Paris : Exposition Luca Giordano au Petit Palais (1)

Chic, une exposition Luca Giordano à Paris ! Bien sûr, l'exposition pâtit un peu du voisinage fameux de celle que le Louvre consacre à Léonard de Vinci. Je le vois plutôt comme un généreux complément pour explorer deux périodes différentes de l'art italien, si cette expression a vraiment un sens...



Luca Giordano est un peintre présent dans beaucoup de musées, notamment français. Sa production abondante n'y est pas étrangère... C'est avant tout un peintre napolitain, et l'exposition a été organisée en collaboration avec les musées de la ville ; Capodimonte a prêté une large partie de l'exposition. Quelques raretés jamais vues, également.
Bref, une exposition passionnante à découvrir !

Autoportraits

Luca Giordano, Autoportrait, 1660

L'autoportrait le plus ancien est le plus original, avec cette pénombre d'où le visage émerge à peine.

Luca Giordano, Autoportrait, 1665

Façon nobliau du XVIIe, fier et conscient de sa réussite. Cet autoportrait faisait partie de la fameuse collection des Medicis.

Luca Giordano, Autoportrait, 1688

 Avec la maturité, davantage de gravité. Les lunettes (dont il affublera un de ses Philosophes) sont un attribut rare.

Luca Giordano, Autoportrait, vers 1692

Une douzaine d'années avant la mort de l'artiste, la gravité est devenue sévérité.

C'est finalement assez rare de disposer d'autant d'autoportraits d'un même artiste, l'exemple de Rembrandt restant totalement unique dans l'histoire de l'art ancien.

Premières années

Luca Giordano est reconnu tout petit pour son talent et son père le pousse à recopier des estampes de Dürer pour apprendre le métier. Il est rapidement remarqué pour la rapidité de son travail, qui lui vaudra le surnom de Fà Presto, "Va vite" !

Il élargit ses connaissances en réalisant des pastiches de grands maîtres, Titien, Corrège ou Rubens. On l'accuse d'être un faussaire mais il cherche seulement à s'amuser et à démontrer sa virtuosité.

Cela explique les brusques changements de style. On croirait réellement avoir affaire à plusieurs peintres !

Luca Giordano, L'Enlèvement de Déjanire, vers 1660

Le centaure Nessos enlève Déjanire qui, épouvantée, appelle son mari Hercule à l'aide. Giordano crée un clair-obscur qui souligne l'affect, dans une vraie recherche baroque. Les couleurs sont étonnantes : un camaieu de bruns qui met soudain en valeur les lacets bleus, seule teinte froide du tableau.

Luca Giordano, Traditio clavium (Le Christ remettant les clefs à Saint Pierre), 1650

Thème classique, traitement qui me semble annoncer Salvator Rosa. Je n'aime pas du tout cette palette !

Luca Giordano, Jacob et Rachel au puits, vers 1650

Dans la Genèse, Jacob ouvre le puits avant de rencontrer sa cousine Rachel et de lui révéler son identité. Même mise en valeur du bleu au milieu de teintes rousses que je trouve peu séduisantes, mais un vrai éloge de la Renaissance vénitienne.

Luca Giordano, Le Christ devant Pilate, 1650

La manière hollandaise, cette fois.

Luca Giordano, Vierge à l'Enfant avec Saint Jean-Baptiste, vers 1655

Dans une construction à la Raphaël (la fameuse pyramide), un tondo Renaissance.

De retour de Rome

Un séjour autour de 1663 permet au jeune Luca d'approfondir ses connaissances, au contact des oeuvres de Raphaël, Poussin ou Pietro da Cortona. Il assimile toutes ces influences et construit son propre style, ce qui lui permet d'obtenir des commandes dans les églises napolitaines. Les grands formats sont les permiers d'une longue série ; c'est souvent avec des toiles semblables que Giordano est représenté dans les musées.

Luca Giordano, La Sainte Famille avec les symboles de la Passion, 1660

Composition originales pour une toile pleine de mouvement. En pleine Contre-Réforme, les instruments de la Passion deviennent un leitmotiv du baroque romain. Ils apparaissent dans une autre Sainte Famille à Santa Maria del Popolo ou dans la voûte de Santa Pudenziana.

Luca Giordano, Saint Michel Archange chassant les anges rebelles, 1657

Mouvement, figures serpentines...

