Une heure de route depuis Prague et me voici dans cette ville si tristement célèbre.
A l'origine, c'est une place fortifiée de la fin du XVIIIe, bâtie en étoile sur le modèle des fortifications françaises de D'Argencourt, l'architecte de Brouage. On la nomma Terezin (Theresienstadt en allemand) en hommage à l'impératrice Marie-Thérèse, en pleine période Habsbourg.
Mais sa renommée vient plutôt de la seconde guerre mondiale, quand la Gestapo y installa un camp de concentration parmi les plus célèbres.
La petite forteresse
Il y a en fait deux places fortes : la grande, qui contient la ville entière, et la petite, excentrée mais redoutablement bien conçue.
On retrouve les éléments caractéristiques de ces fortifications : entrée étroite, solidement protégée, et larges douves en anneaux, si on peut dire dans un plan en étoile, concentriques.
Le camp de concentration fut établi en 1940. Quelques mois plus tôt, la République Tchèque avait été occupée par les Nazis quand Hitler avait établi le protectorat de Bohème-Moravie.
Il s'agissait de germaniser au plus vite la population tchèque, et le terrifiant Heydrich fut dépêché afin de renforcer le processus. Je recommande sur ce point la lecture du passionnant livre HHhH de Laurent Binet.
La résistance tchèque s'organisa vite. Entre les résistants capturés, les non-germanisables, les indésirables de tout poil, le IIIe Reich avait une longue liste de gens à enfermer. Pas de demi-mesure dans la démesure. La forteresse fut promptement reconvertie.
La visite, menée par l'infatigable Lenka, une inépuisable réserve d'informations, commence par les bureaux de l'administration du camp.
On devine combien ces casiers devaient contenir d'archives, vu la passion scrupuleuse des Nazis pour les dossiers.
C'étaient les unités de la Waffen-SS qui assuraient la surveillance. Mais les détenus étaient également utilisés pour les tâches administratives et certains furent réquisitionnés comme kapos.
Les casiers servaient pour déposer les chaussures. Les prisonniers étaient tous employés à des travaux variés, dans l'agriculture et l'industrie notamment, à raison de dix heures par jour.
La pièce sanitaire contient un dispositif de désinfection des vêtements.
Mais celle-ci, limitée à huit minutes par économie, s'avérait très insuffisante et les tenues remplies de vermine propageaient facilement les maladies, notamment le typhus.
Les douches à l'eau glacée étaient d'abord hebdomadaires, et devinrent mensuelles avec l'augmentation du nombre des détenus.
L'hôpital était une seule salle où des médecins prisonniers, juifs essentiellement, tentaient de remédier à des situations toujours critiques sans moyens ni médicaments.
Une pièce remplie de lavabos ? Celle-ci fut créée pour les besoins d'un film.
C'est un épisode célèbre ; les représentants de la Croix Rouge devant faire des inspections, on décida de leur montrer un camp idéal, et de tourner un film dépeignant un quotidien de rêve. Les détenus jouèrent leur propre rôle et furent exécutés par la suite. La salle des lavabos ne servit que pour le tournage.
Toute une aile était dévolue aux interrogatoires, évidemment musclés. Ces cellules microscopiques étaient réservées à cet usage.
Nous ressortons pour retrouver la partie XVIIIe avec ce couloir de 560 m de long qui serpente à travers le rempart.
D'étroites meurtrières assuraient une défense imparable.
Le champ de tir servait évidemment d'entraînement aux SS.
Mais ce fut aussi le lieu d'innombrables exécutions. Deux tireurs par victime pour tuer sans erreur.
Une piscine pour la direction du camp fut creusée par les prisonniers, à mains nues.
Les dirigeants logeaient dans ces opulentes bâtisses, au centre.
Un petit musée a été aménagé dans l'aile du cinéma.
D'émouvants témoignages y sont exposés, provenant notamment des enfants détenus.
Le fameux film de propagande tourné ici a été retrouvé dans les années 1960, et des extraits en sont projetés.
Un peu plus loin, un monument a été élevé à la mémoire de Robert Desnos, notre attachant poète mort dans le camp.
La cour numéro 4 fut créée quand le nombre de détenus augmenta subitement.
