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vendredi 24 janvier 2020

Barcelone : Aida (Gran Teatre del Liceu)


Une Aida dans le magnifique théâtre du Liceu : une distribution renouvelée et une production historique.




Aida, c'est l'opéra fétiche du Liceu, le plus souvent représenté ici (pas loin de cinq cents représentations). Avec cette œuvre adorée du public et particulièrement célèbre, la grande salle est toujours assurée de faire le plein. D'ailleurs, c'est une salve de quatorze séances qui est lancée cette fois.

Production historique



Le spectacle se base sur des décors créés en 1945 par un Catalan, Josep Mestres Cabanes, qui a dessiné avec un indéniable savoir-faire de fausses perspectives dans des décors pharaoniques, réussissant à sculpter l'espace avec de simples toiles peintes.


Le problème, c'est que, hormis ce décor hyper-réaliste, des costumes colorés et des éclairages fonctionnels, il ne se passe pas grand-chose. Rien qui n'ait été vu mille fois, et surtout, comme c'est souvent le cas, le péplum prend largement le pas sur le théâtre. On vient souvent se planter sur le devant de la scène et l'interprétation scénique semble s'appuyer sur les seuls talents des interprètes.


En outre, l’œuvre qui est avant tout une tragédie intimiste y prend des airs de grand spectacle, dont le défilé avec trompettes constitue le clou.

Pourtant, les thèmes à traiter ne manquent pas : une paire père-fille redoublée, avec d'aussi intéressantes analogies que des des variations, le rôle de la religion (moins affirmé que dans Don Carlos, mais pas anodin pour autant), le classique dilemme amour-honneur retravaillé... Et le thème du regard extérieur, avec des personnages extérieurs à l'action qui la suivent, la commentent (Amneris durant le procès de Radamès) ou y interfèrent (Amonasro survenant dans le duo).

Le metteur en scène Thomas Guthrie a tenté d'infléchir la tradition immuable en faisant descendre et remonter à vue les décors sur la scène vide, au début et à la fin du spectacle, mais ce n'est que mettre en valeur la théâtralité du spectacle sans réfléchir sur ses enjeux. La direction d'acteurs se contente de répéter la convention.

J'ai le sentiment qu'Aida est un opéra qui effraie les metteurs en scène, qui craignent de choquer le public par toute idée nouvelle ; c'est sans doute l'opéra qui est le moins retravaillé par les mises en scène. Et visiblement, une large partie du public continue à se satisfaire de la tradition, y compris dans ses excès. J'ai l'impression que les représentations d'Aida avec parade et jupette ont encore de beaux jours devant elles.

Une distribution renouvelée


Aida Liceu
Luciano Ganci, Angel Odena, Mariano Buccino

Dans un opéra que j'ai, comme tout bon lyricophile, beaucoup vu, c'est toujours intéressant d'écouter de nouveaux chanteurs, même si j'ai déjà entendu deux d'entre eux.

Aida Liceu
Josep Fadó, Marko Mimica, Judit Kutasi, Jennifer Rowley, Luciano Ganci, Angel Odena, Mariano Buccino

Les comprimari sont solides : Josep Fadó, a souvent tenu le rôle du Messaggero (le Messager) ici et il s'y montre toujours impeccable, ainsi que Berna Perles qui chante les vocalises de la Sacerdotessa (la Prêtresse) avec une voix ductile.

Aida Liceu
Luciano Ganci, Angel Odena, Mariano Buccino

 Il Re, le Roi, est interprété par une jeune basse italienne, le prometteur Mariano Buccino ; sa voix assez large et profonde est un atout, même si son interprétation me paraît encore assez discrète. Il est vrai que ce n'est pas le rôle idéal pour s'imposer.

Aida Liceu
Josep Fadó, Marko Mimica, Judit Kutasi



Aida Liceu
Josep Fadó, Marko Mimica

Marko Mimica retrouve le Liceu où il avait campé avec succès Wurm de Luisa Miller et Giorgio des Puritani. Je continue à préférer des timbres plus noirs pour Ramfis, mais c'est un plaisir d'entendre un chanteur aussi scrupuleux, respectueux des nuances de la partition, et dont l'ampleur du phrasé nous éloigne des prêtres aboyeurs qu'on entend parfois. La partition de Ramfis est pleine de noblesse et Marko ne l'oublie pas.

