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mercredi 8 janvier 2020

Prague : Monastère de Strahov, le cabinet de curiosités et les manuscrits


 On ne sait jamais ce qu'on va trouver dans un cabinet de curiosités. Celui du monastère de Strahov, juste à côté de sa fameuse bibliothèque, conserve un assemblage surréaliste, avec de superbes manuscrits enluminés... Le mystère du plus vieux livre sur l'Amérique m'occupe un petit moment !


Le cabinet de curiosités



La longue galerie qui dessert les fameuses bibliothèques sert de salle d'exposition.


Le cabinet de curiosités renvoie à des pièces ou des meubles, apparus à la Renaissance, qui compilaient des objets étonnants, jamais vus, complétant la connaissance livresque par une collection de spécimens. Un pendant logique d'une bibliothèque donc.

Les tout premiers furent les studioli (pluriel de studiolo) de la Renaissance italienne. J'en ai déjà inséré des photos ici, en montrant celui de Bernard Salomon à Lyon par exemple. Ce furent parfois des collections conséquentes et stupéfiantes, comme celle de Pierre le Grand exposée à la Kunstcamera de Saint Petersbourg.


Dans la tradition de l'ébénisterie précieuse, les collections sont présentées ici dans des vitrines du XIXe siècle qui rappellent les médaillers antérieurs.



Les collections d'un cabinet de curiosités étaient généralement réparties en plusieurs catégories ; les naturalia regroupaient les sciences naturelles, les artificialia les objets étranges fabriqués par l'homme, les scientifica les outils scientifiques comme des microscopes ou des téléscopes, les exotica tout ce qui provenait de loin. L'ensemble, réuni sous le label "intéressant pour la connaissance", constituait un inventaire à la Prévert, parfois ahurissant.


La catégorie naturalia est bien représentée ici : étoiles de mer, créatures marines, papillons et insectes...





Le dodo de l'île Maurice, oiseau disparu devenu presque mythique...






La loupe s'inscrit dans les scientifica. Le catalogue et les notices ont été laissées dans leur jus !


Les échantillons de marbre constituaient des collections répandues. Les moulages de glyphes et d'intailles comme la statuette de musicien se rattacheraient aux artificialia.


 C'est aussi le cas de cette série d'armes, hache, casque, arbalète, et même d'un modèle réduit de bateau de guerre. Produit inconnu au centre de l'Europe.


C'est en catégorie exotica qu'il faudrait classer cette petite collection asiatique, hélas pas plus étiquetée que le reste. Je pense que les trois statuettes de droite sont des réalisations chinoises de la période Tang, en technique sancai, trois couleurs.


Pièces d'ivoire côtoient objets de porcelaine ou bijou métallique. L'ensemble me paraît dater du XIXe siècle.


Dans ce quatuor, je pencherai bien pour Guanyin, la version chinoise de la divinité bouddhiste Avalokitesvara, et pour un Vajradara. Ce dernier, une créature effrayante, garde avec son confrère l'entrée des temples, et on reconnaît en lui l'Héraklès des Grecs après un long voyage en Orient.


Tout aussi inattendue, une momie égyptienne dans son linceul brodé surveille éternellement le visiteur.


Il est également épié depuis les hauteurs !

La collection de manuscrits

Les livres étaient normalement absents des cabinets de curiosité, à moins d'être exceptionnels par le contenant bien plus que par le contenu. On peut parfois voir des volumes miniature, des livres sur des supports divers (paille, fines feuilles de bois), des codex, des reliures extraordinaires.

Ici, c'est je pense la volonté d'exposer les trésors de la bibliothèque qui nous vaut ces vitrines remplies de magnifiques exemplaires. J'ai retenu le terme manuscrits qui s'applique à la majeure partie de la collection, mais on y verra aussi quelques publications imprimées.

Ancien Testament, Nommé de Carda

 Les premiers présentés datent du XIIIe siècle et saluent l'infatigable activité des moines qui, dans un scriptorium peu chauffé (juste assez pour éviter que l'encre gelât), calligraphiaient avec une impeccable régularité et peignaient de délicates enluminures. Celui-ci a un titre bien mystérieux.



