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dimanche 4 novembre 2018

Vienne : rétrospective Schiele au Leopold


Monter une exposition Schiele au Leopold n'est pas difficile, quasiment tout son œuvre est réuni là, à quelques exceptions près. Difficile donc de manifester la différence avec une exposition spéciale.



L'idée des commissaires de l'exposition est double.
Premièrement, associer les œuvres de Schiele à celles d'artistes contemporains. Pas toujours pertinent ici, à mon avis.
Deuxièmement, sortir de la collection privée de Herr Leopold des dessins jamais montrés. Beaucoup sont ouvertement pornographiques (pratiques sexuelles, dont masturbation) et, après réflexion, j'ai décidé de ne pas les inclure ici. Je ne souhaite pas que mon blog soit bloqué dans certains pays à cause de ses photos. Donc je me suis limité à des dessins de nu, en espérant que ceux-ci ne soient pas trop problématiques.
Si un lecteur le souhaite, je peux cependant envoyer des photos de ces dessins-là.

Autoportraits

Un des sujets sans cesse remis sur le chevalet, comme chez Rembrandt, mais avec souvent une noirceur affirmée, parfois désespérée. Ville et paysage peuvent être vus comme des reflets de soi-même.


Egon Schiele, Les Ermites, 1912

Schiele ne parviendra jamais à vendre cette incroyable peinture, une de ses plus grandes. Deux ermites drapés dans un ample manteau ne semblent faire qu'un, avec un riche fond qui semble se fragmenter. On a identifié le visage de gauche comme un autoportrait, celui de droite pourrait être le visage de Klimt. Très expressif, en tout cas.

Egon Schiele, Nu assis, 1910

Cette grande peinture d'un nu provocateur est connue comme un autoportrait. Dans cette série de nus, l'intérêt de Schiele s'est peu à peu déplacé vers la forme, et il a ensuite retenu seulement le contour.

Egon Schiele, Trois aveugles, 1911

Etude pour Le Moine Solitaire, un autre autoportrait masqué.

Egon Schiele, Les Aveugles, 1915

Une approche des mystères de la vie et de la mort, où deux moines semblent léviter au-dessus d'un paysage évoqué. Celui du haut est déjà mort, celui du bas en train de mourir.

Egon Schiele, Ville morte, 1911

Egon Schiele, Petit arbre en automne, 1911

La nature, un reflet de l'état psychologique. Une reprise d'un thème largement développé dans le romantisme, mais la modernité du traitement lui donne un nouveau sens.

Egon Schiele, Nu debout, 1909

Egon Schiele dans son appartement, 1915

Couverture de la revue Krieg avec un dessin de Schiele.


Jürgen Klauke organisait, vers 1972, des performances où il se photographiait dans des accoutrements divers, en homme ou en femme. Je ne suis pas certain que ce soit exactement le propos de Schiele.

Egon Schiele, Autoportrait épaule nue, 1912

Expressivité à fleur de peau pour cette peinture à la technique très particulière. J'ai fait un gros plan pour voir ces coups de brosse (je me demande si elle n'est pas métallique).



Rudolph Polanzky, Morphochrome Topismen, 1990

Hormis des tonalités familières, je n'ai vraiment pas vu le rapport.

Egon Schiele, Le Lyrique, 1911

Egon Schiele, Homme à demi-nu, 1910

Egon Schiele, Autoportrait à la chemise rayée, 1910

En l'absence de l'Autoportrait aux physalis, sans doute parti dans une autre exposition, je pense que c'est le plus célèbre de l'exposition. L'emploi de la couleur me semble adoucir un visage souvent représenté avec beaucoup de dureté.

Egon Schiele, Nu de dos, 1910


Egon Schiele, Nu debout, 1910


Egon Schiele, Autoportrait à la palette, 1905

Je crois n'avoir encore jamais vu cet étonnant autoportrait de profil, presque féminin. La technique ne ressemble guère à ce que je connais de Schiele non plus.


Mère et enfant


Les relations de Schiele avec sa mère étaient compliquées. Elle avait beaucoup d'affection pour lui, visiblement encombrante, et Schiele insista toujours pour obtenir davantage de liberté et de distance. Le thème est souvent abordé dans son œuvre, avec une image de fragilité la plupart du temps.

Egon Schiele, Nouveau-né, 1910

Egon Schiele, Femme et enfant, 1912

Un tableau construit comme une icône.


Egon Schiele, deux portraits d'enfant, 1910

Ici la fragilité est particulièrement perceptible.


Louise Bourgeois, Arch of Hysteria, 2000

Etonnante sculpture qui semble flotter dans les airs.

Egon Schiele, Enfant, 1911

Un portrait plus serein, enfin.