Luca Giordano, Saint Michel Archange chassant les anges rebelles, 1657 (détail)

Et réalisme des expressions ! Giordano a utilisé le groupe antique du Laocoon pour créer ces visages violents. La virtuosité, la rapidité de la peinture sont bluffantes de près.

Luca Giordano, Saint Michel Archange chassant les anges rebelles, 1657 (détail)

Giordano signe fièrement ses toiles avec un monogramme, comme son premier modèle Dürer.

Luca Giordano, Madone du Rosaire, 1657

Ce fut le retable le plus fameux du peintre, dans un style très différent du précédent. Immobilité, détail, éclat de la palette.

Luca Giordano, Saint Thomas de Villeneuve distribuant les aumônes, 1658

Tomas de Villanueva fut canonisé en 1658, et c'est à cette occasion que Giordano réalisa ce retable pour l'église napolitaine de Santa Maria della Carità.

Luca Giordano, Extase de Saint Nicolas de Tolentino, 1658

Autre retable pour Santa Maria della Carità, consacré au saint miséricordieux des Marches. Habile clair-obscur qui valorise la lumière, presque aveuglante.

Le legs de Ribera

Le peintre espagnol Jusepe de Ribera accomplit une large partie de sa carrière à Naples. En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que, comme Caracciolo, il perpétue l'héritage du Caravage en travaillant contrastes et clair-obscur. Et, comme lui, il présente gens du peuple comme des saints ou de nobles personnages.

Dans la capitale campanienne, il règne alors en maître et exerce une large influence parmi ses collègues. Les commissaires d'exposition ont eu la bonne idée de juxtaposer des toiles de plusieurs artistes napolitains, et c'est éloquent.

Luca Giordano, Le Christ à la colonne, 1660

Battistello Caracciolo, Le Christ à la colonne, 1620

L'excellent Caracciolo (toujours trop méconnu à notre époque, hélas) peignait déjà à Naples avant l'arrivée de Ribera et on mesure ici sa reconnaissance du caravagisme. Spectaculaire mise en espace avec un Christ gigantesque, qui occupe toute la hauteur du tableau.

Luca Giordano, La Mise au tombeau, 1670

Très intense Mise au tombeau, silencieuse et recueillie. Le travail sur la lumière est admirable.

Luca Giordano, Le Bon Samaritain, 1660

Le musée de Rouen acquit cette toile comme étant un Ribera, et l'identification correcte fut très tardive. Quel abyme entre les styles des deux tableaux !

Luca Giordano, Le Martyre de Saint Pierre, 1660

La Bible raconte que Saint Pierre fut crucifié tête en bas à sa demande, voulant rester humble par rapport à la crucifixion du Christ. L'iconographie a fixé cette croix dirigée vers le bas ; le rapprochement entre ces toiles et, plus étonnant, de spectaculaires Apollon et Marsyas, est très fructueux.

Mattia Preti, Le Martyre de Saint Pierre, vers 1658

Luca Giordano, La Crucifixion de Saint Pierre, 1692

Jusepe de Ribera, Apollon et Marsyas, 1637

Marsyas prétendit vaincre Apollon à un concours de flûte et, à sa défaite, les Muses le condamnèrent à être écorché vif. Les versions de Ribera et de Giordano montrent plus qu'une parenté (construction, personnages, couleurs).

Jusepe de Ribera, Apollon et Marsyas, 1637 (détail)

Luca Giordano, Apollon et Marsyas, 1660

Saint Sébastien

Le soldat romain ne cessait de clamer sa fidélité au Christ et on tenta de le tuer en lui décochant des flèches, la scène-clef de la sagittation. Il ne mourut pas, fut soigné par Irène (scène superbement traitée par de la Tour) avant d'être jeté au Cloaque. C'est généralement l'occasion pour les peintres devant s'acquitter de commandes religieuses de peindre de beaux éphèbes...

Trois versions complètement différentes pour une seule décennie napolitaine.

Jusepe de Ribera, Saint Sébastien, 1651

Un magnifique Ribera, méditatif, au regard intense, et vraiment original dans sa façon de réinventer le personnage.

Mattia Preti, Saint Sébastien ligoté, 1657

Chez Preti, le clair-obscur est plus marqué. Le regard me semble plus apaisé.

