Yokohama : Sankei-en, le jardin aux maisons anciennes

Le Sankei-en a une histoire plutôt inhabituelle. Sankei Hara, négociant de soie, homme politique, collectionneur, était aussi amateur de jardins et il décida la réalisation de celui-ci en 1902. Les travaux durèrent vingt ans, mais il était déjà en partie ouvert au public dès 1906. Il y avait aussi établi sa résidence avec un jardin intérieur et souhaité y transporter des constructions historiques en provenance de différentes régions. Comme la maison japonaise est facilement démontable, le problème essentiel est limité au transport.
Aujourd'hui c'est un jardin de plus de dix-sept hectares avec dix-sept bâtiments historiques, deux mares, qui crée cette oasis de verdure à deux pas du port méthanier.



J'achète mon billet à 700 yens et me voici dans la place.

Le jardin extérieur

A la pêche

Un fort aimable assistant me propose de me joindre à la joyeuse foule hétéroclite. Beaucoup d'enfants s'adonnent aux joies de la pêche, mais aussi des adultes. Je retrouve un couple de Nancéiens, Ethan et Noémie, rencontré à la gare de Kyoto, qui s'amusent comme des petits fous.

C'est l'écrevisse qui est la proie convoitée? Une d'elle s'est déjà échappée du seau et se dissimule dans l'ombre.

Ce n'est pas bien commode de pêcher dans cette mare où l'eau est opaque et le matériel dérisoire, mais ça ne freine pas l'enthousiasme de la troupe.

Je suis tout ahuri devant ce miracle de la nature. Je croyais à des feuilles en plastique mais la nature s'est chargée de la réalisation. On connecte simplement un tuyau d'arrosage à une tige de lotus et l'eau jaillit par les nervures. Magique !

Kakushokaku

C'est au début des travaux que Sankei Hara fit construire sa maison officielle, légèrement en retrait du jardin.

Il s'agissait d'une très spacieuse résidence : 950 m2, ce qui ne se voit guère de l'intérieur.

Les intérêts multiples de Sankei y amenèrent foule de noms célèbres, industriels et politiques évidemment, mais aussi personnalités culturelles (écrivains comme Rabindranath Tagore) et artistes.

A l'extérieur, une chaufferie en briques suivait un modèle européen. La présence de cheminée est toujours un indice, cet élément pourtant essentiel est toujours absent des constructions traditionnelles japonaises.

Il paraît que la tonnelle de glycines est une extraordinaire splendeur à la floraison. Je veux bien le croire.

Mais en ce moment, pas de cerisiers en fleurs, pas de champs de pivoines ; seuls les lagerstroemias apportent leurs notes colorées.

Le jardin intérieur

Go-mon

Le Go-mon ouvrait autrefois sur le Saiho-ji, un temple de Higashiyama à Kyoto. Construit en 1708, c'est une des toutes premières structures historiques à avoir été achetées par Sankei.

Il la plaça à l'entrée du jardin intérieur, une zone qui grimpe dans la montagne et où s'étagent les édifices historiques.

Hakuuntei

Non content de posséder la vaste villa précédente, Sankei fit aussi édifier celle-ci, plus intime, en 1920. Le cartel indique qu'elle suit le style Sukiya, "artistique et pittoresque" selon les informations que je trouve.

Tenzui-ji Juto Oido

Notre vieille connaissance, Hideyoshi Toyotomi, fit construire à Kyoto le Tenzui-ji, un temple secondaire dépendant du Daitoku-ji, afin d'y prier pour la convalescence de sa mère. A sa guérison, il ajouta un Juto, une stèle qui célèbre la longévité de quelqu'un.

Le Juto est aujourd'hui conservé dans l'enceinte du Ryusho-ji, un des nombreux temples dans l'enceinte du Daitoku-ji.

Sankei acheta le Oido, la construction qui protégeait la stèle. Ce petit temple de 1592 est remarquablement conservé et le luxe de détails y est extraordinaire.

Depuis ma visite du Hoko-ji où mon attention s'était soudain focalisée sur ces femmes-anges, j'ai fait quelques recherches dans le voyage en train. J'ai appris que ces kinnari sont des créatures hybrides, à la fois femmes et cygnes. Elles représenteraient un idéal féminin par la beauté de leurs traits, leur grâce et leur chant. Leur séjour traditionnel est l'Himavanta, la forêt autour du Mont Meru, où habite aussi l'aigle Garuda.

Ah, le plaisir de ces ponts couverts ! Celui-ci, le Teisha, est particulièrement charmant avec son toit qui trace des courbes élégantes.

