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lundi 7 février 2022

Belvedere : Van Gogh, Schiele...

 


 Difficile de trouver un titre pour réunir ces peintures qui couvrent une cinquantaine d'années et figurent tout de même parmi les emblèmes de la collection du Belvedere. J'ai mis en avant les noms les plus connus, même si les œuvres de Segantini ou de Gerstl marquent bien les souvenirs des visiteurs !

Je me suis demandé comment classer. Par ordre chronologique ? En suivant les salles ? Finalement, s'est dessiné tout seul un ordre chronologique inversé.

Edvard Munch, Hommes sur le rivage, 1908

Le peintre norvégien, fameux auteur du Cri, est assez reconnaissable dans cette vigoureuse peinture aux couleurs franches. Sujet étonnant que ces hommes nus, face au peintre et donc au spectateur, qui semblent le dévisager. La posture de celui de gauche, bras écartés, n'est pas moins  surprenante. On est loin de l'univers classique des Baigneuses traditionnelles et il me semble qu'il y a presque une brutalité, une évidence dans cette représentation du corps. Munch a peint beaucoup de scènes de rivage mais c'est la seule que je connaisse avec un tel sujet (ce qui ne signifie pas qu'il n'y en a pas d'autres, bien sûr).

Broncia Koller-Pinell, La Moisson, 1908

Broncia Koller-Pinell n'est pas la plus connue des peintres de cette époque, même pas en Autriche, et le pan le plus célèbre de son oeuvre serait plutôt des portraits et des natures mortes. Elle affronte ici un thème agreste bien présent au XIXe siècle, et que les peintres autrichiens de cette époque continuent à traiter.

La scène précisément détaillée au premier plan, avec des personnages sans traits mais cernés d'une ligne noire, s'étire en un paysage doux, presque pastel. C'est la densité chromatique de la rivière qui vient dynamiser la palette. Difficile d'y voir l'expressionnisme dans lequel on range habituellement cette artiste, mais le tableau est assurément plus complexe que la première impression qu'il procure.

Ferdinand Hodler, Émotion, 1918

On a un peu oublié Ferdinand Hodler, le grand peintre suisse du tournant du siècle, un vrai artiste proche de Klimt qui expérimente dans tous les sujets, tous les genres. Réalisme, impressionnisme puis expressionnisme, symbolisme... Rodin comme Kandinsky le tiennent en haute estime.

Le traitement de la prairie peut d'ailleurs rappeler Klimt, mais le traitement de la femme rappellerait davantage l'expressionnisme de Schiele, et le corps anguleux, très lisible sous la cotonnade, est d'une force peu banale.

Giovanni Segantini, Les Mauvaises Mères, 1894

Segantini, c'est le grand nom du divisionnisme, un mouvement artistique italien complexe, qui commence par aborder le réalisme social, évolue vers le symbolisme et termine dans le futurisme.

Peu de visiteurs connaissent le nom du divisionnisme ou de Segantini et pourtant c'est toujours une oeuvre qui frappe et que beaucoup prennent en photo. Puissance de la composition, découverte de la femme dans l'arbre. Nombreux visiteurs s'arrêtent là, avec l'idée d'un arbre-femme.

Giovanni Segantini, Les Mauvaises Mères, 1894 (détail)

 

Ce n'est pas du tout le sens de cette fascinante peinture, pourtant. Si on regarde attentivement, on voit un enfant au sein de la femme, qui est bien suspendue (pendue ?) à l'arbre. Et le titre de l’œuvre est éclairant. Voilà ce qui arrive aux Mauvaises Mères...

La psychanalyse a largement analysé cette œuvre de Segantini, orphelin de mère à cinq ans. Il paraît que le sens caché serait davantage à trouver dans la religion et la philosophie bouddhistes auxquelles s'intéressait particulièrement le peintre.

Vincent van Gogh, La Plaine d'Auvers, 1890

Une des toutes dernières peintures de Van Gogh, qui reprend ses vues de champs de toujours, emploie comme un souvenir d'anciennes palettes, mais avec des touches toujours plus rapides, plus vigoureuses, plus modernes. La perspective dévoile un ample paysage, mais plombé par un ciel sans soleil, au devenir inquiétant.

Un admirable paysage.

Akseli Gallen-Kaléla, Printemps précoce, c. 1900

La peinture finlandaise est très méconnue chez nous et même ses plus grands noms ne font guère écho. Gallen-Kaléla se forma à  Paris, où il vivait avec son compatriote Albert Edelfelt (l'autre grand nom de la peinture finlandaise). Très conscient de sa mission dans la constitution de l'identité finlandaise, il illustra les grandes mythologies nationales comme le Kalevala.

Ici paysagiste, il nous présente avec une observation très juste et en même temps un style contemporain le dégel, la neige qui persiste par plaques, la forêt serrée aux ombres nombreuses. La virtuosité d'une composition complexe sait se faire oublier.

Fernand Khnopff, Demi-figure de Nymphe (Vivien), 1896

L'artiste belge fut exposé à la Secession viennoise et Klimt fut fasciné par ces femmes énigmatiques. Khnopff est un personnage riche et imaginatif, qu'il faut évidemment voir à Bruxelles où les Musées Royaux exposent de nombreux chefs-d'oeuvre. Cette sculpture me semble cependant bien représentative. Plusieurs de ses portraits féminins, qui étaient en fait des femmes de son entourage (dont sa soeur) chroniquement photographiées, me semblent toujours une réinterprétation de celles de Botticelli. L'expression rêveuse s'inscrivait bien dans son époque.