Ici, la lettrine, la grosse lettre, est devenue une Adoration des Mages où ce sont les chapeaux qui permettent d'identifier les trois rois.



Comme je l'ai souligné dans mon article sur l'église Saint Joseph à Vienne,  la présence de Joseph dans l'iconographie est tardive et cette Nativité est déjà digne d'intérêt pour cette seule raison. La présence d'un ange unique me ferait penser à un ange Gabriel revenu vérifier le résultat de sa prédiction, et c'est encore plus inhabituel. Je suis enchanté par les couleurs de la frise et l'élégance du dessin, notamment avec le visage exquis de la Vierge.


Registre de Strahov, 1410

Un monastère, c'est aussi une économie et la paperasserie est indispensable. L'écriture a même été inventée pour cela ! Ce registre tenait à jour la liste des terrains cultivés et des redevances féodales qui assuraient la prospérité du monastère.

Incunable, ancienne propriété de Vaclav de Rovny



Le mot incunable désigne les tout premiers livres imprimés, en tout cas antérieurs au 1er janvier 1501, date retenue par commodité. C'est difficile de savoir si celui-ci en est réellement un puisqu'on ne voit sur la double page aucun caractère imprimé.

Au cas où on ne parviendrait pas à reconnaître Sainte Catherine avec son épée, on a écrit son nom autour de sa tête.

Missel de l'abbaye de Louka, 1483

L'abbaye de Louka est donc une consœur dans le giron des Prémontrés, qui fut détruite, et qui fournit le mobilier de la salle de philosophie. Ce superbe missel fit sans doute partie du lot.

Reliure de l'Evangéliaire de Strahov

L'évangéliaire de Strahov, un des plus anciens volumes de la collection, remonte au IXe siècle, même s'il fut compilé jusqu'au XVIe. Sa reliure est une étrange collection à elle seule, où voisinent pierres poliees, médailles et émaux.

Évangile, IXe siècle

Cette page qui commence l’Évangile selon Saint Marc montre l'écrivain avec son texte, encore vêtu de la toge antique, surmonté du lion qui le symbolise. Rare exemplaire de cette période, d'où une mise en page qui nous est moins familière.

Atlas astronomique "Al-Sufi", XIVe siècle

On sait que les constellations ont été associées à des formes qui ont permis de les nommer, comme le détaille cet atlas. Le nom arabe nous rappelle aussi l'apport de la science orientale.

Gravure montrant la salle de philosophie, 1797

Un état de la salle de philosophie sitôt qu'elle fut achevée ; ça a bien peu changé !

Ex-libris de l'abbaye de Strahov

Les ex-libris reflètent l'évolution du goût, avec de beaux exemplaires Art Nouveau.

Daniel Adam de Veleslavin, Allégorie de l'Europe

Cette célèbre allégorie, plus qu'une carte exacte, propose la vision de l'Europe sous la forme d'une reine. C'est intéressant aussi de vérifier les noms donnés à l'époque.

Bible de Jan de Slemberk (1440)

Bible de Jan de Slemberk (1440), détail

Splendide page dédiée aux six jours de la création, le début de la Genèse. La qualité des coloris me semble exceptionnelle.

Pontifical d'Albert de Sternberg, 1376

Livre des Nouvelles Terres, 1506


Ce livre-là m'interpelle particulièrement. Le cartel le signale comme "la plus vieille description de la découverte de l'Amérique".

A ma connaissance, le plus ancien sur ce sujet est De Orbe Novo, le livre de Pietro d'Anghiera, qui recueillit directement les témoignages de Christophe Colomb et de son équipage. Mikuláš Štetina Bakalár ne m'évoquait rien du tout. J'ai cherché un peu (avec difficulté) et j'ai fini par trouver qu'il s'agissait ici de la traduction du livre du Florentin Amerigo Vespucci. Il faudrait donc préciser la plus vieille description en tchèque, même si ce n'est évidemment pas la langue moderne.

Bedrich de Donin, récit de voyage

A la Renaissance, Bedrich de Donin (Bedřich z Donína) parcourut une partie de l'Europe et il tint son journal de voyage qu'il illustra lui-même.

2 commentaires:

  1. Outstanding exhibition of ancient books! Your post is so inspiring.
    Thank you very much!
    Annie

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