Rinshukaku

Une des plus belles maisons achetées par Sankei. On la construisit en 1649 pour Yorinobu, haute personnalité proche de Tokugawa Ieyasu, le shogun fondamental dans l'histoire du Japon.

Les peintures délicates sont toutes à l'encre.

On s'attendrait à trouver des exemples de kacho-ga, la peinture des fleurs et des oiseaux, si courante sur les fusuma, les cloisons coulissantes. Ici c'est le fukei-ga, la peinture de paysages, qui prédomine.

Je crois que c'est très rare qu'on connaisse l'auteur des peintures. Ici, pour cette série de sansui ("montagne et cascades", une catégorie du genre précédent), on sait que c'est Untaku Toetsu, un grand peintre du XVIIe siècle.

L'habituelle ouverture en bouton de rose, toujours aussi gracieuse.

La fontaine à l'extérieur : avant la lettre, une publicité pour Michelin !

Gekkaden

Cette villa, partiellement sur pilotis de hauteur différente, date de 1603. Elle s'élevait à proximité du Fushimi-jo, ce château de montagne à Kyoto dans la zone de l'actuel sanctuaire Fushimi Inari.

Le travail de la rembarde est vraiment très rare et il signale une demeure de haut rang.

En effet, c'est le shogun Tokugawa Ieyasu qui la fit construire, pour qu'elle serve de maison d'hôte aux daimyo de passage.

Je trouve que celle-ci se démarque vraiment de la grande série de maisons historiques japonaises que je visite depuis mon premier voyage, et je pense que le large balcon avec la balustrade lui apporte un caractère tout différent.

Kinmokutsu

Une toute petite maison de thé (un tatami trois quarts, ça fait peu), construite par Sankei en 1918. Mais tout de même une maison historique car l'alcôve utilise une rampe du Kinmokaku au Daitoku-ji !

On voit vraiment un tempérament de collectionneur, qui se satisfait d'un petit morceau ancien et le met en valeur.

Tenju-in

Jadis le Tenju-in était un Jizo-do, un pavillon réservé au culte de Jizo, ce Boddhisattva généralement muni de bonnet et de bavoir.

Ce pavillon carré est couvert d'un très large toit de chaume, et serait caractéristique du style des temples zen dans la période Muromachi. Tout ce que je peux dire, c'est que la combinaison des poutres est très inhabituelle.

Choshukaku

Un rare témoignage (effectivement, je n'en ai jamais vu) de ces pavillons surmontés d'une tourelle. Celui-ci date de 1623 et on le doit à Tokugawa Iemitsu, le troisième shogun.

C'était un des pavillons à l'intérieur du Nijo-jo, le château de plaine de Kyoto.

La structure me semble particulièrement originale, avec tous ces décrochements. On voit un souci évident de créer du rythme et d'éviter la symétrie.

Sunshoro

Cette petite maison de thé est tout de même de belles dimensions par rapport à beaucoup de ses consœurs : trois tatamis trois quarts !

Elle fut construite à Uji, fameuse ville de thé vert, par un grand maître de thé, Oda Urakusai, au début du XVIIe siècle. On ne peut pas y entrer mais toutes celles que j'ai visitées n'apportent rien de plus. Des tatamis, des fusuma, un trou ou un brasero pour le thé. Il faut avoir une fontaine proche et un cadre naturel. Ici, on est servi.

Un visiteur avance à découvert. Un bijou égaré.

Rengein

Ce n'est pas une des constructions historiques, mais une maison de thé avec plusieurs pièces que Sankei Hara fit réaliser en 1917.

Ce n'est pas qu'une maison de thé supplémentaire s'avérait absolument nécessaire, mais il put utiliser comme pilier central celui qu'il avait acheté provenant du Byodo-in, le grand temple historique d'Uji.

L'entretien n'est pas une mince affaire dans ces jardins immenses. Malgré l'apparence faussement naturelle, ces espaces herbeux ou moussus sont soigneusement entretenus. Ces jardinières avec leur outil recourbé sont une image familière dans les jardins.

Memorial Hall

Conçu comme une maison de thé au-dessus d'un lac miniature, ce bâtiment moderne présente le créateur du parc et quelques objets de sa collection.

Fils du maire du village, Hara étudia notamment les Beaux-Arts et la poésie avant de devenir professeur dans une école de jeunes filles. Il épousa une de ses élèves et fut adopté par sa belle-famille qui le fit participer aux activités de négoce de soie. Son don pour les affaires l'amena à diriger bientôt toute l'entreprise. Yokohama était alors, je le rappelle, le port dominant pour l'exportation de la soie vers l'Occident.

Sa passion pour l'art et l'histoire ne l'abandonna jamais. Et fut évidemment facilitée par les moyens très larges dont il put disposer. Un personnage très romanesque, finalement.