Claude Monet, Le Chef (Le père Paul), 1882

Exemple des portraits de Monet, presque esquissé, à traits vigoureux. Il s'agit de Paul Antoine Graff, chef de l'hôtel-restaurant A la Renommée des Galettes où résidait Monet à Pourville, sur la Manche.

Le tableau est assez curieux dans son fond assorti au portrait et non en contraste avec lui. Dans ces nuances de blanc c'est finalement la barbe et la carnation pourprée qui ressortent le plus. On sent un portrait posé, mais sans affectation, en cherchant une expression naturelle, et je trouve une touche affectueuse dans le pinceau du peintre. Ce dernier était friand des fameuses galettes et il fit une nature morte de celles du père Paul. Sa femme est également portraiturée et exposée aux États-Unis.

Carl Moll, Crépuscule sur le Danube, 1902

 Un des fondateurs de la Secession, excellent graveur, fameux peintre qui traite parfois les mêmes sujets que Klimt ou Kolo Moser. Je trouve d'ailleurs que la moitié inférieure du tableau pourrait provenir du premier. 
Pas la partie supérieure, évidemment, avec ce jeu de plans créé par la lumière...

Egon Schiele

Egon Schiele, Façade, 1914

 Bien sûr, pour voir multitude de toiles de Schiele, il vaut mieux aller d'abord au Leopold, qui conserve la plus importante série d'oeuvres du peintre ; je parle en temps normal, pas seulement lors de la rétrospective qui lui avait été consacrée.

Mais le Belvedere possède sa propre petite série, et tout d'abord un exemplaire de ces fascinantes façades comme il en réalisa beaucoup à Krumau ; je ne sais pas si celle-ci, une de ces peintures-là les plus connues, fut également réalisée là-bas.

J'ai toujours beaucoup aimé ce tableau, que je trouve très représentatif de cette manière à la fois très réaliste et très "peinte", déstructurée, avec un cadrage étonnant qui donne l'impression d'un coup de zoom.

Egon Schiele, Tournesols I, 1911

Sujet abordé à la même époque par Klimt, après le succès de ceux de Van Gogh, et Schiele donne une version encore une fois aussi expressive que personnelle, hors de toute école et de toute influence.

Egon Schiele, Eduard Kosmack, 1910

 Je trouve que ce portrait de l'éditeur Kosmack est très révélateur de l'expressionnisme si frappant dans ceux que peint Schiele, et cette concentration sur le contour, la silhouette, la ligne, semble dominer la recherche picturale. Kosmack fut un des premiers (et resta un des plus ardents) défenseurs de Schiele et il était connu pour son attirance envers l'occultisme. Son regard fixe, troublant, semble hypnotiser le spectateur.

Egon Schiele, Portrait d'Edith Schiele, 1918

La femme de Schiele, Edith, mourut comme lui de la grippe espagnole, trois jours avant lui. On voit qu'elle est ici représentée sans concession. En fait Schiele recherchait des femmes à l'air fragile, un peu maladif.

Richard Gerstl

Richard Gerstl, Les Sœurs Pauline et Karoline Fey, 1905

La vie de Richard Gerstl est une brève et sombre tragédie. Scolarité mouvementée, car c'est un trublion difficile à discipliner, il rencontre Mahler dont il devient proche et surtout Schönberg avec lequel il noue des liens forts. Cependant il entretient bientôt une relation amoureuse avec la femme de son ami, Mathilde. Quand Schönberg découvre l'adultère, il décide de rester avec sa femme dans l'intérêt de leurs enfants. Mais pour Gerstl, le coup est terrible et il se suicide peu après.

Peintre rare donc (une soixantaine de tableaux seulement), il est connu pour ses quelques portraits de Schönberg, l'autoportrait suivant et un autre sur fond bleu, tout aussi marquant.

Le portrait des soeurs Fey est tout à fait étonnant. Assises côte à côte, sans semblant avoir de contact entre elles, elles donnent l'impression de fantômes à peine matérialisés, avec leurs visages livides. 

Richard Gerstl, Autoportrait souriant, 1908

C'est très peu de temps avant son suicide que Gerstl exécute ce vibrant autoportrait, comme un pied de nez à sa destinée. Le cou démesuré semble échapper à tout réalisme mais la chaleur, la vie de ce grand sourire restent incroyablement saisissants.

Anselm Feuerbach, Orphée et Eurydice, 1869

Autre période, autre style. Feuerbach, fils d'archéologue, rêvait d'Italie et la bourse obtenue lui permit un long séjour dans ce pays ; il mourut d'ailleurs à Venise. Le contact, à Rome, avec l'Antiquité, généra une série de tableaux qui restent ses plus connus : Médée, Le Combat des Amazones, et cet Orphée et Eurydice aux figures allongées qui prennent une dimension tragique. La noble mélancolie d'Eurydice a été souvent louée. JE trouve que l'absence de décor, l'insistance sur les drapés, rappellent fortement le bas-relief.

Arnold Böcklin, Idylle de la mer, 1887

 Les oeuvres de Böcklin conservées à Berlin demeurent les plus fameuses, dont la célébrissime Île des Morts. L'artiste suisse réalisa cependant plusieurs tableaux autour de ce thème, avec des sirènes, une Vénus sortant des eaux, . La qualité de la peinture (le travail de l'eau est vraiment remarquable) ne doit pas faire oublier combien cette expression marqua une rupture avec le naturalisme en vogue, et que le symbolisme de Böcklin demeure un art personnel, fécond et élaboré. Je ne sais si on a étudié en particulier le rôle de la thématique marine chez Böcklin ; il y a de quoi faire !


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