Under Pressure est une exposition originale et bien intéressante dans une galerie du Museumsquartier, Freiraum Q21.
Le Museumsquartier est un endroit où l'art bouillonne, entre ses multiples musées et les galeries.
Voici une galerie qui vend de drôles de dessins inspirés d'œuvres d'art.
Freiraum Q21
Sous ce nom se cache une galerie extrêmement active, qui propose avec régularité des expositions assez brèves (deux mois environ), sur des thèmes variés, souvent assez fructueuses.Celle du moment se nomme Under Pressure, Sous la Pression donc.
Elle se donne pour objectif de mener une réflexion sur les formes de l'autorité et de la décision à travers des œuvres artistiques contemporaines. Le sujet me paraît assez intéressant pour que j'aille voir ce qui s'y trame.
Daniela Ortiz, The ABC of Racist Europe |
Daniela Ortiz creuse les idées de nationalité, classe, race, et essaie de démontrer que le système européen de contrôle de l'immigration et de sécurité est basé sur un principe d'exclusion.
Pour cela, elle a imaginé un abécédaire, du type que l'on voit dans les cours préparatoires : à l'image sont associés des mots commençant par la même lettre.
Daniela Ortiz, The ABC of Racist Europe (lettre P) |
Isabella Kohlhuber, The Substance of Value |
Isabella Kohlhuber a dessiné une police d'écriture qu'elle a nommée Bastards, où les lettres confrontent le système figé de l'alphabet avec un autre qui change constamment.
Ce sont donc des fragments de lettres, mais qui conservent le principe de l'écriture.
Ainsi l'artiste analyse la relation entre l'objet et sa représentation en creusant le système de règles établies et les conditions de sa production de sens.
Ici, elle a choisi un passage du Capital de Marx qui analyse la "pression silencieuse de la compétition", matérialisé avec sa police de caractères. Cela interroge le sens même du texte, et la présentation sous forme de rouleau déroulé (qui renverrait à nos livres de l'Antiquité, alors disponibles sous cette forme-là) pose le problème du texte représenté et de son statut.
Hard Core, The Universal Blob |
Image extraite de la vidéo qui porte ce nom ; dans The Universal Blob est présenté un robot qui, associé à une application (Asahi 4.0, je ne sais pas s'il y a un rapport avec la bière japonaise), devient commissaire d'une exposition. Nous voyons ainsi un robot, un algorithme, une structure d'organisation, et tout cela agit comme preneur de décision pour organiser un événement artistique, rejette certaines œuvres, en attire d'autres.
Il m'a fallu un certain temps pour comprendre comment cela fonctionnait, je n'ai pas trouvé cela très limpide tout d'abord. Mais quand le brouillard s'est dissipé, cela m'a fait froid dans le dos.
Olivia Plender, Set Sail for the Levant |
Olivia Plender a élaboré un jeu de l'oie, le voyant comme un lointain ancêtre du Monopoly, jeu capitaliste où on apprend à s'enrichir en plumant ses adversaires et où le hasard peut vous envoyer en prison. Ici, seuls les joueurs qui volent de l'argent aux autres et s'échappent au Moyen-Orient pour éviter les poursuites policières peuvent gagner. Elle cherche ainsi à analyser les répercussions du capitalisme sur l'économie mondiale. La privation de liberté, la compétition en tant que mode de vie figure aussi dans les cases successives.
Le choix d'une imagerie qui renvoie directement au XVIIIe siècle, où la raison, la pensée et la construction de l'idée de liberté m'ont semblé très fructueux pour soutenir son point de vue. Cette artiste aurait déjà choisi d'autres jeux réputés pour argumenter sur ses idées.
Olivia Plender, Set Sail for the Levant |
Minna Henriksson, Works on Paper |
Minna Henriksson enquête à travers le lobbying et l'engagement politique dans l'industrie du papier finlandais, et son marché avec l'Afrique du Sud après la seconde guère mondiale.
Son travail se traduit par des linotypes (système de gravure basique, à base d'une bande de linoléum incisée ou découpée) qui montrent comment l'association des industriels finlandais a contré le syndicalisme de ses ouvriers et soutenu l'apartheid en Afrique du Sud. C'est seulement en 1985 que les syndicats de transporteurs décidèrent d'arrêter les livraisons de papier sud-africain que les industriels durent cesser leurs relations commerciales. La solidarité entre les syndicats a permis un changement dans la politique économique. Henriksson raconte cela à la manière d'une bande dessinée, avec quelques linotypes seulement composés de textes.
Le titre m'a particulièrement intéressé, car c'est un point de recherche que je trouve toujours extrêmement riche. Le sien a la particularité de nommer l'œuvre et de la décrire en même temps, c'est à dire de désigner à la fois le médium (Travaux sur papier) et la représentation (Travaux sur le, à propos du, papier). Je pourrais donc aussi bien le typographier en caractères latins qu'en italiques.
