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vendredi 12 avril 2019

Moscou : Musée du Goulag


Déjà l'an dernier je comptais visiter ce musée consacré au goulag. Cette année, pas d'excuse, il est à une demi-heure de marche de mon hôtel.
J'ai lu un certain nombre de témoignages sur cet univers depuis L'Archipel du Goulag de Soljenitsine, le diptyque d'Evgenia Ginzburg et un des livres de Varlam Chalamov. Plus La Fin de l'Homme rouge, où quelques-uns des témoignages rassemblés par Svetlana Alexievitch concernent le goulag. Je n'en ai évidemment jamais visité, mais je ne déboule pas sans aucune connaissance.




Le Musée est aménagé dans un vaste bâtiment en briques. On fait la visite dans le noir, seules les vitrines et objets exposés sont éclairés. On ne verra une fenêtre qu'une fois sorti de l'exposition permanente, une bonne idée de muséographie.

Portes



Idée originale de commencer avec des portes : celles d'appartements où ont été arrêtés des citoyens ordinaires, celles de camps du goulag. L'idée de l'inconnu glaçant qui attend derrière…



Les débuts


Les prisons n'ont pas été inventées avec le goulag, Dostoievsky raconte dans un passionnant et horrifiant témoignage, Souvenirs de la Maison des Morts (base de l'opéra de Janacek Z Mrtveho Domu) sa vie dans un camp de prisonniers.
Mais ces camps de concentration-là furent établis en 1918, sous la Révolution. Le décret du 5 septembre autorisait la répression et l'arrestation de citoyens contre-révolutionnaires.
Il fallut rapidement des locaux : on décida de transformer des monastères dont les moines furent promptement chassés. En deux ans, le nombre de camps passa de 21 à 122 et celui de prisonniers de 36000 à 83000.


Beaucoup de vitrines sont consacrées à des individus en présentant quelques objets et en racontant leur histoire. La fille de Tolstoï, Alexandra Tolstaya, fut l'une des victimes des camps.


La voici avec son père.


Lydia Armand, une Révolutionnaire, fut choquée par la brutalité des exactions commises et les dénonça, ce qui lui valut d'être internée dans un camp au nord, où elle mourut après six ans.

On établit un vaste camp dans les îles de Solovetsky, sur la Mer Blanche, où le monastère devint la prison de Solovki. Les conditions dans des températures effroyablement basses s'ajoutaient à de lourds travaux de coupe du bois ou d'extraction de minerai. Ce camp devint le modèle pour tous les autres, dirigés par le SLON (S pour Solovki).


 Sozerko Malsagov, un héros de la Première Guerre Mondiale, y fut aussi emprisonné. Il réussit à s'échapper en Finlande et obtint un certificat des Nations Unies, présenté en bas à droite.


Panteleimon Kazarinov préparait une encyclopédie de la Sibérie quand ses activités furent jugées suspectes de "tentative d'aliénation de la Sibérie". Il fut interné à Solovki. Son fils, un géologue, découvrit les champs de gaz et de pétrole dans ces régions.


Albums de photos


Des albums de photos décrivent les lieux et racontent la vie dans ces camps. Rien de tel que de mettre des images pour mesurer les conditions de vie.







Martemyan Ryutin, membre des Bolcheviques, écrivit un texte contre la dictature stalinienne. Il fut arrêté en 1932, condamné à dix ans de camp, mais mourut auparavant, en 1937.


Un télégramme où Staline accuse l'Académie des Sciences Ukrainiennes de fournir des médicaments frelatés.


Maquette d'un canal de plus de cent kilomètres, entièrement creusé à la main par les prisonniers. Le camp de Perekovka fut employé pour la construction du canal Moskova-Volga.

Le goulag, c'étaient surtout des camps de travail, comme leurs équivalents dans le IIIe Reich, et cette manne de travailleurs gratuits fut bien reçue comme un moyen de moderniser ces zones difficiles d'accès.


Kinmasa Katsuno s'enthousiasma pour les idées de Tolstoï, vint étudier en France où il fut membre du parti communiste. Il rejoignit le Komintern mais ses origines lui valurent d'être arrêté comme espion à la solde du Japon. Il survécut et rédigea plusieurs ouvrages sur le goulag.


Mikhail Krizhanovsky,un chercheur en sciences à Moscou, fut arrêté pour sabotage et fut contraint de participer à la construction du canal sur la Volga.

Développement



 Cela se passe de commentaires…



Le gros point, complètement à l'est, c'est le fameux camp de Magadan.



Semyon Filippov fut arrêté pour propagande anti-soviétique et mourut de malnutrition au camp d'Urzhensk.