Louise Bourgeois, sans titre, 2002

Pas besoin de se creuser la tête pour voir un parallèle. Cela me rappelle aussi un dessin de Klee.

Egon Schiele, La mère aveugle, 1914


Image désespérée malgré les tons chauds. La position de la mère proviendrait d'un bronze de Rodin.


Egon Schiele, Jeune homme à moitié nu, 1910

Ce serait un autoportrait, mais ça me semble moins évident.

La spiritualité

Egon Schiele, Ermitages en forêt, 1915

On ne peut vraiment parler de religion avec Schiele, mais la notion de spiritualité est chez lui très forte. Il se rattache à une grande idée du XIXe siècle où l'artiste est chargé de la communication avec l'au-delà, où il fait office de passeur.
Très attentif à la notion de vie et de mort, un de ses thèmes récurrents, il réinterprète des thèmes religieux, se voyant comme un "prophète" et ses autoportraits comme des "ecce homo". En même temps, les notions d'aura et d'énergie cosmique prennent une grande place dans ses poèmes, une activité débordante chez lui mais beaucoup moins connue.

Egon Schiele, Calvaire, 1912

Egon Schiele, Dévotion, 1913

Egon Schiele, Souvenir de bas verts, 1912

Je n'ai guère saisi ce que faisait ce dessin dans une salle centrée sur la spiritualité, à moins que le souvenir en fasse partie, mais j'ai été proprement saisi par la singularité de l'angle du point de vue.

Egon Schiele, Le Danseur, 1913

Egon Schiele, Révélation, 1911

Egon Schiele, Otto Benesch, 1914

Extraordinaire.

Egon Schiele, Trois nus, 1913

Une de ces images où le nu est réduit à sa silhouette.

Elizabeth von Samsonow, Geo Oracle, 2018

Des personnages formés d'objets divers. Le haut de celui du centre est équipé d'un haut-parleur d'où sort un texte enregistré. L'artiste a spécialement créé cette installation pour exprimer sa vision de la spiritualité de Schiele.


La femme nue

Egon Schiele, Deux femmes debout, 1912

C'est dans cette partie de l'exposition que figurent le plus d'œuvres inconnues, beaucoup de dessins au trait.


Chloe Pienne, Mossy Margins, 2016


Cette créatrice française travaille à Brooklyn, et dessine au graphite sur du velin. La finesse du trait, la thématique commune trace effectivement un pont très visible entre les deux artistes.

Egon Schiele, Femme agenouillée, 1910, détail

Un gros plan pour montrer la délicatesse des couches de couleur.

Egon Schiele, La femme couchée, 1917

Le morceau de tissu opportunément place comme cache-sexe fut rajouté juste avant l'exposition Secession, sans doute pour éviter que le tableau ne soit refusé. Il s'agit d'un des plus beaux visages féminins de tout l'œuvre de Schiele.

Egon Schiele, Fille au chiffon jaune, 1913

Le repentir est visible, mais Schiele a tenu à terminer le travail sur la couleur.

Egon Schiele, Trois femmes debout, 1918

Un des tout derniers tableaux.


Egon Schiele, Jeune fille, 1917

Sarah Lucas, Tracey, 2018

Les attributs féminins sont effectivement aussi visibles que dans de nombreux dessins de Schiele.

Egon Schiele, Homme et femme, 1911

Comme Le Baiser de Klimt, une image fusionnelle.

Paysages

La représentation conventionnelle de la nature ne l'intéressait pas. Ce qu'il recherchait, c'était mettre en valeur l'âme des choses, suivant en cela sa propre dimension spirituelle. Après avoir vu des paysages de Klimt, il se lança dans une nouvelle phase.

Egon Schiele, Malva "de Bregenz", 1907

On commence par une série de peintures jamais montrées, en provenance de la collection privée de Leopold.

Egon Schiele, De la vallée de Kirlinger, 1907

Egon Schiele, Klosterneuburg, avant le jour de Leopold, 1907

Egon Schiele, Maisons proches de la mairie de Klosterneuburg,1908

Egon Schiele, Arbres, maisons, oratoire, 1907

Egon Schiele, Forêt en automne,1908

Egon Schiele, Bateaux au port de Trieste, 1908

Egon Schiele, Le Port de Trieste, 1907

Rendu très réaliste ici. Les reflets sur l'eau ont été obtenus en creusant la couche de peinture.


