Prague : Monastère de Strahov, la bibliothèque

Dans le monastère de Strahov à Prague, les livres rares sont conservés dans une merveilleuse bibliothèque...


L'ordre des Prémontrés fut fondé en France au XIIe siècle et rayonna dans toute l'Europe. Si l'abbaye de Saint-Michel de Frigolet demeure une des rares encore actives en France, en République Tchèque et en Slovaquie on en compte une douzaine, dont ce monastère de Strahov.

Si les Prémontrés étaient caractérisés par leur activité double d'apostolat (auprès des fidèles) et d'office divin (la messe des moines), ils s'attachèrent aussi à l'enseignement ; le collège des Prémontrés, établi au XIIIe siècle, faisait d'ailleurs partie de l'université de Paris.
On comprend donc la présence d'importantes bibliothèques dans ce monastère.

La salle de philosophie

La première se nomme Salle de Philosophie et 42 000 volumes sont rangés dans ses rayonnages. Il s'agit d'ouvrages non religieux, ces derniers sont conservés dans l'autre salle.

Outre l'immensité de la salle et les saisissants rayonnages en bois, on est immédiatement frappé par la fresque du plafond.

On la doit au Viennois Franz Anton Maulbertsch, un peintre chargé de multiples fresques dans des palais et des églises. A Vienne, il est célèbre pour ses décorations au Belvedere, mais aussi pour sa fresque de l'église des Piaristes. Ici, il lui fallut six mois pour peindre ce plafond, assisté d'un unique élève. Ce fut sa dernière réalisation.

Le sujet n'est pas si répandu dans un monastère : la lutte de l'esprit humain pour accéder à la connaissance de la vraie sagesse. Au centre figure la Providence, surmontant les Vertus.

On y relève bien quelques croix et figures religieuses : en bas à droite, il me semble bien identifier Saint Jérôme, le grammairien, dans sa tenue rouge, la pourpre cardinalice. Papes et anges s'activent près de lui. Mais beaucoup d'autres personnages sont clairement profanes. J'entends, à côté de moi, une guide citer Ptolémée, représenté sur la gauche, mais je suis incapable de le reconnaître.

Le mobilier provenait d'un autre monastère tchèque de Prémontrés, celui de Louka, qui venait d'être fermé. Ces rayonnages en noyer s'élevaient à quinze mètres de haut, trop pour cette salle. Fallait-il alors les raboter ?

L'abbé Mayer (également franc-maçon) tenait absolument à cette installation et il fit réaménager la salle, en utilisant les combles au-dessus, pour pouvoir conserver l'ensemble intact.

Plusieurs escaliers, visibles ou dissimulés, permettaient d'accéder à l'étage supérieur.

Le fonds s'accrut ensuite avec le legs de Marie-Louise d’Autriche, la seconde épouse de Napoléon Bonaparte.

La salle de théologie

La seconde bibliothèque, la plus fameuse, est donc réservée aux ouvrages théologiques, en particulier une importante collection de bibles. 18 000 livres, cette fois, s'aligneraient sur les rayons. La guide susmentionnée parle de 25 000 et je ne sais qui a raison ! Elle date de 1671. La bibliothèque, pas la guide, hein.

Le plafond impressionne par sa décoration baroque de stucs ; ce sont eux qu'in remarque avant tout, bien davantage que les fresques d'un certain Siard Nosecký. Ce peintre était un moine de l'ordre, un cas assez courant.

Pourtant ces dernières ne manquent pas d'intérêt : la peinture est d'excellente facture, et elles illustrent notamment le thème de la géographie, pas si répandu.  Des devises latines les accompagnent.

Sur le premier phylactère, je lis nettement Sic docti fulgebunt, "Ainsi les savants resplendiront".

La seconde m'interpellait : Tradidit mundum disputationi eorum, un verset de l'Ecclésiaste. Que Voltaire commenta en son temps (c'était pour cela que la phrase me disait quelque chose). Il m'a fallu tout de même chercher ! La voici en entier, avec en italiques la partie correspondante : "Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps. Dieu a mis toute la durée du temps dans l’esprit de l’homme, mais celui-ci est incapable d’embrasser l’œuvre que Dieu a faite du début jusqu’à la fin." Choix singulier pour une bibliothèque, lieu d'apprentissage du savoir, si celui-ci est vain ! Un avertissement contre la vanité de la connaissance...

Impossible de voir les autres puisqu'on ne peut pénétrer dans la salle. En me renseignant, elles évoqueraient au contraire la passion pour l'étude et le savoir. Je devrais y amener mes élèves !

A gauche, la roue de compilation du XVIIe siècle permettait aux moines de travailler sur plusieurs ouvrages simultanément. On pouvait en poser plusieurs, comme sur un lutrin, et il suffisait de tourner la roue pour accéder à l'autre. Une invention pratique pour les bibliophiles.

De l'autre côté, une statue en bois polychrome du XVIIIe siècle, exceptionnellement bien conservée,  représente un Saint Jean affligé. Et certainement pas Saint Jean-Baptiste comme j'ai pu le lire !

Les globes terrestres et astronomiques sont particulièrement précieux : ils furent conçus au XVIIe siècle par Willem Blaeu, la star néerlandaise de la cartographie. Cet élève de Tycho Brahe fut très réputé pour l'exactitude de ses travaux, et la guerre commerciale qu'il livra à son rival, Jacobus Hondius, poussa chacun d'eux à des globes et des cartes toujours plus minutieux. Ses globes de 68 cm furent de loin les plus volumineux jamais produits jusque là.

A l'arrière, la grille dorée fermait la partie "interdite" : on y dissimulait des ouvrages prohibés, comme l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, compilation scientifique d'une portée infinie, mais aussi pleine d'articles anti-cléricaux, signés de Voltaire et d'autres penseurs peu conventionnels. Il ne faut pas oublier que les Prémontrés formaient au débat, et qu'il était nécessaire de connaître les textes de l'ennemi pour parvenir à les réfuter.

C'est vraiment une visite passionnante et réjouissante ; ces accumulations de la mémoire du savoir m'enchantent toujours. Quelques mois après la visite de la Bibliothèque du Congrès à Washington, me voici dans une splendide bibliothèque !