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samedi 4 janvier 2020

Prague : Exposition František Kupka (Musée Kampa)



Le musée Kampa présente un riche ensemble d’œuvres d'un des plus passionnants peintres du XXe siècle, qui a touché à de nombreuses tendances sans jamais se laisser enfermer par aucune. Un vrai artiste, toujours en recherche, doublé d'un fabuleux coloriste. L'exposition est une vraie rétrospective qui traverse soixante années de la vie du tchéco-français, avec beaucoup d’œuvres rares à la clef.


Les débuts

Né en 1871, le jeune František est destiné à devenir sellier ; mais il se montre déjà très créatif, invente un alphabet avec lequel il tient son journal. Doué pour la peinture, il est encouragé à poursuivre des études aux Beaux-Arts de Prague en 1889. Il y obtient rapidement un diplôme et part pour Vienne en 1892.

František Kupka, Deux dessins sans titre, 1895

Si l'enseignement qu'il reçoit à l'Académie le déçoit, il est enchanté par l'atmosphère bouillonnante de la ville. Le Wiener Werkstatt et la Secession pointent bientôt et animent la ville de leurs créations, ce qu'il intègre rapidement.
František Kupka, Le Bibliomane, 1897

Sans surprise, les oeuvres qu'il produit à cette époque sont encore tournées vers le XIXe siècle, mais révèlent une solide technique et une pointe d'originalité.

František Kupka, Autoportrait au milieu des roses, 1894/95
František Kupka, Autoportrait au milieu des roses, 1894/95 (détail)

Les débuts parisiens



František Kupka, Mercure volant avec une palette, 1899/1901

Il décide de partir à Paris où vit son compatriote Mucha depuis une vingtaine d'années, qui se révèle dans la dernière décennie du siècle un affichiste exceptionnel et un des pères de l'Art Nouveau.

František Kupka, Aquarelle pour la publicité
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, 1906
Il s'installe à Montmartre, quartier pauvre devenu rapidement la Mecque des artistes. Comme son compatriote, il vit surtout de ses activités d'illustrateur et d'affichiste. Il est très loin de mépriser ces activités et  soutient que l'illustration est "un genre qui peut fort bien figurer dans les plus hautes sphères de l'art".

František Kupka, La Vague, 1902

Cependant il peint aussi des tableaux. La ligne et le mouvement y sont visiblement déjà des sujets d'intérêt !

František Kupka, Avant la peinture, 1903

František Kupka, L'Apothéose d'Hélène, 1906

Celui-ci me semble afficher sa dette à la Secession viennoise : composition, matières, motifs décoratifs.

František Kupka, Le Jupiter d'Olympie (étude)

La fameuse statue de Zeus-Jupiter, dans son temple à Olympie, fut sculptée sur le site même par Phidias à qui on avait construit un atelier et c'était une des Sept Merveilles du Monde. Elle fut fréquemment représentée et cette étude de Kupka a la particularité de représenter des personnages dans le temple.

František Kupka, La Chasse au faucon, 1905 (dessin préparatoire pour une illustration)

Il quitte le centre de la capitale pour la banlieue et s'installe à Puteaux, dont il ne bougera plus jusqu'à sa mort en 1957. Il fondera la Colonie tchèque de France, servira la France durant la première guerre mondiale (dans la même compagnie qu'un certain Blaise Cendrars). Devenu François Kupka, il conservera son domicile en assurant ses cours aux Beaux-Arts de Prague et en obtenant le mécénat d'un capitaine d'industrie tchèque.

František Kupka, L'Archaïque, 1910 (étude pour la série des Gigolettes)

Les gigolettes, "filles des rues" selon le CNTRL, faisaient partie de l'imagerie traditionnelle de Montmartre. Kupka explore plusieurs types et varie les styles dans ses versions du thème.

František Kupka, Io, la vache, 1910 (peinture de la série des Gigolettes)

František Kupka, Deux femmes (Etude pour la série des Gigolettes), 1908/09


František Kupka, Baigneuse, 1904

Vers la peinture non-figurative


František Kupka, Eau ou Baigneuse, 1906/09

On voit qu'à partir de 1905, Kupka tente des recherches dans des directions variées : on pourrait parler de fauvisme ou d'expressionnisme parfois, mais il faut souligner que c'est avant tout un peintre qui se définit comme libre et refuse constamment d'être enfermé dans un courant.