Quelques peintures de Senkei Hara rappellent sa solide formation artistique.

Celles-ci ont été réalisées à la toute fin de sa vie, quand il s'était retiré des affaires.

Les photographies présentent l'entreprise florissante.

Je continue à me demander si je ne suis pas passé devant cet immeuble !

Pavillon du début du XVIIe siècle de  Sanraku Kano, Pins dans le crachin.

Boîte de voyage et seau laqué, avec le blason shogunal.

Une belle série de peintures anciennes suit, mais il est malheureusement interdit de les photographier.

Un panneau récent, de 1983, avec de superbes peintures de végétaux.

Jardin extérieur, suite

Et c'est reparti pour la grimpette ! C'est très facile d'oublier ici que je n'ai pas quitté le centre-ville. Ces parcs donnent toujours l'impression de partir en forêt…

Qu'est-ce que cette énorme bestiole ? Je n'ai pas trop tourné autour, mais on aurait bien parié pour un dard. Ca me rappelle aussi les photos d'acarien. Bref, je n'ai pas d'idée, je fais appel au savoir infiniment supérieur au mien des lecteurs.

Une fois arrivé en haut, il faut se rendre aux dures réalités.

Zenzaburo

Après le tremblement de terre du Kanto, voilà tout ce qui restait de Zenzaburo.

Bien avant que le parc ne fût réalisé, la famille possédait ici une villa baptisée Zenzaburo, (le Pavillon du Vent dans les Pins) par Ito Hirobumi, premier ministre. De style chinois, elle jouissait alors d'une vue imprenable sur la baie de Yokohama. Lorsque le couple se déplaça au Kakushoku, elle devint maison d'hôte pour les invités. Rabindranath Tagore dont je parlais plus haut, le premier Prix Nobel asiatique, résida ici plusieurs mois.

Une déesse Kannon veille à l'approche de la pagode.

La pagode du Tomyo-ji

Sous le règne de l'empereur Shomu, on fonda en 735 le Tomyo-ji à Kamo, un village des environs de Kyoto.

La pagode n'est pas si ancienne : on l'érigea en 1457, pendant l'ère Muromachi, et elle fut tranportée ici en 1987. Grâce à cette relocalisation, elle est devenue la plus ancienne pagode du Kanto, la région de Tokyo.

Cette fois, le panorama s'étend en direction du centre-ville. Le parc est vraiment un îlot au milieu de l'urbanisation.

Garyobai

Ce prunus japonais est célèbre depuis fort longtemps à cause de son tronc, comparé au corps d'un dragon. Il a été représenté plusieurs fois dans des peintures anciennes.

Yokobuean

Dans cette maison de thé on trouva une statue de Yokobue, une jeune fille du VIIIe siècle dont l'histoire est racontée dans le Dit des Heike. A la suite d'une histoire d'amour tragique, elle se retira dans un monastère. Son nom est également celui de la flûte traversière japonaise, je ne sais pas s'il y a un lien entre les deux.

Cette photo reste le seul document concernant la fameuse statue, aujourd'hui disparue.

Dans le jardin, on peut visiter de manière plus approfondie Gassho Zukuri, une intéressante ferme-résidence.

L'ancien sanctuaire du Tokei-ji

Les différents renseignements sur ce sanctuaire ne concordent pas, et la photo est très difficile compte tenu d'une barrière et d'un arbre. J'ai fait de mon mieux…

Point commun entre les informations, un sanctuaire Zen de l'ère Muromachi provenant de Kamakura.

Tomyo-ji

Voici à présent le temple d'où provenait la pagode, remontée au sommet.

Datant du VIIIe siècle donc, il fut démantelé par un typhon en 1947. Les constructions japonaises, sans fixation définitive (clou, vis…) fonctionnent sur l'assemblage savant de poutres et de planches et on les démonte et remonte à volonté. Il resta donc dans un entrepôt jusqu'en 1986, où on restaura les parties dégradées et on le reconstruisit ici.

C'est un temple simple, tranquille et sobre. Pour une fois, la quincaillerie dorée n'y est pas accrochée et c'est effectivement un lieu très propice à la méditation.

C'était la dernière de ces constructions historiques. Je n'ai plus qu'à continuer le tour de l'étang pour regagner paisiblement l'entrée.

La barque est devenue un perchoir de choix. Les espèces semblent y cohabiter sans animosité.

C'est une fort agréable promenade qui allie richesse culturelle et beauté naturelle. Vraiment une visite à recommander si on est de passage à Yokohama. Ou même à Tokyo, le train est direct jusqu'ici.