Deux opéras dans la même journée, ce n'est pas si fréquent. Mon record demeure à trois, lors d'une journée londonienne, et j'ai connu des séries de deux à une vingtaine de reprises. Quand on aime, on ne compte pas.
Après Čert a Káča, le réjouissant opéra de Dvořák, c'est le plus familier Carmen qui m'attend ce soir. Il était temps : j'en vois toujours au moins une représentation par an, et 2019 a failli s'achever sans Carmen ! Quelques mots donc sur cette représentation-ci.
La production de Jozef Bednárik
Le meilleur de la production, c'est le décor de Vladimír Čáp, pour l'essentiel deux panneaux pivotants qui permettent de redessiner rapidement l'espace.
Pour le reste, je ne suis pas vraiment convaincu. L'idée de montrer une prison où Don José est enfermé après l'assassinat de Carmen comme fil rouge de l'œuvre n'est pas spécialement pertinent. Le flottement temporel, créé par des costumes d'époques différentes, ne me semble pas davantage fructueux.
Et je trouve qu'ici il y a trop d'Espagne et trop de danse, à mon avis les deux pires écueils où peut tomber une production de Carmen. Comme disait un metteur en scène célèbre, il y a déjà assez d'Espagne dans cette musique sans qu'on ait besoin d'en ajouter sur scène. On risque fort de tomber dans le folklore, sans doute le pire service à rendre à cet opéra-tragédie. Même problème pour la danse, qui vient ici à tout moment s'insérer dans l'action, confinant parfois au ridicule.
Le seul moment qui me paraît intéressant à ce sujet est d'avoir remplacé le cortège du quatrième acte par des évolutions de danseurs. On évite la parade, qui peut nuire à Carmen autant qu'à Aida, à mon avis un vrai problème de mise en scène.
La direction d'acteurs s'est peut-être perdue en route, ou bien elle cumulait depuis ses débuts des contradictions : réaliste avec le jeu de Don José et Micaëla, émouvants et sincères, pleine de poses et artificielle avec le surjeu de Carmen.
La distribution du soir
Les deux militaires clefs de fa font valoir des voix puissantes et timbrées, quoiqu'un peu rustiques. Le jeune Lukáš Bařák, Morales, a d'ailleurs un timbre plus clair que son comparse Pavel Švingr, un Zuniga autoritaire à la voix sombre. Quant aux contrebandiers, Václav Lemberk en Remendado et Jiří Hruška en Dancaïre, ils projettent bien la leur et montrent dans le quintette toute la précision nécessaire.
Marie Fajtová, Jiří Hruška |
Marie Fajtová, mon Oscar de l'an dernier, se tire bien de son emploi de Frasquita, qui consiste surtout à dominer les ensembles par de vaillants aigus et à se montrer à l'aise scéniquement. Elle forme une paire tout à fait convenable avec Stanislava Jirků, Mercedes, dont la voix cuivrée laisse présager un futur emploi dans le rôle-titre.
Roman Janál, Alžběta Poláčková |
Roman Janal est un honnête Escamillo, un peu faible dans les graves mais sa voix projetée a la vaillance nécessaire. Il est un des participants à prononcer le mieux le français, par ailleurs.
Alžběta Poláčková |
Alžběta Poláčková demeure une des plus belles sopranos de la troupe, et une excellente musicienne très attentive à sa ligne de chant et au respect des moindres nuances. Son Je dis que rien ne m'épouvante, émouvant comme il se doit, est un des meilleurs moments de la soirée.
Peter Berger |
Je suis très heureusement surpris par les progrès de Peter Berger, assurément un excellent Don José. Il maîtrise à la fois la tessiture meurtrière (solide fin de l'acte III) et l'endurance du rôle, sans jamais sacrifier musicalité. Sa composition d'un personnage qui se détruit peu à peu montre beaucoup de sensibilité. J'ai été particulièrement sensible à son dosage des nuances dans la gestion du rôle, mené avec intelligence.
Andrea Tögel Kalivodová |
Le cas d'Andrea Tögel Kalivodová est assez différent ; elle gère plutôt bien le rôle immense de Carmen, varie l'interprétation en fonction des styles des airs et son personnage ne manque pas de vie. Mais j'ai été gêné par le vibrato, assez large et assez lent, et par les passages parfois acrobatiques entre les registres. La musicalité m'a semblé un peu trop exubérante, et le jeu, trop surexposé.
Jakub Klecker |
Je ne connaissais pas Jakub Klecker, un chef très pro qui sait y faire et assure une mise en place précise, notamment dans les nombreux périlleux ensembles. Il aide affectueusement les chanteurs et n'oublie pas la poésie de l'œuvre. L'entracte du IIIe acte, avec une flûte aux couleurs d'Europe centrale, est onirique et délicat comme il se doit. Les chœurs et orchestre semblent avoir assuré les deux représentations du jour, (je reconnais de nombreux membres) et ne donnent pourtant aucun signe de fatigue.
Marie Fajtová |
Alžběta Poláčková |
Jakub Klecker |
Stanislava Jirků |
avec Peter Berger |
Jiří Hruška |
Roman Janál |
Andrea Tögel Kalivodová |
I love Carmen. Thanks for your amazing review!
RépondreSupprimerYou look great with the handsome Berger!
Annie
Thank you very much, Annie, for all of your kind words!
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