František Kupka, Danseuse de cabaret, vers 1906

František Kupka, Andrée, 1906

František Kupka, Étude pour Portrait de famille, 1909

František Kupka, Étude pour Prométhée, 1908/09

František Kupka, Chaise, 1909/10

František Kupka, Femme cueillant des fleurs, 1909/10

On perçoit donc des influences multiples ; l'intensité du pastel pourrait provenir d'Odilon Redon.

František Kupka, Femme cueillant des fleurs, 1909/10 (détail)

František Kupka, Étude pour Plans par couleurs, 1909


Un nouveau langage


František Kupka, Amorpha - chaleur chromatique, 1911/12

La vraie révolution a lieu vers 1910. Il est exposé au Salon d'automne puis au Salon des Indépendants comme peintre cubiste, expression qu'il refuse pourtant.

František Kupka, Amorpha - plans verticaux, 1911/12

Les compositions comme les titres soulignent l'intérêt pour l'abstraction (même s'il s'en défendra) : la ligne, la direction, la couleur sont au centre de ses préoccupations. Il a suivi, faut-il rappeler, des cours de physiologie et d'optique dans les universités parisiennes. On retrouve un lointain descendant de Léonard de Vinci, qui pense que l'artiste doit être un savant et s'intéresser à tout (archéologie, histoire, biologie...).

František Kupka, Étude pour Plans verticaux, 1911/12

František Kupka, Étude pour Le Langage des verticales, 1910/11

František Kupka, La Cathédrale, 1912/13

Ce somptueux tableau est un des chefs-d’œuvre de cette décennie. Une peinture abstraite qui pourrait être vue comme figurative, utilisant les jeux de couleurs des vitraux, et qui souligne la spiritualité parfois présente chez Kupka.

František Kupka, Étude pour  La Cathédrale, 1912/13

L'exposition présente beaucoup d'études (que je n'ai jamais vues pour la plupart), passionnantes tant elles révèlent les multiples possibilités envisagées.

František Kupka, La Foire (Contredanse), 1920/21

Le praxinoscope, un des ancêtres du cinéma, décomposait le mouvement et on voit comment Kupka combine cette influence à son travail sur la courbe, nouveau sujet d'étude après la ligne.

František Kupka, La Foire (Contredanse), 1920/21 (détail)

František Kupka, Études pour Le Conte des pistils et des étamines, 1911/19

L'irrégularité des motifs devient à ses yeux le moyen de présenter la manière organique. On a souvent noté la temporalité introduite par ces formes rythmiques.

"Il est nécessaire, écrit-il, de trouver le moyen de donner une forme tangible à tous les mouvements et d'exprimer la vie intérieure."

František Kupka, Contraste gothique, 1920

František Kupka, Étude pour Autour d'un point, 1911/30

František Kupka, Études pour Localisation de motifs graphiques, 1912/13

František Kupka, Études pour Localisation de motifs graphiques, 1912/13


Formes et structures des couleurs

 Pendant les années 1920, Kupka s'intéresse à la "forme des couleurs" qu'il cherche à analyser. Il les examine dans leur nature physique (on retrouve l'optique), culturelle, symbolique. Selon lui, chacune est dotée "d'un caractère propre, à la fois psycho-physiologique et lié à la civilisation", et l'artiste doit chercher la forme qui permet de le rendre sensible.

František Kupka, Étude pour Printemps cosmique - Création, 1911/20

František Kupka, Études pour Printemps cosmique - Création, 1911/20
 
 
František Kupka, Printemps cosmique - Création, 1919/20




František Kupka, Étude pour Le Coloré, vers 1919



František Kupka, La Forme du bleu, 1924


 Selon le peintre, le bleu attire alors que le jaune force à reculer. Ses recherches s'expriment donc aussi en mouvement et pas seulement en forme.