600 prisonniers étaient compressés dans chacune de ces pièces. Le mot "camp de concentration" prend tout son sens.
C'est l'efficacité au service de l'horreur. Des milliers de prisonniers, un seul garde pour les surveiller, dans le mirador.
La grande forteresse
La ville de Terezín est donc contenue dans ces remparts.
Plan strict, rues au cordeau. Une géographie que les Nazis jugèrent idéale pour y établir un ghetto.
Un petit musée présente l'histoire de ce ghetto et de ses habitants.
De nombreux dessins d'enfants, toujours poignants.
Les noms des disparus couvrent les murs de la salle.
Miracle de l'esprit humain, encore capable de créativité dans l'adversité. Les habitants du ghetto trouvèrent le moyen d'éditer des journaux.
On reconnaît bien Blanche-Neige.
Le bas expose un hommage à un artiste du ghetto, Felix Bloch.
A l'étage, d'émouvants témoignages.
Collection d'étoiles jaunes.
Partition composée dans le ghetto.
Malgré quelques véhicules, Terezin a aujourd'hui l'allure d'une ville fantôme. Il est sans doute difficile d'habiter un lieu aussi marqué par l'histoire.
Cette synagogue clandestine est dissimulée dans une sorte d'entrepôt, au fond d'une cour.
Les lumières peintes indiquent la direction de la prière.
A l'étage, une mansarde révèle les conditions de vie dans le ghetto.
Le cimetière et le crematorium
Vue du dessus, cette sculpture correspond à une étoile de David.
Les pierres sur les tombes juives proviendraient d'une tradition née dans le désert du Negev, où l'essentiel était de protéger la sépulture des prédateurs.
Le crématorium est ce long bâtiment jaune.
Quatre fours y brûlaient en permanence, alimentés par les réservoirs au plafond.
Vingt minutes par crémation : douze corps brûlés à l'heure. Rendement nettement insuffisant vu la quantité de cadavres qui arrivaient : décédés de maladie ou d'épuisement, exécutés...
Chaque corps était autopsié par des médecins détenus.
Et, toujours dans la logique paperassière de l'administration nazie, une fiche était établie pour chaque corps.
Très intéressant article avec beaucoup d'informations. Je connaissais le nom de Terezin, bien sûr, mais je ne savais même pas que ça se trouvait en Tchéquie. Ton article très bien fait comble mes lacunes.
RépondreSupprimerMerci et meilleurs voeux !
Françoise
Merci Françoise !
SupprimerMeilleurs voeux à toi aussi.
Very interesting. An excellent post on a sad place.
RépondreSupprimerIt is brave to visit it !
Congrats.
Annie
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
SupprimerThank you Annie.
SupprimerI think such places are important for our memory. Hard to visit but very interesting, as you write it.
Passionnant article. C'est important de garder la mémoire de ces lieux d'atrocité.
RépondreSupprimerCher ou chère anonyme, je partage votre opinion. Merci de votre commentaire.
SupprimerPassionnante visite en votre compagnie. Mes grands parents sont morts dans des camps de concentration.
RépondreSupprimerJe vous remercie de faire cette article pour montrer tout cela.
Elena
Votre commentaire me touche profondément, Elena. Je en remercie très sincèrement.
SupprimerTrès bel article. Bravo à toi.
RépondreSupprimerFrançoise
Merci beaucoup Françoise !
SupprimerArticle très détaillé. Utile pour préparer sa visite !
RépondreSupprimerMarina
Merci Marina pour cet aimable commentaire !
SupprimerMerci pour votre travail de mémoire sur ce camp abominable de sauvagerie.
RépondreSupprimerConnaissez vous le livre de W.G .Sebald, Austerlitz, où l'auteur raconte la visite de son alter ego, Sur ce lieu qui a été le camp où sa mère a disparu?
Magnifique roman basé sur le souvenir.
Merci à vous, Philippe, pour votre chaleureux commentaire. J'ai lu plusieurs livres autour de Terezin (dont le remarquable Milena) mais j'ignorais cet Austerlitz que vous citez. Je vais le rechercher ! Merci pour votre suggestion donc.
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