Egon Schiele, Tannenwald (poème)

Un grand nombre de ces poèmes sont présentés ici, je n'en ai inséré qu'un seul.
J'entre sans bruit dans la cathédrale noire et rouge de la forêt de sapins, qui vivent sans bruit et se regardent avec une expression du visage.
Les troncs oculaires, s'agrippant l'un à l'autre, et l'exhalation visible de l'air humide. - 
Le bien-être ! Tout est mort-vivant.
Je réclame toute la mansuétude des germanistes, ce que je ne suis pas, pour ma traduction sans doute bourrée d'erreurs. Si quelqu'un veut rectifier dans un commentaire, je me ferai un plaisir de corriger.


Egon Schiele, Paysage aux corbeaux, 1911

Un tableau qui me paraît encore plus en avance !


Sans doute le plus célèbre de ses paysages de nature, stylisé, et pour une fois avec une palette adoucie.

La ville

La majorité de ses paysages urbains représentent la même ville, Krumau, aujourd'hui Cesky Krumov, la ville de naissance de sa mère.
Le Leopold les expose depuis longtemps et j'en suis familier ; ce sont des peintures que j'ai toujours beaucoup aimées, avec leur vision originale et une utilisation tout aussi peu conventionnelle de la couleur, et malgré tout un expressionnisme assagi.

Egon Schiele, Ville de pierre, 1913

Egon Schiele, Croissant de maisons, 1915

Egon Schiele, Petite ville, 1913

Egon Schiele, Krumau,1913

Egon Schiele, deux pages d'un carnet de croquis, 1913

Egon Schiele, La vieille maison, 1915

Egon Schiele, Les maisons près de la mer, 1914

Egon Schiele, Maison sur la rivière, 1915

Tadashi Kawamata, Maquette
Kawamata, Japonais vivant à Paris, est à la fois architecte et artiste. Il réalise des tableaux peints sur lesquels il colle des matériaux divers. Entre collage et véritable maquette, un travail tridimensionnel qui brouille la perception.
Je ne crois pas que ce soit ce que j'aurais choisi ici, en tout cas.

Les portraits

Que des découvertes. C'était logique que Schiele ait fait, lui aussi, de la peinture commerciale, mais je n'avais jamais rien vu.
Est-ce une bonne idée que de les exposer dans la dernière salle ?

Egon Schiele, Hans Massmann, 1909

Evidemment l'artiste s'autorise ici moins de liberté. La pose et le choix du fond sortent cependant de la représentation traditionnelle.

Egon Schiele, Olga Gallus, 1910

Egon Schiele, Arthur Roessler, 1914

Egon Schiele, Franz Hauer, 1914

Celui-là lui ressemble si peu que j'ai cru à une œuvre "invitée" !

Egon Schiele, Anton Faistauer, 1909

Egon Schiele, La femme aux yeux baissés, 1908

Egon Schiele, La femme en deuil, 1912

Très peu Schiele dans le style, mais tellement Schiele dans l'expressivité.


1918. Schiele fait partie des nombreuses victimes de la grippe espagnole qui décime la ville. Il a vingt-huit ans.

12 commentaires:

  1. Schiele's paintings are disturbing, sometimes awful. But the landscapes are beautiful ! I have learnt about his spirituality with this post.
    High quality !
    Annie

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    1. Thanks Annie for this personal comment. I couldn't imagine Schiele was famous in USA. And many people hate his works !

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  2. Passionnante exposition que vous présentez avec intelligence. Merci.
    Pierre

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    1. Je me suis contenté de reprendre l'organisation de l'exposition, en m'imposant des limites dans les œuvres montrées. Mais c'est Schiele, tout d'abord, qui est passionnant !
      Merci beaucoup, Pierre.

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  3. Souvent je trouve Schiele gênant, dérangeant, un peintre qui me met mal à l'aise, et c'est le cas de certaines peintures de ton article. Mais il y en a beaucoup qui sont splendides. Les paysages que je ne connaissais pas sont vraiment somptueux !
    Merci pour la découverte !
    Bises
    Michèle

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    1. C'est vrai que son travail sur le corps est plus célèbre. J'adore toute la série sur Cesky Krumov.
      Merci pour ce commentaire !
      Bisous

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  4. Great post about a great artist. Amazing sketches.
    Jay

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  5. Réponses
    1. Merci pour ce commentaire écrit en français, Lew.
      Thanks for this comment, written in french, Lew.

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  6. Une exposition rarissime. Grâce à tes articles on peut mieux comprendre ce peintre hors norme, souvent difficile, dont certains tableaux peuvent choquer.
    C’est tout l’intérêt de ce blog qui montre la diversité des sujets et des couleurs.
    Encore merci. Bisous.

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    Réponses
    1. C'est vraiment un peintre passionnant et extraordinairement inventif. Et prolifique, aussi, vu la quantité d'œuvres rapportée à la brièveté de sa vie.
      Un grand merci.
      Gros bisous !

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