František Kupka, Étude pour Le Roman du rose, 1911/24

Il se défend toujours d'être un peintre abstrait. "Ma peinture, abstraite ? interroge-t-il. Pourquoi ? La peinture est concrète : couleur, formes, dynamiques. Ce qui compte, c'est l'invention. On doit inventer et puis construire."

C'est avant tout un intellectuel, qui mène ses propres recherches en multipliant les expériences. S'il est proche d'artistes engagés dans d'autres mouvements (Duchamp, Picabia, les surréalistes) on comprend qu'il ne s'intègre dans aucune de ces écoles tant son art est différent.

František Kupka, Étude pour Vers le haut, 1920/22

František Kupka, La Forme du jaune, 1919/23

František Kupka, Echafaudage rouge - poussée vers le haut, 1918

František Kupka, Étude pour Echafaudage bleu, 1918/20

Mécanismes et machines


L'intérêt pour le mouvement se cristallise dans une série d'oeuvres dont les titres déclinent l'énergie. Cela l'amène évidemment à s'intéresser à la machine, un grand thème du moment, qui revisite celui de l'industrialisation apparu au siècle précédent. Les Russes traitent le sujet abondamment (la Nouvelle Galerie Tretyakov de Moscou en témoigne largement) et le futurisme s'y intéressera différemment.

František Kupka, Étude pour Energique sur fond violet, 1920/25

František Kupka, Energique I, 1920/25

František Kupka, L'Alambic, 1929

Chez Kupka, la machine devient donc un sujet : tuyaux, engrenages, roues, bielles, décrivent les réalisations contemporaines, sans qu'il s'éloigne pour autant des problématiques de mouvement, de ligne, de courbe et de couleur.

František Kupka, Étude pour Machinisme, 1926/33

 
 
František Kupka, Étude pour Machine poétique, 1925

Et là encore, je me surprend à établir un soudain parallèle avec Léonard de Vinci, lui aussi passionné par l'outil et la machine.

František Kupka, L'Acier boit, 1927

"La mécanique m'intéresse parce que le mouvement d'une machine est complètement différent de celui d'un animal ou d'un humain."


František Kupka, Sourire O, 1933



La tentation du constructivisme


František Kupka, Étude pour Série C, 1935/40

En 1931, il crée avec Auguste Herbin et Theo van Doesburg un mouvement, Abstraction-Création, qui veut réagir contre le surréalisme et la nouvelle objectivité allemande, deux tendances qui lui sont - évidemment - complètement étrangères. Son indépendance l'amènera - toujours évidemment - à quitter le groupe peu après, mais ce compagnonnage le pousse à creuser des influences étrangères, le constructivisme et le néo-plasticisme.

František Kupka, Plans par courbes, 1926

Les études qu'il poursuit alors le font travailler sur le mouvement rotatif, et le rapport entre éléments circulaires et architectoniques.

Sa peinture se concentre sur ces notions et devient peu à peu minimaliste. Il envisage que l'art est également construit sur trois éléments fondamentaux : équilibre, croisement, évitement.

František Kupka, Abstractions, 1930/35
/  Étude pour Circulaires et rectilignes, vers 1930

Après le déferlement de mouvement et l'intensité de la couleur, sa peinture est donc stricte et de plus en plus intellectuelle.

František Kupka,  Circulaires et rectilignes, vers 1930


František Kupka, Ensemble statique, 1933/34


František Kupka, Étude pour Série C, 1935/40

František Kupka, Plan violet, 1954

František Kupka, Étude pour Verticales et diagonales, vers 1950

La peinture des dernières années est une sorte de carrière en accéléré, où les différentes phases, assimilées, digérées, rejaillissent dans un nouveau bouillonnement.


Si la plupart des expositions Kupka que j'ai visitées présentent beaucoup d'oeuvres de cette ultime période, celle-ci en est vraiment avare. Mais la richesse de tout ce qui précède rachète largement. Dans un très agréable musée, avec une muséographie plaisante et bien faite, des commentaires bilingues, je n'ai pas boudé mon plaisir.

3 commentaires:

  1. I didn't know this painter but I love this colored world and you give the accurate keys to understand it.
    An amazing post again.
    Annie

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  2. Article très complet, remarquable travail !

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