Luca Giordano, Saint Sébastien, 1660

La version de Giordano ne ressemble à aucun des Saint Sébastien que je connais. Sans concession, sans aucune recherche de beauté, avec même une palette sépulcrale. J'ai l'impression d'un visage horrible, au sens étymologique. Un tableau presque expérimental, vraiment très curieux.
Je pense à la phrase de Courbet : "Je ne peins pas pour plaire."

Les Philosophes

En pleine Contre-Réforme, l'Antiquité revient à la mode, redevient sujet d'étude et apporte quantité de thématiques artistiques. Certes, les textes antiques, Métamorphoses, Guerre des Gaules et Iliade étaient bien connus, mais on s'intéresse maintenant à l'Antiquité comme sujet.

La représentation des philosophes antiques est soudain la tendance du moment. Luca Giordano s'y manifeste, mais en présentant des gens du peuple comme de célèbres philosophes, reprenant donc à son tour une des caractéristiques du Caravage.

Luca Giordano, La Mort de Caton, vers 1684

Luca Giordano, La Mort de Sénèque, vers 1684

Luca Giordano, Philosophe traçant des figures géométriques avec un compas, vers 1660

Luca Giordano, Philosophe avec une mappemonde - Ptolémée, vers 1660

Luca Giordano, Musicien accordant son luth, 1660

Luca Giordano, Philosophe aux lunettes, vers 1660

Luca Giordano, Philosophe tenant un livre et un rouleau de papier, vers 1660

Luca Giordano, L'Histoire écrivant ses récits sur les épaules du Temps, 1682

La peste à Naples

L'année 1656 est marquée par une terrible épidémie de peste qui décime la ville ; plus de la moitié de la population disparaît dans la catastrophe.

Micco Spadaro, La Peste au Largo del Mercatello, 1656

 Micco Spadaro, le chroniqueur de la ville, décrit les places jonchées de cadavres.

Mattia Preti, Esquisse pour la Peste, 1656

Dans les peintures votives qui leur sont commandées, Preti et Giordano montrent à leur tour avec un saisissant réalisme les corps abandonnés.

Luca Giordano, San Gennaro intercède pour la cessation de la peste, 1660

San Gennaro, le protecteur de Naples, est invoqué dans toutes les catastrophes touchant la ville, épidémies ou éruptions du Vésuve.

Luca Giordano, Déposition, vers 1663

Giordano dessinateur

C'est évidemment un travail auquel se livrait tout peintre ; curieusement, si les peintures de Giordano ne sont pas rares, j'ai vu très peu de ses dessins. L'occasion est belle, surtout que le choix retenu illustre des états divers, du simple croquis au dessin rehaussé.

Luca Giordano, Tête de vieillard

Beau travail à la plume.

Luca Giordano, Mendiant ou Berger en adoration

Un croquis tout simple, fascinant de maîtrise !

Luca Giordano, Judith triomphante, vers 1700

Luca Giordano, Apollon et Daphné, vers 1685

Daphné, poursuivie par Apollon (il serait condamné pour harcèlement aujourd'hui !) n'a d'autre ressource que de demander à son père d'être métamorphosée en arbre. Ce moment crucial est généralement retenu par les artistes car il permet l'identification du mythe.

Luca Giordano, Minerve foudroie les géants / Etude de putti, vers 1685

Quelques touches de pinceau, et le relief est créé.

Luca Giordano, Hercule et les juments de Diomède, vers 1684

Giordano sera amené à travailler les Travaux d'Hercule pour une importante commande durant son long séjour en Espagne.

Luca Giordano, Le Triomphe de Thétis, vers 1685

Thétis ne cesse de se métamorphoser pour éviter le mariage, mais elle finira par céder. C'est pendant ses noces que la déesse de la discorde lancera la pomme (la pomme de discorde, vous suivez ?) à la plus belle femme. On connaît la suite : jugement de Pâris, guerre de Troie, etc.

Thétis est également la mère d'Achille.

Luca Giordano, Sainte Cécile, 1665

Sainte Cécile, la jeune Romaine qui entendait de la musique dans sa tête, est devenue la patronne de la musique. Ici elle joue de l'orgue pour les anges !

Luca Giordano, Suzanne et les vieillards, vers 1655

Encore une jeune innocente de l'Ancien Testament, victime de la concupiscence masculine. La "chaste Suzanne" repousse des vieillards libidineux qui se vengeront en l'accusant d'adultère. Mais Daniel, le prophète, arrivera à temps pour la sauver !

Suite dans le prochain article !