Minna Henriksson, Works on Paper |
Bernd Hopfengärtner et Ludwig Zeller, Life is Good For Now |
Dans leur vidéo, Bernd Hopfengärtner et Ludwig Zeller mettent en scène une Suisse qui aurait décidé de mettre en place un droit complet à l'auto-détermination. La coopérative Mont Data rassemble des quantités d'informations scientifiques et commerciales et confronte les citoyens à leur choix. Le modèle de la gestion des données est présenté comme une conversation téléphonique dans trois scénarios où les gens rapportent leurs expériences du quotidien. Ces témoignages sont visualisés par l'ordinateur avec une animation d'objets.
Les explications ne me sont pas de trop pour comprendre ce que je vois ; finalement je saisis une dimension critique dans la notion du traitement de données, et une réflexion sur l'individu face aux données informatiques qui le décrivent, ou, comme ici, qui le remplacent.
Inci Eviner, Nursing Modern Fall |
Inci Eviner étudie les contradictions du progrès. L'architecture de la modernité ne reflète pas seulement les contrastes entre utopie et dystopie mais les matérialise. L'artiste représente l'échec de la modernité comme un cosmos dans lequel des scénarios parallèles se déroulent. Dans sa vidéo, des images et des plans réels (comme ceux du camp d'Auschwitz) sont combinés à des systèmes de tunnels souterrains, des morceaux d'une usine d'aviation, des esquisses de Palladio. L'ensemble veut caractériser une scène pour les exclus et les sans-droits.
Je dois avouer que, même après avoir lu la notice, cela m'a paru extrêmement complexe et la vidéo, quoiqu'esthétique, ne me semblait pas très précise par rapport à l'idée exposée.
Liz Magic Laser, Primal Speech |
Primal Speech, de Liz Magic Laser, est une installation qui associe matelas et coussins qu'on peut réellement utiliser et une vidéo. L'ensemble met en scène une thérapie où des participants sont amenés par un intervenant à exprimer leur expérience avec des frustrations politiques.
En fait, il s'agit d'une métaphore sur la campagne électorale américaine et le Brexit. Donald Trump est associé à un père de famille tyrannique, homophobe et abusif, Nigel Farage et David Cameron à un maître d'école autoritaire. Des animaux renvoient aux logos des partis (âne pour les Démocrates, éléphant pour les Républicains), etc...
La notice est absolument indispensable pour comprendre le propos, mais, une fois qu'on a bénéficié de cette aide, l'installation est très jubilatoire.
Je n'ai pas pu insérer de photos de toutes les œuvres (faibles conditions d'éclairage = photos peu nettes) et je le regrette, mais c'est une exposition très intellectuelle, qui m'a beaucoup plu. Elle dure jusqu'au 25 novembre 2018, donc, si vous avez la possibilité de la voir, ne la manquez pas.
Promenade, suite
Avant l'opéra, un petit tour sur Mariahilferstrasse. La chaleur (+21 °C !) et le temps magnifique incitent à en profiter.
Après l'exposition précédente, je vois ces mannequins d'un tout autre œil.
En revenant déposer des affaires, un passage devant la Freyung.
La queue devant le Café Central. Dès que c'est ouvert…
Calligraphie céleste derrière le dôme de la Hofburg.
An exhibition of our times, with problems of our times. Captivating.
RépondreSupprimerGreat post, again and again !
Annie
A clever comment ! I thank you very much, Annie.
SupprimerAucun de ces artistes ne m'est connu mais les problématiques soulevées sont captivantes. Heureusement, vous avez pris la peine de tout commenter.
RépondreSupprimerJ'ai particulièrement été attiré par le travail sur la typographie, œuvre en tout point révolutionnaire.
Bravo pour la somme de votre travail (quatre articles d'un coup), tous d'une haute qualité, qui montrent votre éclectisme et la hauteur de votre réflexion.
Pierre
Qu'écrire après tant de compliments ? Je suis très honoré de bénéficier de la fidélité de lecteurs aussi chaleureux que délicats.
SupprimerUn très sincère merci, Pierre, pour la peine que vous prenez à m'adresser des commentaires variés et approfondis.
Passionnant panorama d'œuvres engagées que vos explications détaillées permettent de décrypter.
RépondreSupprimerRuby
Merci Ruby pour vos compliments !
SupprimerLes problèmes actuels sont traités dans cette exposition tout à fait contemporaine. Elle déconcerte au début, mais grâce à tes commentaires, tu me permets de profiter de son passionnant contenu.
RépondreSupprimerJe reconnais la promenade presque printanière dans Vienne, et tu la vois sous sa plus belle lumière. Une chance de pouvoir photographier cette calligraphie sur ce magnifique ciel bleu. Bravo.
Mille mercis. Grosses bises.
Un grand merci pour ce commentaire fouillé, sur un article un peu ardu. Mais c'est vrai que j'ai trouvé cette exposition passionnante.
SupprimerQuant à la calligraphie, vive le hasard qui fait lever les yeux au bon moment.
Gros bisous !