrey Palamarchuk, Alexey Egorov |
Le jeune Alexey Egorov offre une voix prometteuse au petit rôle du machiniste. Il faut beaucoup de ténors dans cet ouvrage, tous avec des voix contrastées : remplaçant Dmitry Bashkirov, Andrey Palamarchuk compose un Vitek très présent avec une voix percutante.
|
Vitaly Fomin, Andrey Palamarchuk, Alexey Egorov |
Vitaly Fomin a plus de douceur pour interpréter Janek, le jeune homme déçu.
|
Mikhail Seryshev |
Mikhail Seryshev s'avère un excellent Hauk Sendorf, l'amoureux de jadis, avec une vraie voix de ténor bouffe (parfaite pour Chouisky ou le scribe sans doute).
|
Marina Kalinina,
Dmitry Khromov
|
Dmitry Khromov, Albert Gregor, est un peu irrégulier, avec des moments de baisse de régime qui alternent avec d'élégantes phrases lyriques. Mais on jurerait une voix tchèque !
Les deux voix graves sont magnifiquement assurées : Alexey Tikhomirov, que j'ai entendu plusieurs fois (notamment dans un beau Boris à Marseille), croque le rôle de Kolenaty en quelques bouchées, avec de superbes harmoniques qui résonnent comme des tuyaux d'orgue.
|
Alexey Tikhomirov, Marina Kalinina |
|
Dmitry Yankovsky |
Prus est chanté par Dmitry Yankovsky, un fidèle de la troupe, et lui aussi assure une forte présence scénique et vocale, avec une voix extrêmement ronde et bien soudée. Une autre belle découverte.
|
Alisa Gitsba |
Je ne connaissais pas Natalia Zagorinskaya qui devait interpréter le rôle écrasant d'Emilia Marty, et je n'avais non plus jamais entendu parler d'Alisa Gitsba, sa remplaçante. Elle fait un travail remarquable d'endurance d'abord, essentielle dans ce rôle, d'investissement, d'interprétation en suggérant sans cesse des arrière-plans à son discours. Une actrice consommée qui sait utiliser mouvements, gestes et expressions pour créer un vrai personnage. Voix intéressante par ailleurs, avec un registre aigu solide qui est bien sollicité ici. Encore une découverte !
L'orchestre de l'Helikon Opera est extrêmement louable, avec un beau pupitre de cordes et des vents de qualité. Konstantin Khvatynets dirige avec un grand métier et beaucoup de sensibilité. Malgré la fosse très large, et donc très largement ouverte, il veille à respirer avec les chanteurs et à ne jamais les couvrir. Et franchement, on jurerait un son tchèque !
|
avec l'adorable Marina Karpechenko |
J'attends à la sortie des artistes où je suis très chaleureusement accueilli. La responsable de l'accueil m'offre un livre sur le Helikon Opera, je papote avec Galina qui attend son ami-chanteur. Je dois bien reconnaître qu'à ce voyage-ci, je rencontre un nombre (largement supérieur à tous mes voyages russes) de gens vraiment très gentils, chaleureux et affables.
|
Dmitry Khromov, extrêmement aimable ! |
|
Alisa Gitsba |
|
Dmitry Yankovsky |
|
Le très sympathique Alexey Tikhomirov |
|
Andrey Palamarchuk et Mikhail Seryshev |
|
Konstantin Khvatynets |
Another great performance, with other unkown outstanding singers!
RépondreSupprimerAnd another excellent post...
Annie
Passionnante analyse, fouillée et argumentée, une fois de plus !
RépondreSupprimerPierre
Un grand merci, Pierre !
Supprimer