Une grande et intense soirée de musique de chambre : les trois premiers quatuors de Chostakovitch par le Quatuor Hagen (Hagen-Quartett), au Konzerthaus de Vienne, le 28 octobre 2021.
Le Konzerthaus de Vienne
Vienne abrite plusieurs salles de concert ; le Musikverein, célèbre pour héberger le fameux concert du nouvel an, et à proche distance le Konzerthaus, où je suis venu beaucoup plus souvent. La grande salle est réservée aux concerts symphoniques et aux soirées
avec beaucoup de public ; j'y ai entendu plus de vingt concerts, dont
une dizaine de Neuvième Symphonie de Beethoven, donnée annuellement
autour du 31 décembre. J'avais inséré plusieurs photos de cette salle dans mon article.
La plus intime Mozart-Saal est dédiée à la musique de chambre et son acoustique chaleureuse est parfaite pour cela, peut-être un peu moins que l'idéal Wigmore Hall de Londres (le rêve absolu !) mais autant que la Brahms-Saal du Musikverein.
Concerts isolés et cycles se succèdent tout au long de l'année dans un programme très fourni. Cette année, le Quatuor Hagen, un habitué des lieux, donne l'intégrale des quatuors de Chostakovitch en une série de cinq soirées, jusqu'au mois de juin 2022.
Chostakovitch et le quatuor
Les quatuors occupent une place à part dans l'oeuvre de Dimitri Chostakovitch. En 1938, il créa son opéra Lady Macbeth de Mzensk ; après la représentation, Staline critiqua l'"hermétisme petit-bourgeois" qu'il y voyait, ce qui entraîna la disgrâce du compositeur. Il en fut gravement meurtri et se lança dans l'écriture d'un premier quatuor, genre tout à fait contraire à la vision artistique du régime qui réclamait pompe, magnificence, sens du grandiose. L'écriture du quatuor fut pour Chostakovitch un refuge artistique, une sorte de journal intime, un domaine d'expérimentation. Il écrivit quinze quatuors jusqu'en 1974, en traçant ainsi une voie très personnelle, de plus en plus créative.
Le compositeur était contraint pour sa simple survie d'obéir aux commandes du partie et d'écrire des œuvres faciles et des musiques de film qui bridaient son génie. Plusieurs quatuors restèrent cachés dans les tiroirs jusqu'à la chute du régime, et Chostakovitch dissimulait des indices dans l'écriture. Utilisant la notation germanique qui associe des lettres aux notes (A-B-C au lieu de la-si-do), il reprit un procédé employé par Bach (notes B-A-C-H) pour cacher C-D-S-H (do-ré-mi bémol-si) dans plusieurs de ces quatuors. A la fin de sa vie, il était victime de graves problèmes de santé, subit deux infarctus et la mort s'invita dans l'écriture, rendant les derniers numéros particulièrement poignants.
Ce soir, ce sont les trois premiers qui sont donnés, dans l'ordre chronologique qui permet d'apprécier l'évolution de l'écriture en moins de dix ans. Le premier s'inscrit encore dans la tradition du quatuor en quatre mouvements, modèle qui renvoie à l'ombre tutélaire de Beethoven. Mais le second propose des pistes audacieuses, avec son Thème et Variations, et une dramatique Romance dans son second mouvement. Le troisième, particulièrement grave, pathétique, est souvent repéré comme symphonique, ce qui pourrait être corroboré par sa répartition en cinq mouvements. Je le trouve davantage caractérisé par sa mise en avant des instruments solistes, chacun s'exprimant en solo à son tour dans l'oeuvre. C'est bien sûr un élément qu'on trouve dans la plupart des quatuors, mais il me semble qu'il apparaît ici avec plus d'évidence.
J'ai eu la chance d'entendre le Quatuor Hagen à six reprises, et c'est une formation que j'ai toujours mis au plus haut niveau, et qui m'a procuré d'inoubliables soirées. J'avais lu une critique d'un concert en France (Paris ? Toulouse ?) où ils donnaient un programme Chostakovitch, et le journaliste leur reprochait de chercher un beau son au détriment de l'expressivité.
C'est vrai que le son des Hagen est très riche, et l'alto de Veronika Hagen n'est pas pour rien dans la plénitude des harmoniques qui nous sont dispensés, mais j'ai trouvé au contraire l'interprétation du quatuor particulièrement expressive. Ses membres mettent bien en avant le fameux sourire grimaçant et ironique de Chostakovitch et ne craignent pas de faire criailler leurs instruments, d'oser des contrastes abrupts. La fameuse Romance est d'une émotion profonde, à tirer des larmes d'une pierre.
Le troisième quatuor me paraît devenir une narration où on est sans cesse suspendu, et, en même temps, profondément bouleversé par l'intensité des sentiments fouillés. Il me revient une phrase entendue lors d'une masterclass des Alban Berg : le quatuor doit faire vibrer chez les auditeurs des cordes qu'ils ne connaissaient pas encore.
Je mets un moment à me remettre de cette soirée !
Bon, pas au point de rater les artistes à la sortie, tout de même.
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