Les dessins de Yefvrosinia Kersnovskaya



En 1932-1933, les famines qui dévastaient le pays n'épargnèrent pas les camps. La mortalité augmenta de 35 %.

Yefvrosinia Kersnovskaya remplit douze carnets de ses dessins qui illustrent ces conditions difficiles.






On attachait une plaquette de bois à chaque cadavre. Celle-ci fut trouvé au camp de la Kolyma.


Vasily Kryavushkin, membre de l'Armée Rouge, fut arrêté pour sabotage et mourut au camp d'Amursky de malnutrition.


Andrey Sukhomlinov, professeur de biologie, mourut de malnutrition au camp de Severo-uralsky après son arrestation pour "agitation anti-soviétique".


La vie quotidienne


Beaucoup d'objets ont été méthodiquement détruits et il a fallu mener des fouilles pour en retrouver qui témoignent de la vie dans les camps. Je reste effaré devant la minceur de ces chaussures de feutre devant les températures extrêmes du nord de la Sibérie.



Les artisans qui savaient fabriquer des objets mettaient leurs talents en avant pour échapper aux plus durs labeurs. Ce gobelet fut taillé dans une corne.




Vitrine consacré à Varlam Chalamov, l'auteur des inoubliables Récits de la Kolyma. Lecture indispensable !



Les camps étaient toujours situées dans des régions reculées, démunies de tout. Tout devait être fabriqué à la main.

Les enfants



On construisit des orphelinats pour les enfants des victimes décédées mais aussi des bâtiments pour ceux qui avaient été arrêtés avec leurs parents. Témoignages émouvants des parents qui tentent, coûte que coûte, de manifester leur affection.





On jugeait qu'un enfant de dix ans pouvait être un travailleur.


Parallèle ironique avec Staline, le Petit Père des Peuples.


Des jouets faits maison.




Une dernière vitrine rappelle le souvenir d'Alexandre Soljenitsyne, dont le récit L'Archipel du Goulag parut en russe à Paris ; c'est le livre présenté ici. En dessous, une copie clandestine, destinée à être dissimulée dans le paquet de biscuits à gauche.

Cimetières



Si celui de Levashovo, près de Saint Petersbourg, évoque l'image d'un cimetière, les autres trahissent la pauvreté de moyens.




Comme je l'indiquais au début, on fait cette visite passionnante dans le noir, et la fenêtre n'apparaît qu'à la sortie. Un musée hautement recommandable.


10 commentaires:

  1. Outstanding. A great post upon the darkest face of Soviet Union.
    #1!
    Annie

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    1. Thank you very much. This museum is really captivating.

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  2. Passionnant musée, article à la hauteur Je n'ai rien lu des écrivains que vous citez mais je me rappelle très bien Soljenitsine, qui avait été reçu chez Pivot, je crois. Et j'ai vu un bon documentaire sur France 2 ou 3 au début du mois.
    Ce captivant article donne envie de se plonger dans ces récits !
    Pierre

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    1. J'ai bien envie aussi de relire un de ces livres. Quant au documentaire, diffusé la semaine avant mon départ, je n'ai pas eu le temps de le regarder et je le regrette bien.
      Grand merci, Pierre.

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  3. Remarquable article, très détaillé bien commenté.
    Bonnes photos.
    Très beau design !
    Julia

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    1. Merci beaucoup, Julia, pour ce commentaire généreux !

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  4. Remarquable article. Je n'étais pas venu sur votre blog depuis quelque temps et je trouve une série d'articles passionnants, comme celui-ci.
    Avez-vous pensé à le présenter à un concours de blogs ? Vous avez toutes vos chances !
    Clair

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    1. Merci beaucoup, Clair.
      Un lecteur m'avait déjà suggéré de tenter de concourir.
      J'ai cherché mais je n'ai trouvé que des concours anciens ! Je le regrette, non pour espérer y gagner quoi que ce soit, mais c'est peut-être une occasion pour améliorer le nombre de visites !

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  5. Il est difficile de croire à une telle augmentation du nombre des prisonniers ; même la fille de Tolstoï y fut emprisonnée… Incroyable. Aucune remarque sur la révolution n’est tolérée, aussi les représailles sont affreuses. Malgré toutes ces cruautés des hommes et des femmes n’hésitent pas à s’opposer. C’est vraiment un musée exceptionnel.
    Les photos accompagnées de tes commentaires rendent la lecture passionnante.
    Bises. Mam.

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    1. Ce passionnant et poignant musée donne aussitôt envie de se replonger dans les récits du goulag !
      Grand merci pour ce commentaire chaleureux.
      Gros bisous.

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