Aida Liceu
Gustavo Gimeno, Luciano Ganci, Angel Odena, Mariano Buccino

Ma référence personnelle pour le père d'Aida, c'est Siegmund Nimsgern. Je ne l'ai jamais vu dans ce rôle mais je connais trois enregistrements et je le trouve un Amonasro absolument génial. Cet artiste, souvent malmené par la critique (on a souvent parlé de malcanto), me paraît idéal pour un rôle qui ne réclame pas la beauté de la voix mais une forte caractérisation, une autorité, un poids du mot. Ces petites indications pour préciser mes critères personnels...

Je devais entendre ce soir Franco Vassallo mais, Marco Vratogna s'étant retiré de la première distribution, on l'a fait coulisser sur celle-là. A sa place, on a engagé le fidèle Angel Odena, bon baryton espagnol qui l'a déjà chanté sur cette scène-ci.  Il propose une interprétation solide aux accents tranchants, et dessine avec netteté le portrait d'un père manipulateur.

C'est un jeune ténor italien, Luciano Ganci, qui interprète Radamès, et qui fait précéder la représentation par l'annonce qu'il est malade mais assurera le rôle. On entend bien que ce n'est pas une plaisanterie et qu'il est souvent contraint de durcir le registre aigu pour éviter l'accident ; les derniers mots de Celeste Aida, (un trono vicino al sol) sont privés de consonnes et deviennent "u -o-o-i-i-a-o". Cependant le timbre solaire reste séduisant et le chanteur montre une réelle vaillance. Un ténor à réécouter en forme !

Aida Liceu
Josep Fadó, Marko Mimica, Judit Kutasi, Jennifer Rowley, Gustavo Gimeno

 La jeune mezzo-soprano roumaine Judit Kutasi a déjà plusieurs Amneris à son actif, notamment à Caracalla et à Verona. C'est aussi une découverte et je suis impressionné par les qualités de cette voix, riche et pleine, extrêmement homogène, depuis des graves ronds jusqu'aux aigus assurés ; la ligne de chant est très soignée et elle fait exister le personnage sans caricaturer. Superbe.

Aida Liceu
Judit Kutasi, Jennifer Rowley, Gustavo Gimeno

Anna Pirozzi, initialement prévue, a décidé de retirer le rôle de son répertoire. Je ne connaissais pas sa remplaçante Jennifer Rowley, pourtant programmée sur de grandes scènes (Semperoper, Opéra de Paris, Metropolitan Opera), notamment en Leonora, Amelia ou Tosca.

La voix me déconcerte au début ; je la trouve surtout lyrique, assez claire, et pas immense. Peu à peu elle prend de l'ampleur et sa couleur s'assombrit. La qualité des aigus, audible dès le début, ne se dément pas et le phrasé bénéficie de la longueur de la voix et de la maîtrise des piani. Le O patria mia est magnifique de tenue, de couleurs, d'émotion. Le personnage s'affirme jusqu'à un superbe duo O terra, addio, d'une parfaite musicalité.

Il s'agit d'une prise de rôle pour cette jeune soprano, félicitations !

Aida Liceu
Gustavo Gimeno

 L'orchestre et les chœurs ont beau connaître la partition par cœur, ils s'y appliquent avec enthousiasme, sous la baguette précise du valencian Gustavo Gimeno. Il évite d'enfler exagérément le volume sonore et je lui en sais gré, même si j'aurais parfois apprécié plus de souffle épique dans l'orchestre.



avec Marko Mimica

avec Luciano Ganci

Josep Fadó

avec Judit Kutasi

Angel Odena

avec Jennifer Rowley

2 commentaires:

  1. I love Aida. You are a lucky man !
    Thanks for your finely detailed report.
    Annie

    RépondreSupprimer

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